Enjeux et effets du partenariat association / puissance publique

Instrumenter le développement économique

Devenu une responsabilité nouvelle de l’Etat moderne (Reynaud J-D., 1997) et comprenant le champ de la création d’entreprise et les politiques publiques de l’emploi, le développement économique2 est identifié comme générateur de richesses, d’emploi et d’attractivité. De ce fait logiquement considéré par les responsables politiques comme un enjeu primordial, il est un espace sociopolitique à réguler, un écosystème d’acteurs à organiser et un ensemble d’objectifs politiques à instrumenter. Nous allons ici considérer In’ESS 91, dispositif d’appui à l’émergence d’entreprises socialement innovantes à la jonction entre les champs du développement économique et de l’Economie Sociale et Solidaire, qui, de toutes façons, s’interpénètrent, comme l’instrument technique localisé (en Essonne) d’un instrument d’ordre économique, à savoir l’ensemble des subventions accordées par la puissance publique aux initiatives pour accompagner l’apparition et le développement de nouvelles entreprises sociales. En reprenant la terminologie proposée par les théories de l’instrumentation de l’action publique (Lascoumes P. et Le Galès P., 2005 ; Halpern C., 2014 ; Vitry C. et Chia E., 2016)3, selon lesquelles « un instrument d’action publique est un dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses partenaires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur »4, l’incitation financière est l’instrument principal, In’ESS 91 est la technique de mise en oeuvre locale et les actions déployées par In’ESS 91 sont les outils d’une action publique en faveur du développement économique, selon une logique en « entonnoir géographique », allant du moins au plus local. Ces précisions étant faites, nous allons utiliser indistinctement les termes d’outil, de dispositif et d’instrument pour qualifier In’ESS 91.

En tant que maillon presque insignifiant de la régulation économique nationale, In’ESS 91 est un « mini instrument ». Mais c’est un maillon tout de même. L’appréhender comme un instrument ne signifie pas forcément adopter une perspective foucaldienne (la puissance publique stratège est capable de penser, créer et mettre en oeuvre des instruments de domination et de contrôle parfois invisibles) même s’il s’agit in fine d’une forme de « gouvernement des conduites » des entrepreneurs (Dubuisson-Quellier S., 2016). Cela permet surtout de s’interroger sur le système créé par l’instrument et autour de l’instrument, sur le processus et l’espace de régulation, où les acteurs régulés sont aussi régulateurs dans la mesure où ils contribuent à créer les systèmes dans lesquels ils évoluent (De Terssac G., 2003). Ce premier chapitre s’articule autour de trois axes de l’instrumentation du développement économique : l’Economie Sociale et Solidaire, le partenariat entre la puissance publique et le monde associatif puis le rôle des entreprises. Dans la première partie, nous tenterons d’abord d’appréhender et de circonscrire (et non de définir) l’Economie Sociale et Solidaire puis de décrire Essonne Active et In’ESS 91. Dans une seconde partie, nous analyserons les enjeux et les effets découlant des stratégies de partenariats entre puissance publique et associations. Enfin, dans une troisième partie, nous analyserons les enjeux du repositionnement du monde économique.

Un contexte sectoriel (l’ESS), une organisation opératrice (Essonne Active), un dispositif (In’ESS 91) Avant d’exposer la genèse et le fonctionnement d’In’ESS 91, nous allons d’abord nous attacher à décrire l’Economie Sociale et Solidaire en tant que contexte dans lequel s’est créé et se met en oeuvre In’ESS 91 puis l’organisation Essonne Active, qui a participé à la création d’In’ESS 91 et en est aujourd’hui l’opératrice.

a. L’Economie Sociale et Solidaire : un champ encore en construction composé de segments de différents champs Paradoxalement, alors qu’elle impacte la vie d’un grand nombre de citoyens d’une manière ou d’une autre, l’Economie Sociale et Solidaire reste un paysage méconnu, aux contours flous y compris pour les acteurs du champ. Composée d’acteurs hétérogènes qui n’acceptent pas forcément leur appartenance à une même famille ou qui n’ont pas conscience de faire partie du même champ, traversée de controverses idéologiques fortes, réglementée de manière fragmentée, son histoire est encore en train de s’écrire. « C’est tellement large ! Parce que tout s’imbrique. » Monique, La Poste « On n’aurait pas forcément la même définition en ayant raison tous les deux. » Antoine, Réseau Entreprendre Nous retrouvons souvent un principe métonymique pour définir l’ESS, avec des définitions de l’ESS basées sur une partie de ce qu’elle recouvre (une activité, un type de statuts, quelques acteurs emblématiques), et donc une vision parcellaire de ce qu’elle est. « Une entreprise qui a une activité permettant d’avoir une vision sociale… et solidaire… notamment par de l’insertion de publics en difficultés. » Amélie, CCIE La littérature académique a également plusieurs manières de l’appréhender, avec des définitions institutionnelles basées sur des critères de statuts et de fonctionnement, des définitions de positionnement basées sur sa place interstitielle entre l’économie de marché et l’Etat et des définitions d’intention prenant pour critère la volonté des acteurs de l’ESS de mettre l’économie au service de la société (Richez-Battesti N., Vallade D., 2009). Les trois grandes familles françaises de l’ESS sont nées à des époques différentes dont elles sont le reflet.

b. France Active, Essonne Active : la finance au service de l’insertion Le réseau France Active appartient à la famille de l’économie solidaire : la tête de réseau et les opérateurs locaux sont des associations qui ont vu le jour dans le but de favoriser l’insertion socioprofessionnelle par l’entrepreneuriat de personnes plus ou moins exclues grâce à des outils financiers. C’est de ce double objectif (faire sortir de l’exclusion par l’entrepreneuriat et favoriser l’entrepreneuriat par des outils financiers) que découlent toutes les activités du réseau et de ses membres. En d’autres termes, le mythe fondateur à deux têtes est le suivant : l’entrepreneuriat est une réponse adéquate à l’exclusion en tant que générateur de richesses, d’empois et d’inclusion sociale et la finance est un outil que l’on peut mettre au service de cet entrepreneuriat « insérant ». Institution financière soumise à la réglementation bancaire et financière, le réseau France Active s’est historiquement construit en s’adressant à deux cibles distinctes. D’une part les créateurs d’entreprise catégorisés comme fragiles et de ce fait ayant des difficultés à accéder au système bancaire, les prêts sollicités par eux étant perçus par les banques comme trop risqués aux vues de leurs profils ou de la faiblesse de leurs apports. A ces entrepreneurs, France Active propose une gamme de garanties d’emprunt bancaire et/ou de prêts personnels à taux zéro pour favoriser leur « bancarisation », c’est-à-dire leur accès à la banque. Et d’autre part les structures elles-mêmes « insérantes », d’abord les structures d’insertion puis les structures de l’Economie Sociale et Solidaire. Selon Christian Sautter, président de France Active de 2000 à 2018, il s’agissait pour les fondateurs de « défendre les plus marginaux des chômeurs et leur faire une place dans une économie dominante axée sur la rentabilité et sur la rente » avec « l’ambition d’utiliser les armes même du capitalisme pour défendre la cause des exclus ! »11.

Instrumenter la régulation territoriale

Lorsqu’il devint évident que notre travail s’orientait vers la notion de territoire, une inquiétude montait en nous ; comment revenir sur une notion dont la définition semble inatteignable voire épuisée tellement de choses ont été écrites ? Pourquoi revenir encore sur un terme si usité qu’il nous apparaît galvaudé, ennuyeux voire vide de sens ? Comment résoudre cette « énigme du territoire piégé entre, d’une part, sa polysémie ambiguë et, d’autre part, sa puissance évocatrice et explicative »38 ? Alimentant cette inquiétude, le souvenir lointain d’une scène du film d’Alain Resnais « On connaît la chanson » (1997) : « Une thèse sur quoi ? / Les chevaliers paysans de l’an 1000 au lac de Paladru. / Mais… euh… il y a des gens que ça intéresse ? / Non, personne… ». La notion de territoire, très conceptuelle, nous apparaissait en contradiction avec la nécessité de centrer notre étude sur un terrain et porteuse du risque de noyade dans des considérations géo-socio-politico-philosophiques. « La carte est plus intéressante que le territoire » écrit M. Houellebecq (2010). Pour C. Le Corroller (2012)39, le territoire est un « objet vivant » et « avant tout un espace géré par les élus et les équipes administratives » qui font vivre et légitiment les limites qu’ils ont dessinées. Dans le même article, l’auteure cite B. Pecqueur (2009) qui évoque des phénomènes de personnification du territoire et des comportements possessifs ; le territoire devient un personnage que certains s’approprient. B. Pecqueur distingue par ailleurs le « local », notion géographique, et le « territorial », notion sociopolitique : « le local renvoie à une échelle tandis que le territorial renvoie au mode de construction par les acteurs ». La notion de territoire apparaît dans les années 70’ grâce à un phénomène de la translation entre le « fait régional » et le « fait territorial » avec l’idée sous-jacente que cette nouvelle maille permet « de fonder une économie des proximités »40. Le « fait territorial » accompagne un phénomène de reterritorialisation partielle de l’économie, corollaire d’une réorganisation postfordiste du système productif où de nouveaux « gisements de compétitivité » apparaissent sur les territoires en tant qu’« emboîtement de systèmes hiérarchisés auto-organisés », « communauté de pratiques dédiée à la résolution d’objectifs opérationnels » et « système apprenant et capable de réflexivité pour agir sur son devenir »41.

Table des matières

Introduction
PARTIE I : Instrumenter le développement économique
1. Un contexte sectoriel, une organisation opératrice, un dispositif
a. L’ESS : un champ encore en construction composé de segments de différents champs
b. France Active, Essonne Active : la finance au service de l’insertion
c. Genèse et description du dispositif In’ESS 91
2. Enjeux et effets du partenariat association / puissance publique
a. Instrumentation de l’action publique ou instrumentalisation des associations
b. Régulation socio-économique des organisations ou gouvernement des conduites
3. Les entreprises : centralité et renouvellement des attentes externes et des stratégies internes
a. Appropriation des nouvelles attentes externes : de la création de richesse à la création
d’emploi et la coopération avec les autres acteurs
b. Opportunités et risques de la montée en puissance des entreprises dans le financement de l’intérêt général
PARTIE II : Instrumenter la régulation territoriale
1. L’Essonne : un territoire ?
a. Représentations essonniennes autour de la notion de « territoire
b. Le département de l’Essonne : découpage(s) administratif(s) et maille du « faire » des
acteurs de l’ESS
2. In’ESS 91 : instrument d’animation territoriale et de coopération
a. Force des logiques d’animation, faiblesse des logiques de coopération : un écosystème avec
des parties constituantes faiblement prenantes
b. Développement durable et territoire en Essonne : réalités des dynamiques d’ancrage local.
c. Animation territoriale, logiques d’apprentissages et fabrique d’un territoire
PARTIE III : In’ESS 91, marqueur d’une recomposition sociopolitique
1. L’innovation sociale : vieille réalité, nouvelle sémantique, nouvel écosystème d’acteurs
a. L’innovation sociale : vieille réalité, nouveau concept
b. A nouvelle sémantique, nouvel écosystème d’acteurs : recomposition autour de l’accompagnement à « l’émergence
c. L’innovation sociale : une opportunité aussi pour les entreprises
2. Recompositions externes, évolutions internes : les réponses d’un opérateur au nouveau monde qui le bouscule
a. France Active, mise en mouvement d’un réseau : renouvellement du discours ou renouvellement des pratiques
b. In’ESS 91: marqueur et instrument de la recomposition en pleine recomposition
Conclusion
Bibliographie

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