CONTEXTE
Le genre Euphorbia L. de la famille des Euphorbiaceae compte environ 2000 espèces (Salmaki et al., 2011) regroupées en 4 sous-genres (Horn et al., 2012). Madagascar possède au moins 170 espèces et variétés soit à peu près 10% des espèces connues inventoriées dans le genre (Haevermans, 2003). Les espèces d’euphorbe se rencontrent dans toutes les zones bioclimatiques malgaches depuis les forêts tropicales humides de l’Est jusqu’au bush épineux subaride du Sud de la grande île (Evans & Aubriot, 2014). Le genre Euphorbia L. présente de nombreuses formes biologiques dont les plus surprenantes sont les formes géophytiques qui sont caractérisées par leur diversité morphologique et leur faculté d’adaptation à une large variation de conditions physiques et qui en font des plantes ornementales particulièrement appréciées et recherchées pour leur beauté.
Les espèces d’Euphorbia malgaches sont toutes inscrites à l’annexe I ou II de la CITES (Convention on International Trade of Endangered Species). Le Département de Biologie et Ecologie Végétales de la Faculté des Sciences (DBEV) en tant qu’autorité scientifique de la CITES procède à l’évaluation de l’état de santé des populations des espèces enregistrées dans les annexes CITES. Lors de travaux de prospection en 2013 à Ilakaka, commune rurale de Ranohira, une forme nouvelle qui ressemble à Euphorbia primulifolia var. begardii a été découverte. Cette nouvelle forme qui vit en sympatrie avec E. primulifolia var. begardii est confondue avec cette dernière par les collecteurs qui la prélève donc au même titre. De ce fait, elle est déjà sujette aux mêmes pressions et menaces que l’espèce commercialisée au risque de voir la taille de sa population fortement réduite avant même d’avoir été étudiée et identifiée. Les recherches préliminaires effectuées n’ont pas permis de trouver des informations précises sur la description et la position systématique de cette forme trouvée dans la région d’Ihorombe.
L’hypothèse de ce travail est que cette nouvelle forme n’appartient pas à l’espèce Euphorbia primulifolia Baker. Ce travail a ainsi pour objectif de décrire la morphologie de cette nouvelle forme d’euphorbe afin de la comparer et de la distinguer avec les deux variétés de l’espèce Euphorbia primulifolia Baker qui sont Euphorbia primulifolia Baker var. primulifolia (variété-type) et Euphorbia primulifolia Baker var. begardii Cremers .
GENERALITES SUR LE GENRE Euphorbia L.
Le nom du genre Euphorbia L. a été officialisé par Linné en 1753 dans la première édition de Species Plantarum (www.euphorbiaceae.org). La famille des Euphorbiaceae quant à elle a été décrite pour la première fois dans Genera plantarum par Jussieu en 1789, ensuite dans la Flore de Madagascar et des Comores par Leandri en 1958. Leandri y décrit deux sous familles : la sous famille des Phyllantoideae et celle des Crotonoideae où il plaça le genre Euphorbia L. Ces deux sous-familles diffèrent principalement par le nombre d’ovule par loge : deux pour les Phyllantoideae et un pour les Crotonoideae. Dans la classification admise actuellement, la famille comporte 5 sous-familles (www.mobot.org): celle des Cheilosoideae, des Peroideae, des Acalyphoideae, des Crotonoideae et des Euphorbioideae. Cette dernière sous-famille comporte 41 genres dont le genre Euphorbia L. qui regroupe 4 sous-genres et plus de 2000 espèces à travers le monde.
Le genre Euphorbia L diffère des autres par la présence de canaux laticifères qui véhiculent un latex dans toutes les parties de la plante. Le genre possède une inflorescence complexe appelée cyathium ou cyathe . Les cyathes sont regroupés en un ensemble plus complexe appelé incyathescence et l’ensemble des incyathescences portées par un même axe végétatif porte le nom de système incyathescentiel. Un cyathe regroupe des fleurs mâles unistaminées uniques ou groupées et pédicellées autour d’une fleur femelle unique . L’involucre du cyathium peut être nu, axilé par des bractées qui prennent la forme d’une feuille ou enveloppé par des cyathophylles de forme et couleur variables. Les cyathes présentent des glandes nectarifères de dimensions, de formes, de couleurs et de nombres différents qui jouent un rôle essentiel dans l’attraction des agents pollinisateurs. Les fruits sont des capsules tricoques qui présentent une déhiscence explosive à maturité et qui renferment généralement trois graines par capsule . La graine est habituellement ovoïde, elle présente une structure très variable du testa, présente ou non une caroncule ainsi qu’une couleur variable du sillon raphéal (Haevermans, 2003). Euphorbia L. possède plusieurs formes biologiques aussi bien qu’il occupe presque tous les types d’habitats. Elles peuvent adopter des formes buissonnantes, arborescentes, succulentes et géophytiques, cas d’E. primulifolia.
POSITION SYSTEMATIQUE D’Euphorbia primulifolia Baker (1881)
Les premiers essais de classification des euphorbes succulentes épineuses de Madagascar ont été effectués par Ursch & Leandri (1954) en se basant sur les caractères morphologiques communs entre les espèces.
« Les euphorbes géophytes de Madagascar », un ouvrage publié par Cremers (1984) a été consacré à la révision de 6 espèces et 12 variétés dont 6 nouvelles variétés. Il a été indiqué dans cet ouvrage qu’E. primulifolia Baker était la première espèce d’euphorbe géophyte décrite à Madagascar ; Cremers (1984) y décrivait aussi une nouvelle variété trouvée dans les sables gréseux des vallées encaissées de l’Isalo : E. primulifolia var. begardii. Plus tard, dans les deux volumes de son ouvrage «Succulent and xerophytic plants of Madagascar », Rauh (1995, 1998) rajoutait une centaine d’espèces, il y décrivait aussi bien E. primulifolia Baker qu’E. primulifolia Baker var. begardii Cremers.
Le genre Euphorbia L. comporte 4 sous-genres : Chamaesyce, Esula, Euphorbia et Rhizantium (Horn et al., 2012). Le sous-genre Euphorbia est actuellement connu comme le sous-genre englobant toutes les espèces succulentes ornementées d’une paire d’épines axillant les feuilles, et il est très diversifié en Afrique (Bruyns, 2006). A Madagascar, les espèces d’euphorbes épineuses apparentées à E. milii sont regroupées dans le sous-genre Lacanthis (Raf.) M.G. Gilbert ; ce sous-genre Lacanthis est un sous-genre endémique de Madagascar qui est actuellement inclus dans le vaste sous-genre Euphorbia avec d’autres sous-genres de l’Afrique et de l’Asie comme les sous-genres Cystidospermum, Tirucalli et Trichadenia. Le sous-genre Lacanthis est utilisé pour se référer directement aux euphorbes malgaches apparentées à E. milii et éviter ainsi les confusions avec d’autres espèces malgaches communes à d’autres localités ou celles qui ne se trouvent pas dans l’île.
La dernière révision taxonomique de ce sous-genre Lacanthis par Haevermans et al. (2009) reconnaissait 110 noms, espèces et variétés comprises. E. primulifolia a été placée dans ce sous-genre Lacanthis (Raf.) M.G. Gilbert.
La dernière classification d’Euphorbia primulifolia validée par Angiosperm Phylogeny Group III (2009) est la suivante :
Règne: Plantae
Embranchement: Tracheobionta
Sous-embranchement: Angiospermes
Classe: Eudicotylédones
Sous-classe: Rosidae
Ordre: Malpighiales Juss. ex. Bercht. & J.Presl (1820)
Famille: Euphorbiaceae Juss. (1789)
Sous-famille: Euphorbioideae Beilschmied
Tribu : Euphorbieae
Genre: Euphorbia L. (1753)
Sous-genre: Euphorbia
Espèce: Euphorbia primulifolia Baker (1881)
Variétés: Euphorbia primulifolia Baker var. primulifolia (1881)
Euphorbia primulifolia Baker var. bergardii Cremers (1984)
Noms vernaculaires : Balahazon-dambo (Ihorombe), Soamalondona et Tangenamboalavo (Analamanga), Soamalonjo (Vakinankaratra).
Les descriptions suivantes se rapportant aux deux variétés d’E. primulifolia sont celles données par Cremers (1984) sur E. primulifolia complétées par quelques remarques de Rauh (1995) et Haevermans (2004).
Description d’E. primulifolia Baker var. primulifolia (1881)
Plante à tubercule hypogé, charnu, oblongue – cylindrique, de 5-7,3 cm et pouvant atteindre plusieurs kilos (sur les quartzites du Centre), à épiderme brun, parfois ramifié. Feuilles 4 – 6, en rosette, de forme et de taille très variable suivant le milieu; pétiole court, crispé sur la marge; limbe ovale, entier ou lobé, crispé (sur les basaltes du Centre), linéaire, lancéolé ou hasté (sur les basaltes de la Région Occidentale), lancéolé à bord entier ou crispé et de 8-11 x 3 – 4 cm (dans les sables de la Région Occidentale). Cymes de 2-4 cyathes dressés; pédoncule vert, long de 20 mm; pédicelles longs de 5-7 mm; bractées larges, de 3-4 mm, vert pâle; cyathophylles blanches, très variables, hauts de 4-6 mm et de 3 mm de diamètre; glandes 5, oblongues, de 1,5-2 mm, vertes à lèvre externe plus haute que l’interne; bractées 5, verdâtres, de même hauteur que les glandes; ovaire trigone, verdâtre, haut de 1,5 mm, à pédicelle de 1 mm; styles soudés sur les 2/3; stigmates légèrement bifides, vert olive; fleurs mâles en 5 groupes bien distincts; étamines à filet de 4 + 0,5 mm, blanc, et à anthère jaune. Fruits glabres. Elle pousse aussi bien sur les sables côtiers, que dans les bois rocailleux calcaires, les pelouses basaltiques, les rocailles gneissiques ou quartzitiques. La variété a été localisée notamment aux environs d’Antananarivo, route d’Arivonimamo, Antsirabe, Mahajanga et aux environs, Ambatomainty et dans les montagnes d’Itremo (Cremers, 1984). La floraison précède généralement le développement des feuilles. La rosette meurt après la floraison et la fructification, et la plante entre en dormance jusqu’à la saison pluvieuse suivante (Rauh, 1995).
Description d’E. primulifolia Baker var. begardii Cremers (1984)
Plante charnue, à enracinement tubéreux, présentant à l’état jeune une partie souterraine ovoïde et une partie dressée à sommet au niveau du sol, puis à l’état adulte, une partie souterraine pivotante importante surmontée de nombreux axes ramifiés et atteignant la surface du sol; épines molles et caduques. Feuilles 6-10, en rosette, étalées sur le sol; pétiole de 10-15 mm; limbe lancéolé, obtus au sommet, mucroné, longuement atténué à la base, de 55 x 25 mm, à marge ondulée, vert foncé en dessus, violacé à la face inférieure. Cyme de 2-8 cyathiums en position subterminale, s’épanouissant en même temps que les feuilles; pédoncule long de 10-15 mm; bractées coniques à la base, triangulaires, les primaires de 1,5 x 2,5 mm, les secondaires de 2,5 x 2 mm, les tertiaires de 43 mm, ressemblant à de petites cyathophylles; cyathophylles dressées puis étalées, conniques à la base, légèrement apiculées, vert rosâtre, de 7 x7 mm. Cyathiums obconiques, de 3 mm de hauteur et 3,5 mm de diamètre ; glandes 5, ovales, larges de 1,5 mm, stipitées, vertes à jaunes, bractées 5, blanc rosâtre, un peu plus grandes que les glandes; ovaire haut de 1,5 mm, à pédicelle de 1 mm; styles soudés sur 1/3, longs de 1,5 mm; stigmates légèrement bifides, capités; fleurs mâles en 5 groupes de 5; étamines à filet de 4 mm et à anthère jaune. C’est une variété se trouvant dans les montagnes de l’Isalo, Ilakaka, aux environs d’Ihosy, et sur le plateau central du Sud de Madagascar. Elle pousse sur des sables gréseux et sur les prairies latéritiques (Haevermans, 2004).
I. INTRODUCTION |