Éthique et moralité ordinaire dans la pratique du diagnostic prénatal

Éthique et moralité ordinaire dans la pratique du diagnostic prénatal

Les analystes talentueux qui ont écrit sur les contes de fées nous pardonneront notre emprunt basique à Charles Perrault dont nous prendrons le conte comme une parabole d’une certaine idée de la parentalité. Les premières phrases du conte désormais classique de Charles Perrault pose les bases de ce qui a été (et qui est encore) tenu pour des malheurs absolus, la stérilité et la perte d’enfants jeunes qui ne permettent pas de donner naissance à une seconde génération. Le roi et la reine du conte avaient tout ce qui pouvait être décemment enviable et pourtant, leur bonheur ne pouvait être parfait. Leur union était stérile. Enfin l’enfant vint et fût fêtée, mais la félicité consécutive à sa naissance fût de courte durée: une méchante Fée3 condamna la belle princesse et jeta la consternation parmi les invités au baptême. Aujourd’hui, dans les sociétés occidentales, les malheurs du roi et de la reine ne seraient plus inévitables. Grâce aux avancées de la médecine de la reproduction, on peut gager que leur bonheur ne serait plus suspendu à une volonté divine mais plutôt à la température d’une éprouvette, et le diagnostic prénatal ou pré-implantatoire pourrait prévoir les éventuels mauvais sorts attachés à certains embryons et ne réimplanter que ceux garantissant la pérennité de leur nom pour des générations. Les dernières décennies du vingtième siècle, déjà riche en péripéties scientifiques, ont vu l’avènement de techniques médicales donnant accès à l’intérieur des femmes enceintes. Ces prouesses furent célébrées par des commentateurs enthousiastes, mais réveillèrent aussi quelques craintes. La grossesse devint de plus en plus un phénomène naturel devant être encadré par le savoir médical auquel les femmes se soumettaient d’autant plus volontiers qu’il leur apportait l’espoir d’échapper à la fatalité et au malheur. Dans quelle mesure cet abandon de souveraineté n’allait-il pas leur être dommageable ? Comment le rapport au fœtus qu’elles portaient allait-il se modifier ?

A quoi son interlocutrice répond par un silence et un appel téléphonique à son mari. Elle raccroche après un long conciliabule et se tourne vers le médecin : « Docteur, … nous ne le prenons pas. » L’accessibilité nouvelle du fœtus pose donc la question de ce qu’on fait des informations obtenues, et laisse craindre que s’instaure une relation au fœtus-produit-de-consommation qu’on refuse s’il n’a pas les caractéristiques demandées. L’encadrement de plus en plus soutenu de la fonction reproductive féminine, de la contraception jusqu’à l’accouchement interroge également l’idée que peuvent se faire les femmes du rapport à leur corps. Aux débuts des années 90, une de mes amies, que je nommerai Candide, me raconta cette histoire singulière dont elle avait été le personnage principal. Mariés depuis quelque temps, son époux et elle avaient envie de fonder un « vrai » foyer et d’avoir des enfants. Candide prenait la pilule depuis quelques années et sur une impulsion, prit rendez-vous avec une gynécologue obstétricienne. Lorsque celle- ci, comme il est d’usage lors d’un rendez-vous, lui demanda poliment : « qu’est- ce qui vous amène ? », Candide expliqua gentiment que bon, voilà, elle prenait la pilule depuis tant d’années et que maintenant, elle et son mari désiraient un enfant et conclut son explication par « qu’est-ce que je dois faire ?». A l’air interdit de son interlocutrice, elle sentit l’incongruité de sa question (qui la fit beaucoup rire a posteriori). La gynécologue, heureusement, comprit à sa mine qu’elle ne demandait pas de cours d’éducation sexuelle. Elle se reprit, procéda à un examen gynécologique et répondit sur un ton professionnel que Candide devait impérativement terminer sa plaquette de pilules entamée et la munit d’une courbe sur papier millimétré pour noter ses températures lorsqu’elle aurait arrêté la pilule. Cela lui permettrait d’avoir une bonne idée de la date de l’ovulation et de la fécondation, éléments très utiles par la suite. Candide se demanda plus tard quelle mouche l’avait piquée, l’incitant à effectuer une telle démarche. Elle avait, bien sûr, une idée de la façon dont ont fait les enfants, mais puisque la médecine lui permettait depuis quelques années d’avoir une sexualité sans avoir d’enfant, il lui avait paru logique de se référer à nouveau à l’expertise médicale avant d’en concevoir un. La gynécologue, rendue un temps muette par l’ingénuité apparente de sa patiente, finit par trouver une attitude à adopter en procédant à un examen et en proposant des courbes de température. Ces trois histoires autour de la parentalité, celle de la Belle au Bois Dormant, la « mère » de Brétécher et la « gaffe » de Candide illustrent assez bien la question sous-jacente à la présente thèse.

 

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