Effet de la buspirone sur le réflexe-H chez la souris adulte décérébrée spinale

La locomotion est un mouvement rythmique semi-autonome. Ceci signifie que la séquence d’activité musculaire peut être générée de manière autonome par un réseau neuronal de la moelle épinière lombaire. L’activité de ce générateur de patron locomoteur spinal demeure néanmoins modulable par l’action des afférences sensorielles en vue d’accommoder le mouvement à l’environnement. Cet ensemble forme ainsi le système sensorimoteur sur lequel s’exerce le contrôle des voies supra spinales permettant l’adaptation du patron au besoin de l’individu. Cette organisation autorise donc théoriquement la possibilité d’évoquer un mouvement de type locomoteur des membres inférieurs suite à une section de la moelle épinière rostrale à la section lombaire. Cependant la perte de stimulation des voies descendantes notamment via le système sérotoninergique entraine une réorganisation inadéquate du système sensorimoteur empêchant l’ expression de la locomotion. En vue de permettre la réhabilitation de ce réseau neuronal, il est possible de reproduire la stimulation du système sérotoninergique par l’utilisation de la pharmacologie. Récemment notre laboratoire a démontré qu’un traitement par la buspirone permet la réexpression d’un réseau locomoteur fonctionnel chez des souris spinales (Jeffrey Gauthier et al., 2014). Cette molécule permet donc un changement de l’excitabilité du système sensorimoteur vers un état favorable à la locomotion.

Le mouvement locomoteur 

Un mouvement rythmique 

La possibilité de se déplacer est un élément fondamental à la survie des animaux. Dans cet optique, différents types de locomotion ont été développés incluant la marche, le vol, la nage … Un aspect inhérent à l’ensemble de ces stratégies est la répétition rythmique d’un même mouvement (Kandel et al., 2000). Cette vision stéréotypée est issue en partie de l’étude de la cinématique des pattes postérieures du chien pendant la marche au début du 20e siècle. Par l’analyse de clichés photographiques, Philippson (Philippson, 1905) décrivit quatre phases distinctes correspondant chacune à une activité musculaire spécifique lors d’un cycle locomoteur, soit la période entre deux contacts successifs du pied sur le support. Dans un premier temps, la flexion de la hanche, du genou et de la cheville permet l’élévation du membre. Cette première phase de flexion (F) est terminée par l’extension des articulations tibio-fémorales et tibio-tarsiennes tandis que l’articulation coxo-fémorale poursuit son mouvement vers l’avant (El). Par la suite le contact avec le sol initie l’extension de l’articulation coxo-fémorale accompagnée d’une brève flexion des deux autres articulations (E2) du membre qui se change rapidement en extension (E3). De ces observations on distingue donc deux périodes fondamentales. La première, le balancement, principalement caractérisé par une flexion de la hanche permettant la progression du membre vers l’avant. La seconde, l’appui, durant lequel la hanche se déploie et permet la propulsion de l’animal. La description du cycle locomoteur a ainsi permis de mettre en évidence la production d’une séquence d’activation musculaire spécifique coordonnant les différentes articulations du membre dans la production de la locomotion.

Un générateur spinal du rythme locomoteur 

A cette même époque, des études réalisées sur des chiens (Freusberg, 1874) et des chats (Sherrington, 1899) avaient déjà permis d’observer des mouvements de type locomoteur des membres postérieurs suivant une transsection de la moelle épinière. La comparaison des patrons locomoteurs obtenus chez un animal spinal et intact a ensuite vérifié l’existence d’une similarité dans la production du mouvement (Engberg, 1964, Engberg and Lundberg, 1969). Ceci indique que la production de l’activité musculaire de la marche ne nécessite pas l’intervention des voies supra-spinales.

Par ailleurs Sherrington montra également que des séquences d’activité de type locomotrice pouvaient être évoquées par des stimulations d’ordre extéroceptif suggérant la participation des réflexes dans la production de la locomotion. Il en vint donc à proposer une théorie d’enchaînement de réflexes selon laquelle l’alternance de réflexes de flexion et d’extension croisée sur le membre controlatéral était capable de générer le mouvement observé lors de la marche (Sherrington, 1910a). Dans le but de confirmer cette théorie une étude fut réalisée sur un chat spinal ayant subi une rhizotomie des racines dorsales (Brown, 1911). Ainsi l’information des afférences sensorielles n’est plus en mesure de stimuler la contraction réflexe. Toutefois des épisodes d’alternance entre fléchisseurs et extenseurs ont tout de même pu être observés sur un tel modèle suggérant davantage un système central de génération du patron (CPG) locomoteur.

Ce type de réseaux capables de générer une activité rythmique est également impliqué dans d’autres fonctions caractérisées par la répétition d’un patron musculaire comme la mastication (Nakamura and Katakura, 1995) ou la respiration (Suzue, 1984). Dans le cadre de ce mémoire, le terme CPG demeure cependant spécifiquement associé au CPG locomoteur. Ce réseau présente une composante phylogénétique très conservée au cours de l’évolution (MacKayLyons, 2002, Katz, 2015). Le CPG est donc présent chez toutes les espèces vertébrées et invertébrées (Grillner, 1985, Lydie, 1989) incluant l’humain (Dimitrijevic et al., 1998). En dépit de la grande variété de mouvements locomoteurs disponibles, l’organisation du réseau demeure comparable d’une espèce à l’autre.

Interaction sensorimotrice 

Participation des afférences dans la locomotion 

Si le CPG est capable de générer le rythme locomoteur à lui seul, la participation des afférences dans l’activité de ce réseau a déjà été suggéré par les travaux de Sherrington chez le chat (Sherrington, 1910a). D’autres études utilisant des animaux entrainés à marcher sur tapis roulant ont montré qu’ils sont capables d’adapter leur vitesse à celle imposée par le défilement de la surface malgré une lésion complète de la moelle épinière (Forssberg et al., 1980a, Forssberg et al., 1980b). Autrement dit, la stimulation des afférences par l’effet d’entrainement du membre est en mesure de modifier le rythme généré par le CPG. La détection de l’environnement et de la position du corps est essentielle à l’adaptation des comportements moteurs. L’intégration de ces informations extéro et interoceptives est assurée par les afférences en provenance des récepteurs sensoriels de la peau et des muscles. Dans le cadre de ce projet nous nous intéresserons principalement aux afférences musculaires de type proprioceptif. L’activation de ces fibres donne lieu à une réponse motrice stéréotypée générée par le système nerveux central, un réflexe qui participe à l’élaboration du mouvement.

Le muscle présente des structures appelées fuseaux musculaires contenant des terminaisons nerveuses sensibles à l’allongement du muscle. Les informations concernant la vitesse et le degré d’étirement sont relayées par les afférences la. Leur activation induit une contraction du muscle cible par un recrutement direct du motoneurone. Cette boucle sensorimotrice formée d’une seule synapse constitue le réflexe mono synaptique d’étirement. L’activation de ces fibres sensorielles favorise également le déplacement articulaire par l’inhibition de muscles antagonistes. Cette facilitation s’effectue via l’activation des intemeurones la dont le rôle consiste également à réduire l’inhibition réciproque en provenance des antagonistes (Hultbom et al., 1971). Il n’est pas encore clairement établi si ce réseau fait partie intégrante ou non du CPG mais il est actif lors de la locomotion (Degtyarenko et al., 1998, Burke et al., 2001) et facilite ainsi la coordination entre les fléchisseurs et extenseurs dans la production du mouvement (Hultbom et al., 1987, Guertin et al., 1995). Par ailleurs, les afférences la contactent également les motoneurones par une voie oligosynaptique permettant ainsi d’ajuster leur excitabilité (Quevedo et al., 2000). Cette stimulation serait responsable de 30 à 70% des potentiels excitateurs vers les extenseurs (Hiebert and Pearson, 1999).

Au niveau des organes tendineux de Golgi se trouvent les afférences lb qui avec les la forment les afférences dites «primaires ». Ces fibres sont activées par la tension du tendon soit la charge exercée sur l’articulation. Lors de la locomotion, leur activation prolongée pendant la phase d’appui bloque l’initiation du mouvement de flexion et maintien l’extension (Duysens and Pearson, 1980). Par leur activité pro extenseur, les afférences lb sont donc responsables de signaler la perte du contact avec le sol lors de la propulsion et ainsi d’optimiser l’efficacité de la marche.

Les afférences « secondaires» se retrouvent également au niveau des fuseaux musculaires. Ils sont activés par le degré d’allongement du muscle uniquement. Contrairement aux la, ces fibres sont non adaptables et continuent donc à réagir à l’étirement en absence de changement de la longueur du muscle. Cette mesure indirecte de l’ouverture articulaire est une information essentielle à l’optimisation de la transition de phase. Le degré d’extension de la hanche est particulièrement impliqué dans l’expression de la locomotion (Rossignol, 2006). L’ouverture de cette articulation permet de promouvoir le déclenchement de la locomotion, tandis que sa fermeture inhibe le rythme du membre ipsilatéral (Sherrington, 191 Ob).

Adaptation du réseau réflexe à la locomotion 

Les afférences sont donc en mesure d’agir en synergie avec le CPG dans la production du mouvement locomoteur. Toutefois, à l’état de repos, la stimulation de ces afférences entraine des réponses différentes voir opposées à celles observées lors de la locomotion. Dans ce sens, l’activité de la voie oligosynaptique des afférences la très marquée en période d’activité du CPG n’est pas ou peu présente lors du recrutement de ces fibres au repos (Gosgnach et al., 2000). D’autres perturbations du système réflexe ont également pu être mises en évidence lors de locomotion fictive par le renversement de la réponse motrice évoquée par les afférences Ib. Chez un animal au repos, la stimulation de ces fibres induit une inhibition du muscle associé. En revanche, une stimulation à un seuil et une zone comparable lors d’un épisode de locomotion facilite la contraction chez les extenseurs (Eccles et al., 1957, Lundberg et al., 1977, 1978, Jankowska et al., 1981, Conway et al., 1987, Gossard et al., 1994, Leblond, 2000). Un renversement du réflexe est également observé lors de l’activation des afférences du groupe II dépendamment de l’activité du CPG (Perreault et al., 1995, Stecina et al., 2005). Ces résultats pourraient être expliqués par la présence de plusieurs populations neuronales dont l’excitabilité serait tâche dépendante (Perreault et al., 1995, McCrea, 2001). L’existence d’un mécanisme de régulation des afférences apparait donc nécessaire à la synchronisation des réponses réflexes et de l’activité du CPG.

En effet, la multitude de réflexes évoqués lors de la marche peut imposer des contraintes importantes sur le rythme. L’initiation constante de réflexes non coordonnés avec le patron locomoteur s’avère alors contreproductif (Perreault et al., 1999). Lors de la marche près de 800 000 décharges sensorielles sont émises par seconde en réaction aux déplacements articulaires et pressions environnementales, pouvant évoquer chacune des réponses motrices différentes (Prochazka and Gorassini, 1998). Afin de permettre l’expression de la locomotion, il devient donc nécessaire d’être en mesure de réprimer certaines informations sensorielles en vue notamment de réduire l’affluence de potentiels au niveau des motoneurones et faciliter le mouvement (Rowell and Shepherd, 1996, Gosgnach et al., 2000, McCrea, 2001). Cette théorie s’appuie entre autre sur les observations de Grillner et Shik (Grillner and Shik, 1973) chez le chat décérébré dévoilant une dépression généralisée du réflexe de flexion peu avant l’initiation de la locomotion jusqu’à la fin de l’activité motrice. Le décalage entre l’initiation de cette inhibition et le mouvement indique une réorganisation du système sensorimoteur en préparation d’un épisode locomoteur et non induit par celui-ci. Ce décalage serait en partie lié à une diminution des potentiels excitateurs des afférences du groupe l au niveau des motoneurones lors de la marche (Gosgnach et al., 2000, Ménard et al., 2003). L’enregistrement des potentiels de champs présente également une inhibition marquée pour les groupes l et II en période de locomotion (Duefias and Rudomin, 1988, Noga et al., 1995, Perreault et al., 1999). La transmission synaptique entre les afférences et les motoneurones est donc réduite, suggérant l’intervention d’un réseau d’intemeurones exerçant une inhibition tonique au niveau présynaptique (Gosgnach et al., 2000).

Table des matières

Chapitre 1 : Introduction
l.Mise en contexte
2.Le mouvement locomoteur
A.Un mouvement rythmique
B.Un générateur spinal du rythme locomoteur
3.Interaction sensorimotrice
A.Participation des afférences dans la locomotion
B.Adaptation du réseau réflexe à la locomotion
4.Régulation du système sensorimoteur
A.Influence des voies descendantes
B.La sérotonine comme médiateur
5.Rôle des différents récepteurs sérotoninergiques
A.5HT2
B.5-HT7
C.5-HT1A
6.Effet d’une perte du contrôle supra-spinal sur le réseau
A.Dérégulation du système sensorimoteur
B.Maladaptation du système sensorimoteur
7.Stratégie de récupération d’un réseau locomoteur fonctionnel
A.Effet de l’entrainement
B.Utilisation d’un traitement sérotoninergique
8.Modèle d’étude
A.Détermination du modèle animal
B.Le réflexe-H
C. Stratégie d’anesthésie
Problématique
Chapitre 2 : Article
1. Abstract
2. INTRODUCTION
3. METHODS
A. Animal care and ethics
B. Anesthesia
C. Spi na lization
D. Decerebration
E. H-reflex recording
F. Buspirone administration
G. Data acquisition and analysis
4. RESULTS
A. H-reflex in acute spinal decerebrated mice
B. Buspirone effect on the H-reflex
C. FDD of the H-reflex
5. DISCUSSION
A. Buspirone act as a 5HT1A receptor agonist on the monosynaptic reflex
B. Opposite effect of 5HTlA according to receptor location on the motoneuron
C. Biphasic effect of 5HTlA receptors over time
D. Reflex inhibition and locomotion
6. Figure Legends
7. References
Chapitre 3 : Discussion et conclusion

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