Dynamique des stratégies concurrentielles dans un contexte de libéralisation

Depuis quelques années maintenant, le secteur de l’énergie est en pleine ébullition. En effet, après plusieurs décennies placées sous le signe de la tranquillité grâce aux monopoles légaux, les opérateurs d’électricité et de gaz ont été pris dans la tourmente de la libéralisation (Soult, 2003 ; Fitoussi, 2003 ; Darmois, 2004 ; Chevalier, 2004). Même si le calendrier d’ouverture du marché européen à la concurrence n’a pas été précisément le même au sein des différents états membres, les échéances concurrentielles de 1999 d’abord, puis 2004 et 2007 enfin, ont provoqué indirectement une recomposition complète du paysage énergétique européen (Glachant & Finon, 2003, Chebel-Horstmann, 2006 ; Isidoro, 2006).

En effet, pour être prêt, puissants et compétitifs, les anciens monopoles nationaux spécialisés et souvent publics se sont lancés dans des transformations majeures visant à les positionner comme des énergéticiens européens, désormais cotés en Bourse (Finon & Midttun, 2004).

La libéralisation du secteur de l’énergie 

Les enjeux liés à cette transformation, qu’ils soient économiques, politiques ou environnementaux sont colossaux : des opérations financières de plusieurs dizaines de milliards d’euros, des centaines de milliers d’emplois concernés, des infrastructures stratégiques impliquant des questions d’indépendances énergétiques, de sécurité d’approvisionnement ou encore d’impacts sur le changement climatique…

Ainsi, le changement de statut puis l’ouverture du capital d’EDF et de GDF bouleversent l’histoire des services publics à la française et nous questionnent sur l’avenir de ces activités (salariés au statut IEG , avenir des centrales nucléaires, dépendance vis-à-vis de producteurs de gaz étrangers…). De même, peu après une acquisition du belge Electrabel par le français Suez, des rumeurs d’OPA hostile de la part de l’italien ENEL, accélèrent la piste d’un rapprochement entre le gazier GDF et Suez, sous l’impulsion du Premier Ministre Dominique de Villepin. En parallèle, et durant toute l’année 2006, le gazier espagnol GasNatural et l’allemand E.ON se disputent via une série de contre-OPA hostiles, la prise de contrôle de l’électricien espagnol Endesa, avant que l’ENEL avec un allié local (Acciona) n’entre également dans cette course à l’acquisition. Les parties prenantes sont ici variées et très engagées : les dirigeants, les salariés, de nombreux petits actionnaires, mais aussi des chefs d’états ou de gouvernement qui s’impliquent au nom de la souveraineté nationale et du patriotisme économique.

Enfin, dans un contexte de réchauffement climatique (Une vérité qui dérange, Rapport Stern, 4ème Rapport du GIEC…) , l’envolée du prix des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) place des opérateurs maintenant responsables financièrement et socialement, devant des choix stratégiques et des défis de grandes ampleurs tant au niveau de la commercialisation que de la production : politiques d’efficacité énergétique, investissement dans les énergies renouvelables, relance du nucléaire…

Ainsi en quelques années, les entreprises énergétiques, à l’instar d’autres industries de réseaux (transport ferroviaire, aérien, postes, télécoms…) sont entrées dans un univers concurrentiel particulièrement turbulent. Pour ces anciens monopoles, acteurs de premier plan dans la vie économique et politique dans nos sociétés développées, le processus de libéralisation apparaît comme une perturbation radicale de leur environnement stratégique. Une libéralisation correspond à l’introduction de la concurrence dans un secteur où elle n’existait pas ou très peu, c’est-à-dire un secteur strictement réglementé. Il s’agit ainsi d’une « modification profonde des modalités d’intervention de l’Etat, ou en d’autres termes à la mise en place de nouvelles formes de régulation publique » (Bergougnoux, 2000, p.209). Comme nous le  détaillerons ultérieurement, pour des raisons de sémantiques et de précisions à la fois juridiques et économiques, nous préfèrerons de ce travail, les termes de « libéralisation » ou de « nouvelles régulations » (Chevalier & al., 2002) aux termes plus polémiques de « déréglementation » ou de « dérégulation » (Lévèque, 2005).

Dynamique concurrentielle et libéralisation 

S’il a été davantage étudié d’un point de vue économique ou juridique, l’impact de la libéralisation d’une industrie reste un sujet encore trop peu étudié en management stratégique. En effet, comme l’a souligné Bonardi (2004), la stratégie d’anciens monopoles est un thème de recherche à part entière tant par l’intérêt empirique du sujet que par ses implications théoriques et managériales (l’avantage concurrentiel dans un environnement turbulent, les liens entre économie et politique, conséquences pour la régulation de ces secteurs…). Ainsi, et paradoxalement, très peu de travaux en management s’intéressent aux stratégies d’anciens monopoles ou de groupes stratégiques au sein de secteurs récemment libéralisés. Ce travail vise donc modestement à combler une partie de ce besoin de recherche en y contribuant grâce à la mobilisation du courant de la dynamique concurrentielle. A l’origine d’un renouvellement profond de l’analyse stratégique et du phénomène concurrentiel (Baumard, 2000 ; Mathé, 2001 ; Le Roy, 2002 ; Mathé, 2004 ; Bensebaa & Le Goff, 2005), le courant de la dynamique concurrentielle (« competitive dynamics », Smith & al., 1992 ; Chen, 1996 ; Baum & Korn, 1996 ; Smith & al, 2001 ; Ketchen & al., 2004), s’intéresse au phénomène concurrentiel dans le temps et dans l’espace au travers des comportements concurrentiels (séries d’actions & de réactions) de firmes. Notre objet de recherche (cf. Figure 1) s’est ainsi construit autour de la compréhension de l’évolution des comportements concurrentiels dans un contexte particulier de libéralisation.

En effet, cette période de libéralisation nous offre ainsi, une opportunité de recherche originale en management stratégique. S’intéressant à la construction d’un avantage concurrentiel, la réflexion stratégique, trouve ici un univers de recherche particulièrement stimulant. L’ouverture à la concurrence d’un marché autrefois en situation de monopole perturbe l’environnement stratégique des opérateurs en place. La compréhension de l’évolution de leurs comportements devient essentielle.

Cette thèse est donc le fruit de la rencontre de deux thèmes d’études qui n’ont jusqu’ici pas été suffisamment abordés : les nouvelles approches de la concurrence et les stratégies d’anciens monopoles suite à une libéralisation.

La place du terrain et notre méthode de recherche 

Notre terrain de recherche occupe une place toute particulière du fait notamment de la mise en œuvre de cette thèse dans le cadre d’une convention CIFRE. Confrontée à un univers nouveau, à la fois en cours de transformation et de construction, Electrabel France a souhaité initier cette recherche, en partenariat avec l’ERFI – Université de Montpellier I. Le besoin est alors de s’interroger et de comprendre la transformation du marché européen de l’énergie, c’est à dire un univers et des phénomènes concurrentiels complexes et immédiats.

En tant que « jeune chercheur », mais aussi « jeune manager cifre », nous nous sommes plongés dans l’étude et la compréhension du secteur passionnant qu’est l’énergie, et tout particulièrement, l’électricité. Notre intégration, durant près de quatre ans, en tant que Chargé de mission au sein d’Electrabel, nous a offert une opportunité exceptionnelle d’observer, questionner et comprendre les trajectoires des entreprises concernées. Nous avons en effet, dans la logique des travaux existant sur le thème de la dynamique concurrentielle (Le Roy, 2002), privilégié l’étude de cas longitudinale (Yin, 1994 ; Miles & Huberman, 1991 ; Hlady-Rispal, 2002) pour saisir au mieux les mouvements stratégiques des acteurs.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
1 ERE PARTIE : UN CADRE D’ANALYSE DES COMPORTEMENTS CONCURRENTIELS SUR UN MARCHE EN COURS DE LIBERALISATION.
CHAPITRE I : LA DYNAMIQUE CONCURRENTIELLE : ENTRE AFFRONTEMENT ET CONNIVENCE
SECTION 1 : LES NOUVELLES APPROCHES DE LA CONCURRENCE
SECTION 2 : DYNAMIQUE CONCURRENTIELLE, COMPETITION MULTIMARCHES ET RETENUE MUTUELLE
CHAPITRE II : LIBERALISATION ET STRATEGIE CONCURRENTIELLE
SECTION 1 : LIBERALISATION DES INDUSTRIES DE RESEAUX ET STRATEGIE D’ENTREPRISE
SECTION 2 : LA GESTION D’UN DOUBLE RISQUE STRATEGIQUE : CONCURRENTIEL ET INSTITUTIONNEL
SECTION 3 : NOTRE PROBLEMATIQUE ET NOS QUESTIONS DE RECHERCHE
CHAPITRE III : LE DISPOSITIF DE RECHERCHE ET LES ASPECTS METHODOLOGIQUES106
SECTION 1 : LE DISPOSITIF DE RECHERCHE
SECTION 2 : LES ASPECTS METHODOLOGIQUES
SECTION 3 : LE SECTEUR DE L’ELECTRICITE EN FRANCE : SPECIFICITE ET ORGANISATION
2 EME PARTIE : L’ANALYSE DES STRATEGIES CONCURRENTIELLES DES ACTEURS DU MARCHE FRANÇAIS DE L’ELECTRICITE ENTRE 1999 & 2006
CHAPITRE IV : L’ANALYSE DU CAS DE L’ANCIEN MONOPOLE DOMINANT : EDF
SECTION 1 : LA RESTRUCTURATION D’EDF : UNE VUE EN TROIS TEMPS
SECTION 2 : L’ETABLISSEMENT PROGRESSIF D’UNE SPHERE D’INFLUENCE
SECTION 3 : LA MAITRISE DES NOUVELLES REGLES DU JEU CONCURRENTIEL
CHAPITRE V : L’ANALYSE DES CAS DES PRINCIPAUX CHALLENGERS : ELECTRABEL &
ENDESA
SECTION 1 : LE CHALLENGER D’EDF EN FRANCE : ELECTRABEL, GROUPE SUEZ
SECTION 2 : LE NOUVEL ENTRANT ESPAGNOL : ENDESA
CHAPITRE VI : L’ANALYSE DES CAS DES AUTRES ANCIENS MONOPOLES & DES
NOUVEAUX ENTRANTS
SECTION 1 : LES AUTRES ANCIENS MONOPOLES D’EUROPE DU SUD : L’ITALIEN ENEL, ET LES ESPAGNOLS
IBERDROLA, UNIONFENOSA & HIDROCANATABRICO
SECTION 2 : L’ARRIVEE SUR LE MARCHE ELECTRIQUE D’OPERATEURS GAZIERS : GAZ DE FRANCE, ENI &
GASNATURAL
SECTION 3 : L’ENTREE SUR LE MARCHE DE FOURNISSEURS « LOW COST » : POWEO & DIRECT ENERGIE
CHAPITRE VII : SYNTHESE ET DISCUSSION DES RESULTATS DE LA RECHERCHE
SECTION 1 : LA SYNTHESE DE NOS RESULTATS DE LA RECHERCHE
SECTION 2 : LA DISCUSSION DE NOS RESULTATS
CONCLUSION GENERALE

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