Diagnostic de dépression

Diagnostic de dépression

La capacité de diagnostic des psychiatres des formes dites « typiques » de dépression est excellente, proche de 100% pour la dépression caractérisée post-deuil et la dépression mélancolique. Pour les formes dites « atypiques », elle reste correcte dans le cadre de la dépression avec troubles cognitifs, mais très insatisfaisante dans le masque somatique avec seulement 2/3 de diagnostic. Le recours aux échelles est important avec en premier lieu l’utilisation de la GDS-15 et de la mini-GDS, échelles effectivement de référence dans la dépression du sujet âgé. Parmi les échelles classiques de dépression chez l’adulte, c’est la MADRS qui est ici préférentiellement utilisée. L’étude des caractéristiques parmi les utilisateurs d’échelles et leur comparaison avec les psychiatres n’en utilisant pas a permis notamment de relever que leur utilisation était plus fréquente parmi les jeunes psychiatres, jeunes en termes d’âge, en termes d’années d’ancienneté parmi les médecins « seniors » et en termes de semestres déroulés parmi les internes. Nous pourrions l’interpréter comme un reflet du besoin de confirmation par rapport au doute diagnostique chez les plus jeunes psychiatres mais également comme le témoin d’une plus grande sensibilisation du recours aux échelles parmi les nouvelles générations. 

Orientation

 L’orientation auprès d’une autre spécialité est étonnamment fréquente pour une pathologie psychiatrique. Et pourtant, la moitié de notre population avait eu une formation en psychiatrie de la personne âgée. C’est la dépression caractérisée post-deuil qui a le taux le plus faible d’orientation, avec très peu d’incertitude diagnostique parmi les ¼ de répondants choisissant Diagnostic de dépression 65 l’orientation mais avec le ressenti d’un besoin de complément d’informations sur la prise en charge. La cause de l’orientation, auprès du gérontopsychiatre dans la majorité des cas, semble être ainsi liée à un défaut d’aisance dans la prise en charge de la personne âgée en elle-même. Par ailleurs, 1/3 des orientations se font auprès du médecin généraliste et du gériatre, témoin du souci d’une prise en charge somatique associée. Ce sont les formes « atypiques » qui ont les taux les plus élevés d’orientation, très clairement justifiée par l’incertitude et la complexité des tableaux. L’intervention des spécialités somatiques est plus nette, près d’un tiers auprès du gériatre dans le masque somatique et près de 60% se répartissant entre le gériatre et le neurologue dans la dépression avec troubles cognitifs, témoin du souci d’une évaluation somatique préalable avec élimination d’un diagnostic différentiel. Les répondants qui n’orientent pas sont globalement certains du diagnostic et à l’aise dans la prise en charge. L’absence d’orientation ne semble donc pas liée à un défaut d’identification du spécialiste à contacter, ni d’accès à celui-ci. Dans une étude réalisée en 2011, également à partir de vignettes cliniques mais auprès de médecins généralistes sur la prise en charge de la dépression sans critère d’âge, il avait été relevé que 8 médecins généralistes sur 10 jugeaient difficile l’accès aux professionnels spécialisés en santé mentale (51). Nous nous étions ainsi demandé si cette difficulté d’accès pouvait également exister chez les psychiatres auprès notamment du gérontopsychiatre. Dans notre étude, parmi les répondants choisissant l’orientation, 1 psychiatre sur 5 n’est « Pas du tout d’accord » sur la facilité d’accès au spécialiste, à l’exception de la dépression mélancolique où 1 psychiatre sur 5 est « Tout à fait d’accord » sur ce même argument. Cette différence sur le cas clinique pouvant s’expliquer par un recours majoritaire à l’hospitalisation complète dans la dépression mélancolique et, ainsi plus fréquemment que pour les autres cas cliniques, en la psychiatrie générale. En effet, en pratique, la personne âgée est régulièrement hospitalisée en psychiatrie adulte par un défaut de structures hospitalières spécifiques dont l’existence est inégale sur le territoire même si elle tend à se développer. De ce fait, cette difficulté d’accès semble exister au moins auprès du gérontopsychiatre, mais très probablement également auprès du gériatre et du neurologue puisque le choix de 66 l’orientation dans le masque somatique se divisait de façon quasi proportionnelle entre ces 3 spécialités avec également la perception d’une difficulté d’accès. 

Prescription d’antidépresseurs et prise en charge associée 

L’introduction d’un traitement antidépresseur est maximale dans les formes « typiques » mais n’intervient que dans 2/3 des cas dans les formes « atypiques ». Pourtant, les répondants reconnaissent son efficacité quel que soit le tableau, qu’ils aient choisi de le prescrire ou non, et avec la perception que la prescription initiale relève bien de leur compétence. Les psychiatres sont ainsi bien conscients de l’efficacité du traitement antidépresseur. D’après les recommandations HAS, l’introduction d’un traitement antidépresseur doit être discutée pour tout épisode dépressif avec une intensité a minima modérée (52). Il est vrai que la brièveté des vignettes ne permettait pas toujours d’évaluer avec précision l’intensité de l’épisode. Cependant, en se référant aux critères du DSM-V, l’intensité pouvait être évaluée comme modérée dans le cadre de la dépression caractérisée post-deuil et de la dépression avec troubles cognitifs. Concernant la dépression mélancolique, elle est sévère par définition. Ainsi, seul le masque somatique ne pouvait remplir l’ensemble des critères, mais il s’agit de la particularité même du masque dépressif. Quant à la prise en charge associée, elle ne différait que très peu entre les prescripteurs et les non prescripteurs d’antidépresseurs. Ainsi, la non-prescription d’antidépresseurs n’était pas expliquée par le choix plus fréquent d’une autre stratégie thérapeutique (psychothérapie seule ou sismothérapie par exemple). Les deux autres limites envisagées à la prescription d’un traitement antidépresseur étaient la peur du risque iatrogénique et du risque suicidaire par levée d’inhibition. Qu’ils prescrivent ou non, les psychiatres sont sensibles au risque iatrogénique et cet argument ne semble donc pas expliquer à lui seul la frilosité de sa prescription. 67 Cependant, la peur de la levée d’inhibition et d’un potentiel risque suicidaire semble bien limiter la prescription dans la dépression mélancolique parmi les faibles effectifs ne choisissant pas d’introduire d’antidépresseurs (16 répondants). S’ils ne prescrivent pas d’antidépresseurs, les psychiatres ont majoritairement orientés en amont. C’est ainsi le doute diagnostique qui est le principal élément limitant, avec soit une délégation de la prise en charge auprès du gérontopsychiatre, soit dans l’attente d’un avis préalable excluant un diagnostic différentiel avant de débuter ce traitement. Pourtant, en cas de doute entre une dépression et une maladie neurodégénérative débutante, il est conseillé de débuter un traitement antidépresseur comme traitement dit « de test ». Par ailleurs, le traitement antidépresseur pourrait retarder l’entrée dans la démence. Une étude réalisée par Bartels et son équipe a mis en évidence dans une population d’individus présentant un trouble neurocognitif léger avec antécédent de dépression que le traitement par ISRS au long cours avait permis de retarder de 3 ans la progression vers une maladie d’Alzheimer (53). Les psychiatres, en ne justifiant pas l’introduction du traitement antidépresseur par un effet préventif de maladie neurodégénérative, semblent peu informés sur ce point. Toutefois, l’absence de traitement antidépresseur n’était pas synonyme d’absence de prise en charge. En effet, le recours à la psychothérapie restait important parmi les non prescripteurs d’antidépresseurs et était complétée par des mesures socioenvironnementales (aides au domicile, club senior). Sur le plan pharmacologique, les anxiolytiques sont essentiellement prescrits en cas d’insomnie (dépression caractérisée post-deuil) ou de risque suicidaire et, même si ce n’était significatif que dans le cadre du masque somatique, leur utilisation est plus fréquente en association avec le traitement antidépresseur que sans celui-ci, pratique que nous pourrions interpréter en partie comme la volonté de limiter le risque suicidaire par levée d’inhibition à l’introduction du traitement antidépresseur. Seule la dépression caractérisée post-deuil ne montrait pas cette tendance mais l’effectif des répondants ne choisissant pas de prescrire d’antidépresseurs était très faible par rapport aux prescripteurs (10 répondants vs 221). On remarque ainsi qu’il peut exister une prescription isolée d’anxiolytiques. Quant aux hypnotiques, ils ne sont pas 68 systématiques et interviennent en cas de plainte du sommeil ou dans les formes sévères mais leur prescription isolée est également visible. En France, il existe une surconsommation de benzodiazépines et d’hypnotiques de façon générale (54). Une étude réalisée à Marseille sur plusieurs services de psychiatrie chez le sujet de plus de 65 ans a mis en évidence que 76% d’entre eux avaient au moins une potentielle prescription inappropriée de psychotropes et que cela concernait essentiellement les benzodiazépines (55). Outre le risque de dépendance en cas d’utilisation non contrôlée, ce sont les effets secondaires auxquels sont plus sensibles les personnes âgées qui doivent limiter leur utilisation. Notamment, le lien entre leur consommation et le risque de chute chez le sujet âgé n’est plus à démontrer (56). Concernant les neuroleptiques, leur utilisation est majeure dans la dépression mélancolique où un psychiatre sur deux les introduit. Ils ne sont que très rarement prescrits de façon isolée (4 répondants). Sur le plan thérapeutique non pharmacologique, les psychiatres complètent la prise en charge avec la psychothérapie dans au minimum ¾ des cas. Son utilisation était moindre dans la dépression mélancolique mais cela était cohérent, les formes sévères étant peu réceptives à une thérapie ciblée et la priorité étant à l’hospitalisation. La présence de troubles cognitifs ne préjuge pas d’un défaut de recours à la psychothérapie puisque 85% des psychiatres y font appel. Dans les formes typiques sans gravité (dépression caractérisée post-deuil) et dans le masque somatique, elle est quasi-systématique. Les psychiatres semblent ainsi avoir une bonne notion de l’efficacité de la psychothérapie chez le sujet âgé, comparable à celle de l’adulte jeune (57). La sismothérapie, pourtant considérée comme un traitement de choix dans la dépression mélancolique, est peu utilisée parmi nos répondants. On peut suspecter un défaut de moyen par inégalité territoriale mais également une réticence des psychiatres à y recourir chez la personne âgée, soit par une inquiétude vis-à-vis des conséquences somatiques ou cognitives, soit par une mauvaise perception de l’utilisation de la technique sur le sujet âgé chez les psychiatres eux-mêmes. En effet, Ben Thabet avait déjà étudié la réticence de la sismothérapie chez les professionnels de santé et avait évoqué un lien avec un défaut de connaissance. Parmi le groupe des psychiatres, seuls 57% d’entre eux avait la notion que la sismothérapie pouvait être 69 indiquée chez le sujet âgé (58). De même, aux Pays-Bas, une étude a mis en évidence que les gérontopsychiatres ne considéraient pas la sismothérapie, même en cas de risque suicidaire, comme un traitement de choix chez le sujet âgé (59). On peut ainsi également suspecter un défaut de connaissances chez les psychiatres en France sur l’efficacité et la sécurité de la sismothérapie chez la personne âgée. Pourtant, c’est le seul traitement qui s’est révélé être plus efficace chez le sujet âgé que chez le sujet jeune et avec pour principal effet secondaire un effet confusiogène au cours de la cure, effet qui pourrait être atténué par une modification de la technique de stimulation (60). De ce fait, la sismothérapie est bien trop souvent délaissée aux formes résistantes du sujet âgé alors qu’elle a tout son intérêt en cas de risque suicidaire puisque son délai d’efficacité est plus rapide que celui de l’antidépresseur, sans aggravation cognitive et avec une bonne sécurité même en cas de comorbidités somatiques (61). Les thérapeutiques choisies s’ancrent dans une volonté de prise en charge globale qui s’adapte aux différents éléments du tableau. Outre la dépression mélancolique où encore une fois la priorité était effectivement à l’hospitalisation, la prise en charge s’accompagne dans près de 90% des cas de mesures sociales et d’aides à domicile, s’appuie sur les partenaires tel que le réseau personne âgée dans 85 à 90% des cas, lutte contre l’isolement et le manque d’activité par le club senior dans 2/3 des cas. La prise en charge nutritionnelle intervient quasi-systématiquement en cas de perte de poids (dépression caractérisée post-deuil). Le bilan mémoire est notamment sollicité en cas de troubles cognitifs et la prise en charge fonctionnelle par kinésithérapie ou activité physique s’intègre dans la prise en charge du masque somatique. 

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