Le « voyage » des Assemblées de Dieu vers le Brésil
Les Suédois Daniel Berg et Gunnar Vingren, pionniers des Assemblées de Dieu au Brésil, ont respectivement émigré aux États-Unis en 1902 et 1903 — le premier avait 18 ans, le second 24. Ils se sont rencontrés à Chicago en 1909, lors d’une conférence pentecôtiste donnée à la Première Église Baptiste Suédoise. Tous deux originaires de l’Église Baptiste Suédoise, c’est dans le nouveau pays qu’ils ont été baptisés « dans le Saint-Esprit » et ont adhéré au mouvement pentecôtiste240.
La version la plus courante de la « mission » de Vingren et Berg nous dit qu’en 1910, alors qu’ils étaient à South Bend, dans l’Indiana — où ils étaient hébergés dans la maison d’un membre du groupe pentecôtiste, Olaf Adolf Ulldin —, durant une prière, Dieu « a révélé » à ce dernier qu’ils devaient partir pour une région appelée Pará, au Brésil — région que personne ici ne connaissaient. Selon le récit du fils d’Olaf, qui était présent, la « prophétie »241 s’est réalisée « sous l’onction et l’inspiration du Saint-Esprit » :
C’est, en 1910, dans la maison de mes parents, dans la ville de South Bend, État de l’Indiana, que les frères Gunnar Vingren et Daniel Berg ont reçu leur appel pour le Brésil. Pendant des semaines, ces frères ont été hébergés chez nous et priaient constamment le Seigneur pour qu’Il les guide quant à l’endroit où ils devaient dédier leurs vies. Un jour, mon père, Olaf Ulldin — qui était un simple peintre en bâtiment, mais un homme de prière — travaillait dans la cuisine de notre maison, quand soudain lui est apparu le Saint-Esprit. Il s’est agenouillé et toute la famille a fait de même, ainsi que nos hôtes Gunnar Vingren et Daniel Berg. Moi, petit garçon de onze ans à l’époque, j’ai entendu mon père prononcer une prophétie à ces deux jeunes pasteurs : « Vous irez au Pará. Voici l’hymne que vous entendrez quand vous arriverez là-bas ». Et mon père s’est mis à chanter, dans une langue étrange (le portugais) un hymne que, plus tard, les missionnaires ont pu identifier. Tout cela sous l’onction et l’inspiration du Saint-Esprit.242.
Vingren et Berg sont alors allés dans une bibliothèque à la recherche d’une carte pour découvrir la localisation du Pará et ont vu qu’il s’agissait d’un État du nord du Brésil243. Selon la version de la revue Centenário Kids, diffusée par l’Assemblée de Dieu, la « révélation » s’est déroulée de façon quelque peu différente : « Dans la maison du frère Adolfo Ulldin, le Seigneur Dieu a utilisé ce dernier et a clairement dit aux jeunes : ²Vous allez prêcher ma parole à Belém du Pará, au Brésil². Les amis ne savaient pas où se situait cet endroit. Mais, le lendemain matin, ils sont allés à la bibliothèque de la ville et ont cherché sur la carte où se trouvait Belém du Pará »244. Le jour-même de la révélation, le 5 novembre 1910, ils ont suivi les desseins divins et ont pris le chemin de New York, où ils ont embarqué sur un bateau qui partait pour le Pará. Le 19 novembre 1910, ils arrivent finalement à Belém, sans connaître personne et sans parler le portugais245.
Le récit de leur arrivée présente quelques contradictions ; ils étaient par exemple au courant de la présence d’un pasteur suédois au Brésil, Erik Nilsson, qui était arrivé en 1897 et s’activait à la formation d’Églises Baptistes dans la région amazonienne. Nilsson envoyait des rapports sur son activité aux communautés Baptistes suédoises présentes aux États-Unis. De plus, dans son journal, Berg raconte que Vingren a reconnu, dans un journal brésilien, le nom d’un pasteur méthodiste américain, Justus Nelson, qu’il avait personnellement connu aux États-Unis et qui s’était installé à Belém246. Autrement dit, Vingren et Berg avaient déjà un certain nombre de connaissances sur la région du Pará.
Une fois à Belém, ils se sont d’abord consacrés à l’Église Baptiste, au sein de laquelle ils ont entamé un prêche pentecôtiste. Du fait de divergences avec la direction de l’Église, ils en ont été exclus. Dix-huit autres membres les ont suivis247 et, le 18 juin 1911, ils fondent l’Église Mission de la Foi Apostolique, reprenant le nom de l’Église de la rue Azusa à Los Angeles, dans laquelle avait débuté la Renaissance de la Rue Azusa (Azusa Street Revival) qui a entraîné le mouvement pentecôtiste aux Etats-Unis248. En 1918, la mission brésilienne adopte le nom d’« Assemblée de Dieu », suivant le changement de nom du mouvement pentecôtiste américain.
Certains leaders pentecôtistes désignent le choix de Belém comme un choix divin : c’est à Belém du Pará qu’il [Dieu] a trouvé des cœurs volontaires pour répandre son Esprit sur toute la nation brésilienne »249. Pour démontrer l’intervention divine, on cite par exemple la coïncidence entre la ville de naissance de l’Assemblée de Dieu au Brésil et celle de Jésus ; ainsi, Belém du Pará joue un rôle similaire à Bethléem de Judée : dans les deux villes, un événement prodigieux est survenu250.
Le succès de la diffusion du pentecôtisme dans le reste du Brésil est également lié à la migration. Dès 1879, l’économie de Belém est dynamisée par le « cycle du caoutchouc »251, qui a permis à l’élite économique de la ville de s’enrichir et d’attirer de la main-d’œuvre non qualifiée, venant principalement de la Région Nordeste du Brésil, pour extraire et recueillir le latex dans la forêt. À partir de 1910 — année de l’apogée du latex brésilien —, la production a commencé à décliner rapidement, ce qui a provoqué le retour de nombreux seringueiros (ceux qui extraient le latex) vers leurs villes d’origine. Parmi eux se trouvaient des membres de l’Assemblée de Dieu, qui ont alors emporté avec eux le message pentecôtiste252. Des rapports pastoraux de l’époque font état de visites faites aux membres présents dans les villes du Nordeste — visites suivies de la fondation d’institutions pentecôtistes dans ces mêmes villes. L’arrivée des Églises pentecôtistes brésiliennes au Suriname a suivi le même processus : le déplacement de Brésiliens à la recherche d’opportunités de travail a incité les leaders religieux du Brésil à établir des Églises dans ce pays.
Le pentecôtisme au Brésil
En plus de l’Assemblée de Dieu, les deux autres Églises choisies comme référence dans ce travail, l’Église Pentecôtiste Dieu est Amour et l’Église Universelle du Royaume de Dieu, sont nées du mouvement pentecôtiste, mais dans des contextes et selon des caractéristiques différents.
En portugais, Bethléem se dit et s’écrit Belém.
Période qui va de 1879 à 1912, pendant laquelle l’exportation de caoutchouc in natura (latex) a apporté à quelques villes de la Région Norte (une des cinq régions du Brésil, constituée par les États de l’Acre, d’Amapá, d’Amazonas, du Pará, de Rondônia, de Roraima et de Tocantins) et au reste du pays, un enrichissement économique et social. Le cycle du caoutchouc se termine drastiquement avec la fin du monopole brésilien sur le latex, dû à la plantation intensive d’hévéas en Asie par les Anglais et les Néerlandais et à l’importance de cette nouvelle production sur le marché, à partir de 1910, faisant chuter les prix.
Au Brésil, le mouvement pentecôtiste peut être divisé en trois vagues253 : la première, le pentecôtisme classique, est établi avec la fondation de la Congrégation Chrétienne au Brésil, à São
Williams et Rayond Boatright). En 1953, les missionnaires fondent à São Paulo l’Église de l’Évangile Quadrangulaire (Igreja do Evangelho Quadrangular), et commencent à utiliser la radio pour le prêche et la concentration en masse dans les gymnases, les salles de cinéma et les stades de football. D’autres Églises apparaissent avec cette vague pentecôtiste : Brasil para Cristo en 1955 ; Dieu est Amour en 1962 ; et Casa da Benção en 1964. Etant donnée la continuité théologique, la seconde vague constitue un dédoublement, sur le sol brésilien, du pentecôtisme classique des États-Unis (la différence par rapport à ce dernier est dans l’emphase sur les dons de l’Esprit). La troisième vague, ou néo-pentecôtisme, est un mouvement brésilien : il est apparu dans les années 1970, et avec elle de nouvelle Églises, en particulier l’Église Universelle du Royaume de Dieu, apparaissent. Leurs caractéristiques principales sont : une exacerbation de la guerre spirituelle ; la Théologie de la Prospérité ; la libéralisation des stéréotypes des us et coutumes de sainteté ; l’abandon de l’ascétisme ; et une structure entrepreneuriale255.
Le fondateur de Dieu est Amour, David Miranda, est issu d’une famille d’agriculteurs qui a migré de la ville de Reserva (dans l’État du Paraná, Région Sud du Brésil) vers São
Cette classification suit l’approche de Ricardo Mariano (Neopentecostais: sociologia do novo pentecostalismo no Brasil, op. cit.) qui, à son tour, suit la ligne de Paul Freston (Protestantes e política no Brasil: da Constituinte ao Impeachment. Thèse de doctorat, 304 p. Campinas, Université de Campinas, 1993).
Paulo (Région Sud-est). Dans cette ville, sa famille, catholique, s’est convertie au protestantisme ; il a été le dernier à se convertir, en 1958. Quatre ans plus tard, il a fondé sa propre Église, dans la vague du mouvement de « guérison divine » diffusée par les moyens de communication de masse comme les radios et les journaux, et les grandes concentrations dans les stades de football, les places publiques, les salles de théâtre et de cinéma. Quatrième plus importante Église pentecôtiste brésilienne, Dieu est Amour est présente dans plus de 136 pays, avec plus de onze mille temples, et sa fondation s’est faite, selon David Miranda, « en accord avec l’orientation du Seigneur, selon ses saints desseins. »256
L’Église Universelle du Royaume de Dieu est la plus importante Église néo-pentecôtiste (ou de la troisième vague pentecôtiste) du Brésil et le plus grand phénomène religieux de ce pays dans l’actualité, avec plus de 1,8 millions de fidèles au Brésil ; elle est présente dans plus de deux-cent pays. Elle fondée le 9 juillet 1977 par Edir Macedo, qui est né dans la ville de Rio das Flores, dans l’État de Rio de Janeiro (Région Sud-est), également issu d’une famille catholique. Dans un entretien accordé au journal Folha de São Paulo le 20 juin 1991, il a raconté qu’avant sa conversion au pentecôtisme, en 1963, il « était une personne triste, déprimée, angoissée » ; qu’ « au fond du puits », il a cherché le catholicisme et a trouvé un « Christ mort » ; il s’est tourné vers le spiritisme, mais n’était pas d’accord avec ses idées257. « Alors, un jour », il a eu une « rencontre » qui allait changer sa vie (quand il s’est converti) et qui le conduirait, des années plus tard (1977), à fonder l’Universelle.
Voyons dès à présent la relation de longue date établie entre le nord du Brésil (principalement le littoral du Pará258) et les Guyanes. Comment celle-ci a donné lieu à un échange de culture et, plus récemment, à l’installation d’Églises originaires du Brésil dans les Guyanes ?
IGREJA PENTECOSTAL DEUS É AMOR. Histórico da Igreja Pentecostal Deus é Amor. Disponible sur le site : http://www.ipda.com.br/nova/n_pagina.asp?Codigo=76. Consulté le 19 mai 2014.
MACEDO, Edir apud Folha de S.Paulo, 20 juin 1991 apud MARIANO, Neopentecostais : sociologia do novo pentecostalismo no Brasil, op. cit., p. 55.
Parmi les cinq États du Nord du Brésil, trois ont une frontière avec les Guyanes : l’Amapá, avec la Guyane française et le Suriname ; le Pará avec le Suriname et le Guyana ; et le Roraima, avec le Guyana. Dans ce texte, quand je parle de relations entre le nord du Brésil et les Guyanes, je me réfère principalement à la relation entre la côte du Pará et les Guyanes.
Relations entre le nord du Brésil et les Guyanes
Historiquement, en plus des territoires du Guyana, du Suriname et de la Guyane française, les Guyanes comprennent aussi l’espace situé entre le delta du fleuve Amazone, au Brésil, et celui du fleuve Orénoque, au Venezuela (figures 1 et 2). Aux débuts de la colonisation, cet espace se trouvait entre les zones d’influence du Portugal d’une part et du royaume de Castille et d’Aragon (Espagne) d’autre part. Par le traité de Tordesillas259, signé en 1494 entre ces deux royaumes, cette zone est passée sous juridiction espagnole ; mais, avec l’Union Ibérique260, des colons portugais ont pu avancer sur le fleuve Amazone et modifier les limites des territoires établis, sans toutefois occuper la plaine guyanaise. La colonisation espagnole, quant à elle, a priorisé des zones d’intérêts économiques spécifiques, correspondant seulement à une partie des Guyanes — le reste devient alors une zone d’influence de l’Angleterre, des Pays-Bas et de la France. Au XIXème siècle, le processus d’Indépendance de l’Amérique Latine a permis au Venezuela de récupérer la Guyane Espagnole261 et au Brésil la Guyane Portugaise 262 ; les Guyanes anglaise, néerlandaise et française sont restées dépendantes et aujourd’hui, comme je déjà dit, le terme Guyanes fait référence à ces trois dernières263.
