DISCOURS PRÉLIMINAIRE

DISCOURS PRÉLIMINAIRE

nous-mêmes que les objets qui affectent nos sens, l’on nous habitue à nous reposer entièrement sur le jugement des autres, à l’égard de grandes questions qui doivent influer à l’avenir sur nos raisonnemens, j’ai reconnu qu’il était d’autant plus difficile de réussir dans le projet de mes recherches que, parmi les pensées qui m’avaient été inspirées, il pouvait s’en trouver qui fussent dépourvues de fondement solide. Voulant donc agir ultérieurement, afin de savoir a quoi m’en tenir, voici le parti que j’ai cru devoir prendre : je me suis livré constamment à l’observation des faits, et me suis ensuite efforcé de rassembler tous ceux qui avaient été constatés par d’autres observateurs. Alors, faisant provisoirement abstraction de mes pensées et de toute opinion admise à l’égard des sujets que je considérais, j’ai long-temps examiné tous les faits parvenus à ma connaissance ; j’en ai tiré des conséquences, les unes générales, les autres plus particulières et progressivement dépendantes ; et j’en ai formé une théorie dont je présente ici les principes qui la fondent. A son égard, j’ai fait les plus grands efforts pour éviter un écueil contre lequel bien d’autres théories et nos raisonnemens divers viennent fréquemment échouer. Cet écueil consiste dans leur base trop souvent mal assurée, et sur laquelle néanmoins, sans la considérer désormais, on construit ensuite avec confiance.

L’observation étant celle sur laquelle tout repose dans mon ouvrage, il me parait difficile qu’on puisse en avoir une meilleure. Je n’entends pas infirmer les opinions que j’ai mises à l’écart ; mais comme la plupart me paraissent incompatibles avec les conséquences auxquelles je suis arrivé, j’offre ici simplement l’ensemble de ces conséquences, le donnant pour ce qu’il peut valoir. Tout ce que je puis dire, c’est que, si ces conséquences sont aussi fondées qu’elles me le paraissent, les opinions qu’elles repoussent sont toutes erronées, et que, s’il en est autrement, ma théorie doit être rejetée toute entière, comme étant sans fondement, cependant, tant qu’une démonstration rigoureuse ne prononcera pas sur son exclusion, j’en suivrai les principes, ne me permettant point de blâmer ceux qui croiront devoir ne les point admettre. Ayant une longue habitude de méditer sur les faits observés, ces principes ont obtenu toute ma confiance et ont dirigé toutes les considérations éparses dans mes divers ouvrages. Néanmoins, quoique je sois persuadé qu’aucun autre ne pourrait mieux offrir leur ensemble, dans un  cadre convenablement resserré, je ne me proposai nullement d’exécuter ce travail. Mais une circonstance malheureuse m’ayant subitement privé de la vue et interrompu le cours de mes observations sur les objets qui appartiennent à mon Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, j’ai dicté rapidement l’esquisse de ces principes.

Je les crois propres à fournir des sujets importans à la méditation de ceux qui sont dans le cas de pouvoir s’y intéresser. Mes points de départ surtout sont de la solidité la plus évidente, et me paraissent à l’abri de toute contestation raisonnable. S’il en est ainsi, leur considération est de la plus haute importance, et décide clairement sur la valeur des conséquences que j’ai à énoncer. Pour les amener, je dois présenter d’abord les considérations suivantes. Plus l’homme s’éclaire, plus il sent le tort que l’erreur peut lui causer, et plus les vérités qu’il découvre acquièrent de prix à ses yeux. Il reconnaît donc l’utilité et même la nécessité, pour lui, de remonter jusqu’à la source de ses connaissances, afin de s’assurer de leur solidité, et de ne confondre nulle part les faits positifs d’observations, ainsi que les conséquences forcées qui s’en déduisent, avec les suppositions et les Quant à la théorie que je me suis formée, je puis montrer qu’elle repose sur un ordre de vérité dont les premières sont et seront exclusivement les bases de toutes celles qui intéressent l’homme le plus directement, et auxquelles il peut atteindre. Leur force est telle, et leur évidence si manifeste, qu’elles seront à jamais l’écueil de toute pensée, comme de tout système ou hypothèse qui s’en écarterait en la moindre chose. Ainsi comme cette théorie peut servir, soit à diriger nos raisonnemens, soit à limiter les élémens qui doivent en faire partie, nous allons d’abord présenter les principes qui la fondent ; nous distinguerons ensuite les objets nécessairement créés de ceux qui sont évidemment produits ; et, les examinant successivement, nous terminerons par faire l’application des considérations qu’ils nous auront suggérées, à l’homme, à son état, à ce qu’il tient de la nature, et à la source de ses actions, dans les diverses circonstances où il se rencontre. Le manuscrit de ce petit ouvrage était presque terminé, lorsque je jugeai à propos d’y placer quelques articles tels que je les avais.

 

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