Effet de la cristallisation des sels sur l’altération – Pression de cristallisation

Le sel, agent d’érosion 

La sensibilité des roches au sel est pressentie depuis longtemps. Herodotus (-450 av. J.C.) observe l’érosion des temples et monuments et met en cause le sel, l’eau, le vent, les plantes et les produits de conservation. « Le sel exsude du sol et affecte les Pyramides » (Goudie et Viles, 1997). C’est à partir du du 19ème siècle que l’action du sel commence à être sérieusement mise en cause dans les mécanismes d’altération. Dans des environnements très différents, partout dans le monde, on remarque que la dégradation des roches et des pierres de construction est souvent associée à la précipitation de sel à leur surface. En Ecosse, Miller (1841) observe le vieux grès rose salifère s’effriter les jours de soleil et l’associe avec le sel qui exsude des roches de construction. En Egypte, Walther (1912) et d’autres auteurs sont convaincus du pouvoir du sel dans l’érosion des roches calcaires des bâtiments. Le sel serait alors impliqué aussi bien dans les phénomènes d’érosion des paysages que dans la dégradation des batiments de construction et des monuments historiques, dans des environnements variés, des déserts arides aux zones cotières des régions tempérées.

Description et localisation d’une figure particulière d’altération : l’alvéolisation 

Parmi les figures d’érosion attribuées au sel, l’alvéolisation est très vite remarquée, à cause de sa géométrie particulière, parce qu’elle affecte tout type de roche et qu’elle existe des environnements très différents. La roche est creusée de cavités arrondies, sans orientation particulière, et de différentes tailles . Les plus petites, les alvéoles, (millimétriques à centimétriques), particulièrement remarquables, sont décrites par Dana (« pockets ») et Darwin (« honeycombs ») au milieu du 19ème siècle. Celles-ci sont très fréquentes en zone côtière (Goudie et Viles, 1997), mais aussi près des cours d’eau, en particulier sous les ponts . Les « tafoni » sont des cavités plus grandes qui forment des sortes de cavernes si la roche est altérée près du sol , et sont également présents en bord de mer. Ils peuvent être issus de la fusion des alvéoles (Prebble, 1967 ; André et Hall, 2005; Zwalinska et Dadski, 2012, fig. 3b-c) et témoignent alors d’un degré plus avancé d’altération. La taille des cavités semble aussi contrôlée par le type de roche. Au même endroit, les granites ont tendance à former des tafonis alors que des roches à grains plus fins comme les schistes sont couverts de petites alvéoles .

A une plus grande échelle, les « pedestal rocks » (Fig. 3u-w) et « mushroom rocks » sont le résultat de l’altération à la base de la roche et sont typiques des déserts chauds comme ceux de Jordanie, d’Australie, de Namibie, d’Egypte ou de Californie (Cooke, 1981 ; Goudie et Viles, 1997).

Dans les années 50, les mêmes figures, en particulier les tafonis et les alvéoles, sont observés en Antarctique sur les granites, également sur plusieurs types de roches : le gneiss et le basalte (e. g. Prebble, 1967 ; Matsuoka, 1995 ; Hall et al., 2002 ; Strini et al., 2008) et les roches sédimentaires (André et Hall, 2005). Leur forme est très similaire à celles observées dans les autres parties du monde : par exemple, les tafoni d’Antarctique (Fig. 3p-q) et de la côte Est de l’Espagne (Fig. 3m-o) sont très ressemblant et orientés de la même façon par rapport à la mer.

Conditions nécessaires à l’altération par le sel 

L’alvéolisation affecte tous les types de roches, à partir du moment où elles sont poreuses : les calcaires (e. g. Cooke, 1981) et les grès (e. g. Mc Greevy, 1985) mais aussi les roches plus massives comme les roches métamorphiques et magmatiques même légèrement fracturées (e. g. Matsuoka, 1995 ; Hall et al., 2002 ; Cardell et al., 2003).

Ce type d’altération affecte les roches sous des climats qui paraissent à première vue très différents mais ont en commun deux conditions : la présence de sels en solution et une faible humidité relative. L’alvéolisation a été beaucoup étudiée et de nombreux auteurs la considèrent comme un des résultats de l’altération par le sel (e. g.Wellman et Wilson, 1965, Evans, 1970 ; Cooke et Smalley, 1968 ; Bradley, 1978 ; Mustoe, 1982). Aussi, les débris de roche contiennent souvent du sel (Mc Greevy, 1985 ; Mustoe, 1982) confirmant son rôle important dans le processus d’érosion. Pour altérer la roche, les cristaux de sel doivent précipiter dans la porosité. La solution salée est aspirée par capillarité par les roches poreuses, et s’évapore dans des conditions de faible humidité. En s’évaporant, la concentration de la solution augmente et peut ainsi atteindre le seuil de saturation vis-à-vis de certains sels, conduisant à leur cristallisation. Dans le cas – fréquent – de l’absorption capillaire de la nappe, le maximum d’altération est observé à une certaine hauteur. Cette zone est l’équivalent de la zone insaturée au-dessus des nappes souterraines ou l’eau s’évapore et coexiste avec l’air. C’est à cet endroit que l’évaporation peut être supérieure à l’apport de solution, induisant la sursaturation et la cristallisation des sels qui vont dégrader la roche ou le matériau (e. g. Benavente et al., 2001 ; Scherer, 2004).

Sels
Les types de sels et leur concentration varient en fonction de la source et de la façon dont ils sont transportés et concentrés autour puis dans la roche. Si on prend l’exemple des zones cotières, où l’altération est très fréquente, les roches et batiments sont exposés aux marées, aux embruns et à la nappe salée, qui apportent principalement des chlorures de sodium. La halite et un peu de gypse sont retrouvés dans la porosité des roches, et la halite semble ouvrir des fractures et en provoquer de nouvelles (Cardell et al., 2003). Dans les déserts arides et semi-arides comme l’Egypte ou la Namibie, le sel provient essentiellement de la mer (NaCl) et de la dissolution des carbonates. Il est transporté par le vent et les nuages, et la nappe (Cooke, 1981) jusqu’à des zones où il s’accumule, en particulier près des lacs salés (Playas) ou dans les plaines côtières (Sebkhas). Les concentrations en sel très élevées sont à l’origine d’importantes altérations et d’accumulations de sel à la surface (Cooke, 1981), comme les « pedestal rocks » qui sont typiques de ces régions (Fig. 3u-w). Leur forme particulière serait liée à l’érosion maximale à une certaine hauteur (au niveau du rétrécissement), là où les sels précipitent (zone capillaire). A l’abri de la pluie, la roche n’est pas lessivée, ce qui empêche la dilution de la solution et favorise la sursaturation. La cristallisation des sels y est donc favorisée par rapport au toit de la roche, son action érosive sculpte la roche de cette façon particulière en accentuant sa forme en champignon (Goudie et Viles, 1997). Le même phénomène explique la forme des tafoni présents souvent en bord de mer. Ils sont simplement plus orientés, le renfoncement se développant souvent d’un seul côté (Fig. 3m-r), probablement parce que les faces de la roche ne sont pas exposées aux mêmes conditions.

Dans les terres, il est fréquent de trouver des alvéoles près des cours d’eau, comme sur les ponts ou les bâtiments près des rives, en particulier à l’abri de la pluie et du lessivage des sels (Fig. 3g-i, Fig. 4f-g). Le sel proviendrait de l’eau douce (rivières, nappes souterraines), qui transporte des ions issus de la dissolution des roches. Plus rarement, le sel altère les roches loin des cours d’eau, s’il peut être transporté et s’accumuler. Par exemple, les blocs de grès de Fontainebleau près de Paris (Fig. 3t), bien connus des grimpeurs, sont en forme de tafoni, et sont par endroit couverts d’alvéoles, suggérant une altération par le sel. Les blocs aspireraient la solution de la nappe par capillarité, qui s’évaporerait, et des sels précipiteraient au niveau de la zone capillaire, et à l’abri de la pluie, comme dans le cas des pedestal rocks.

Les bâtiments et monuments en villes sont particulièrement exposés à l’altération par le sel. La pollution apporte des nitrates et des sulfates, qui sont transportés par la nappe souterraine, mais aussi par l’humidité de l’air. Les sels de sulfate de sodium, qui s’accumulent en ville, sont particulièrement agressifs et causent d’importants dommages sur les monuments historiques et bâtiments de construction (e. g. Goudie et Viles, 1997 ; Scherer, 1999).

Les sels de Na2SO4 ne sont pas uniquement présents en milieu urbain. On les trouve également en Antarctique et dans les lacs salés de certains déserts chauds, comme Soda Lake en Californie. En Antarctique, les sulfates sont présents en grande quantité et leur concentration augmente à mesure que l’on s’éloigne du bord de mer. Les chlorures issus de l’océan ne sont pas transportés à cause de la direction des vents dominants et leur concentration chute très rapidement dans les terres (Matsuoka, 1995). La halite est retrouvée dans les roches du bord de mer, et provoque leur altération (Strini et al., 2008), tandis que les sels retrouvés à l’intérieur des terres sont des sulfates, en majorité le gypse (CaSO4. 2H2O). Son pouvoir érosif est très faible, même si les roches y sont exposées pendant plusieurs années, mais son acccumulation à plus long terme finit par provoquer la désintégration des roches (Matsuoka, 1995). Si les sels de Na2SO4 sont beaucoup moins représentés, leur pouvoir d’altération est bien plus important, et plus rapide. Cet effet est largement confirmé par les travaux expérimentaux (voir section 3), les sels de Na2SO4 étant capable de désintégrer un échantillon de roche en quelques cycles d’imbibition séchage.

Si les sels de Na2SO4 sont reconnus pour leur fort pouvoir érosif, celui de la halite est controversé. Pour certains auteurs (e. g. Cooke, 1981), elle n’aurait qu’un faible effet sur le terrain car elle précipiterait principalement à la surface de la roche (efflorescence, voir section 1.3), alors que pour d’autres auteurs (e. g. Matsuoka, 1995), son effet serait comparable aux sels de Na2SO4. En fait, il semblerait que l’effet du NaCl soit fortement contrôlé par les conditions environnementales, comme on va le voir dans les prochaines sections.

Humidité relative et température
Comme la présence de sel, l’humidité relative apparait comme un autre facteur limitant de l’altération par le sel. En effet, ce type d’altération existe dans les zones arides ou sous des climats à fort contraste d’humidité, que les régions soit chaudes ou froides (e. g. Wellman et Wilson, 1965 ; Goudie et Viles, 1997). Typiquement, les déserts alternant les journées chaudes et sèches avec les nuits froides et humides comme l’Egypte ou la Namibie (Cooke, 1981) où les zones à mousson sont particulièrement vulnérables. En Antarctique, l’altération liée au sel est présente en bord de mer, mais aussi dans les zones arides et froides exposées au vent, qui constituent la majorité du paysage. Dans les terres, la roche aspire la solution issue de la fusion de la glace (glaciers ou permafrost) qui s’est chargée en ions (l’anion majoritaire étant le sulfate). La faible humidité favorise l’évaporation de la solution qui conduit à la cristallisation des sels. Le phénomène est amplifié si le contraste en humidité relative est élevé (Prebble, 1967 ; Matsuoka, 1995), probablement parce que ces conditions favorisent la cristallisation répétée de sels. L’humidité relative apparait alors comme le paramètre environnemental clé de l’altération par le sel, et la température joue un rôle en modifiant les constantes d’équilibre sel-solution. Les variations importantes de température sont connus pour favoriser l’altération, surtout si elles comprennent la température de cristallisation (e.g. Wellman et Wilson, 1965 ; Kwaad, 1970).

Table des matières

Introduction générale
1 Erosion, altération et conditions d’évaporation
2. Objectifs et approche
3. Plan du manuscrit
Première partie Effet de la cristallisation des sels sur l’altération – Pression de cristallisation
I Etude bibliographique
1. Le sel, agent d’érosion
1.1. Description et localisation d’une figure particulière d’altération : l’alvéolisation
1.2. Conditions nécessaires à l’altération par le sel
1.3. Figures d’altération
2. Conceptualisation du phénomène
2.1. A l’échelle du pore : modèle classique de pression de cristallisation
2.2. A l’échelle du réseau poreux
3. Travaux expérimentaux
3.1. Protocoles utilisés
3.2. Interprétation de la littérature
4. Résumé de l’étude bibliographique
II. Etude expérimentale
1. Matériel et protocole : cristallisation de sels dans des microcapillaires
2. Rôle de la forme et de l’état de surface du capillaire
3. Cristallisation dans le système Na2SO4
4. Re-imbibition des capillaires post cristallisation
4.1. Imbibition des microcristaux primaires de thénardite
4.2. Imbibition des microcristaux issus de la déshydratation de la mirabilite
4.3. Imbibition des cristaux massifs de thénardite
5. Refroidissement des capillaires post cristallisation
5.1 Mise en évidence de la mirabilite dans un espace restreint
5.2 Deuxième cas : Cristal « sec »
5.3. Fracturation
5.4. Mouvement des cristaux
III. Discussion
1. Coopération thénardite-mirabilite : sursaturation et géométrie
2. Modèles de contrainte
3. Projection dans le milieu naturel : porosité et conditions environnementales
Deuxième partie : Effets de la tension capillaire
I Introduction
1.1. Effets de la tension capillaire
1.2. Tension capillaire dans un macro-volume et métastabilité
II. Physique et thermodynamique capillaire
1 Physique de la capillarité : Young- Laplace, Young-Dupré et Kelvin
1.1. Equilibre mécanique de Young Dupré – notion de tension de surface
1.2. Equilibre mécanique de Young Laplace
1.3. Equilibre chimique de Kelvin – force motrice de la capillarité
2. Thermodynamique capillaire
2.1. Equilibres solide –eau sous tension
2.2. Equilibres gaz – eau sous tension
III. Approche expérimentale
1. Système capillaires
1.1. Matériel et méthode
1.2. Interaction sel – solution
1.3. Interaction gaz – solution capillaire
2. Tension de l’eau dans un macro-volume fermé : effets mécaniques
2.1. Matériels et protocole : inclusions fluide et spectroscopie Raman
2.2. Résultats et interprétations
Conclusion

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