Evacuation, stockage et transformations simples des fumiers

Différentes pratiques d’évacuation du fumier hors du bâtiment d’élevage

De nombreuses variations existent dans les pratiques de gestion des effluents ; cependant, la plupart des poulaillers sont curés après 3 à 6 bandes élevées dans un même bâtiment aux Etats-Unis d’Amérique. Plus le nombre de bandes élevées sur la même litière croît, meilleure est sa valeur nutritionnelle pour les plantes, et les différences entre la zone « dortoir » et les autres zones dans le poulailler deviennent minimes après quatre bandes. En France, le curage complet du bâtiment est réalisé après chaque départ de lot (Ritz et Merka, 2009).
McGahan et al. (2008) ont étudié les différentes pratiques d’élevage concernant la gestion de la litière afin d’établir une charte des bonnes pratiques. En fonction du type d’élevage, les fientes aboutissent à du lisier, du fumier ou sont naturellement disséminées par les oiseaux dans les systèmes à parcours libre. La litière de volaille est souvent relativement sèche et donc assez facile à gérer car manipulable. Dans les vieux bâtiments, certains éleveurs évacuent et stockent la litière des zones souillées sous un hangar jusqu’au nettoyage complet du bâtiment (à la fin de la bande). Dans les systèmes d’élevage modernes, des courroies de transport évacuent le fumier hors du poulailler, entre deux bandes, vers un lieu de stockage ou d’enlèvement. Pour les élevages sur grillage ou sur caillebotis, les fientes accumulées sont enlevées totalement après que les oiseaux sont partis.
En fonction du type d’évacuation du fumier, les propriétés du produit obtenu en fin de bande changent. Sistani et al. (2003) ont comparé deux techniques d’élimination de la litière entre 2 bandes d’animaux : la première technique, le « decaking » ou décomprimage consiste à retirer entre chaque bande le « gâteau », mélange de matériel souillé par les déjections et de nourriture gaspillée par les animaux ; la deuxième technique, le curage, consiste à retirer l’intégralité de la litière après 8 à 10 bandes d’animaux (durée d’élevage de 47 à 49 jours chacune). Contrairement à la litière, le gâteau mesure normalement 5- 10 cm d’épaisseur et se forme en surface, avec une grande variabilité en fonction des poulaillers.
La récolte du gâteau s’effectue grâce à un outil spécialement conçu à cet effet (HousekeeperND), qui sépare la litière sèche (fines particules de copeaux de bois, aiguilles de pin ou coques d’arachides) du gâteau humide agrégé en blocs, et laisse retomber la partie sèche du substrat au sol. L’ajout de litière fraîche permet ensuite de compenser le volume enlevé lors du décomprimage.
Cette étude a permis de montrer que le décomprimage produisait significativement moins de déchets que le curage, et qu’approximativement 57 % de la litière étaient finalement recyclés dans le poulailler lors du décomprimage contre 0 % avec le curage. En revanche, les deux types de déchets produits ne sont pas rigoureusement identiques en termes de propriétés chimiques. Le gâteau est significativement plus humide que la litière (455 et 277 g d’eau/kg, respectivement) et contient des quantités significativement plus importantes de Ca, Mg, K, Cu, Fe, Mn et Zn que le fumier. En revanche, aucune différence significative n’a été observée entre ces deux matériaux concernant l’azote total, l’ammonium, le carbone total, les phosphores total et soluble.
La récolte du gâteau ou de la litière peut également s’accompagner d’émissions gazeuses qu’il convient de limiter. Les composés volatils soufrés (VSCs) sont une classe majeure des espèces chimiques odorantes des installations d’élevage des animaux. Identifier et quantifier les VSCs dans l’air est un défi à cause de leur volatilité, leur réactivité et leurs faibles concentrations. Trabue et al. (2008) ont collecté de l’air avec un mini-absorbeur. L’air était séché en passant à travers un tube à chlorure de calcium. Des prélèvements ont été réalisés dans un poulailler industriel sur litière de coques de riz. Les absorbeurs étaient placés en surface de la litière, immédiatement après le retrait du gâteau. Le VSC odorant principal détecté dans la litière de volaille âgée était le trisulfure de diméthyle. Les autres VSCs dont la concentration dépassait les valeurs odorantes seuils étaient le méthanethiol et le sulfure de diméthyle.
En conclusion, les pratiques d’évacuation de la litière hors du bâtiment d’élevage conditionnent le type de produit obtenu (gâteau ou fumier) et sa composition. L’évacuation de la litière s’accompagne d’émissions gazeuses (gaz soufrés), à l’origine de nuisances odorantes. En France, les élevages produisent du fumier, nous nous concentrerons donc surtout sur ce dernier dans la suite de l’exposé.

Stockage du fumier

Influence du taux d’humidité

En fin de bande, l’éleveur est amené à transporter la litière hors du bâtiment pour son stockage, son épandage ou sa transformation. Le chargement/déchargement dans les remorques agricoles sera plus ou moins facile selon les propriétés d’écoulement de la litière, lesquelles conditionnent la conception des nouveaux conteneurs de stockage et des systèmes de transport. Elles sont caractérisées par le calcul de l’indice d’écoulement. Le frottement contre une surface est aussi un paramètre critique dans la conception structurelle et la stabilité des silos. Des faibles valeurs de frottement ont pour conséquence des charges transférées plus importantes sur les murs de paroi du silo. Bernhart et Fasina (2009) ont étudié l’influence du taux d’humidité de la litière sur les propriétés physiques du produit et ses propriétés d’écoulement. Ils ont également déterminé les caractéristiques de frottement contre une surface.
Les échantillons de litière à base de copeaux de bois utilisés pour cette étude contenaient entre 10 et 30 % d’humidité. Le substrat a été stocké pendant trois mois avant le début de l’expérimentation. La taille des particules était obtenue par un système numérique d’analyse d’image. Un pycnomètre
a permis de déterminer le volume des particules et d’en déduire la densité particulaire ( p). La densité volumique de tassement a été mesurée avec un automate : l’échantillon était tassé 500 fois à 300 tassements/min et le volume final a été mesuré à l’issue de l’opération.
La densité de la litière de volaille et son indice d’écoulement diminuaient quand le taux d’humidité augmentait, contrairement à son aptitude à être comprimée. Une litière de volaille plus humide s’écoule moins bien passant de « facilement écoulable » (indice d’écoulement de 6,4) pour un taux d’humidité de 10,3 % à « très adhésive » (non-écoulement, indice d’écoulement de 1,9) à un taux d’humidité de 30,9 %.
En conclusion, le taux d’humidité final de la litière va conditionner son aptitude à être manipulée et stockée à l’état de fumier. En effet, une litière humide (30,9 %) ne s’écoulera pas facilement et utilisera un volume plus important lors du stockage, alors qu’une litière relativement sèche (10,3 %) sera beaucoup plus facile à transporter.

Évolution biologique des fumiers au cours du stockage

Évolution de l’azote

Dans le fumier de volaille frais, 60 à 80 % de l’azote se trouvent sous forme organique (urée et protéines). En fonction des conditions environnementales, un pourcentage important de cet azote organique (40-90 %) peut être converti en ammoniac en l’espace d’un an. Lors de la digestion anaérobie de la litière de volaille, en présence d’ammonium exogène, la concentration de l’ammoniac endogène augmente considérablement. Alors que certains microorganismes de la microflore anaérobie peuvent utiliser les ions ammonium, leur concentration en excès inhibe la décomposition des composés organiques, la production d’acides gras volatils et la méthanogénèse (Kelleher et al., 2002).
Différentes pratiques de stockage peuvent influencer les pertes d’ammoniac au cours du stockage. Pour étudier leurs effets, Rodhe et Karlsson (2002) ont stocké du fumier de poulet d’octobre à mai en deux piles séparées, une découverte et l’autre recouverte avec une couche de paille de 30 cm d’épaisseur. Les émissions d’ammoniac ont été mesurées sur cinq périodes distinctes pendant le stockage. La température de l’air ambiant et les températures de piles étaient enregistrées en continu. Les mesures de température prises dans les piles pendant le stockage indiquaient une forte activité biologique. Les températures les plus hautes étaient enregistrées dans la pile couverte avec de la paille. Les pertes cumulées en ammoniac représentaient 7 % de l’azote total dans la pile non couverte contre 10 % dans la pile protégée. Le bouchon de paille agissait comme une barrière vis-à-vis des précipitations, limitant ainsi le taux d’humidité du fumier.
De façon, plus globale, Phillips et al. (1999) ont étudié différentes options pour abattre les émissions d’ammoniac des dépôts d’effluents. Une revue de la littérature disponible suivie par une réunion de consensus ont permis de lister un certain nombre de pistes. Ces modalités d’abattement étaient classées en fonction du type de stockage. Les capitaux à investir, les coûts de fonctionnement mais aussi d’autres aspects comme le bien-être animal ont été inclus dans l’estimation des abattements. Les différentes solutions proposées ont ensuite été classées de 1 (très mauvaise) à 5 (très bonne).
Pour les zones de stockage d’effluents, les approches de réduction retenues comme étant les plus intéressantes et réalisables rapidement à moindre coût étaient, dans l’ordre :
le remplacement du stockage par un traitement industriel du produit ou son épandage direct sur les terres,
la modification de la composition des aliments pour volailles,
la minimisation de l’aire de surface de stockage par la constitution de piles (fumiers solides),
la couverture de ces piles par une bâche (fumiers solides).
Le séchage du fumier permet également de diminuer la production d’ammoniac et en même temps de valoriser celui-ci comme combustible (pour les centrales électriques, notamment au Royaume-Uni).
En conclusion, au cours du stockage, une grande partie de l’azote organique est convertie en ammoniac, qui s’échappe dans l’atmosphère. Différentes stratégies sont possibles lors du stockage pour limiter les émissions d’ammoniac : minimiser la surface de contact entre le fumier et l’air en faisant des piles, et les couvrir avec une bâche (afin de créer des conditions anaérobies, peu favorables à la production d’ammoniac), sécher le fumier. En amont, la modification de la ration des animaux (voir I. E. 9.) permet d’éviter les émissions trop importantes d’ammoniac lors du stockage.

Inoculum bactérien et dégradation des plumes dans la litière

Une partie des populations microbiennes natives est susceptible de dégrader les déchets de volaille, mais le processus peut être activé en utilisant des bactéries dégradant spécifiquement les plumes. Des souches de Bacillus licheniformis et une espèce de Streptomyces isolée du plumage des oiseaux sauvages ont été mises en culture sur un milieu liquide de base afin d’inoculer des plumes placées dans les cuves de bioréaction (Ichida et al., 2001). Les trois cuves témoins contenaient seulement le milieu de base ajouté aux plumes, à la litière ou à la paille. La température, la production d’ammoniac, de carbone et d’azote étaient enregistrées pendant quatre semaines. La microscopie électronique à balayage des échantillons de plumes montrait une dégradation plus importante de la structure kératinisée, et une formation plus précoce du film microbien sur les plumes inoculées que sur celles non ensemencées (figure 2). Les B. licheniformis et Streptomyces spp. thermophiles étaient présents en abondance tout au long de l’étude. Des bactéries entériques Gram négatives (Salmonella, Escherichia coli) trouvées à l’origine sur les résidus de plumes n’étaient pas retrouvées après 4 jours d’incubation. Les températures des cuves atteignaient 64 à 71 °C en 36 heures et se stabilisaient à 50 °C. Le 14ème jour, le contenu des cuves était mélangé ce qui relançait l’activité bactérienne. Cette dernière culminait à 59 °C avant de chuter rapidement suite à l’épuisement du carbone disponible. Ainsi, l’inoculation par des bactéries kératinophiles des déchets de plumes pourrait-elle améliorer le compostage de grandes quantités de ces produits générés chaque année par les élevages de volaille et les établissements de transformation.
Figure 2 : vue en microscopie électronique à balayage. À J28, les plumes « témoin » non ensemencées présentaient des signes de dégradation mais conservaient une forme définie comme sur l’image du haut. Sur l’image du bas, les plumes inoculées sont difficilement identifiables visuellement. D’après Ichida et al., 2001.
En conclusion, l’inoculation de la litière, lors du stockage (ou pendant l’élevage des volailles, voir I.) permet de développer une microflore apte à dégrader les composants de la litière (notamment les plumes), tout en limitant les émissions gazeuses. Cette inoculation contribue également à éliminer les bactéries pathogènes par l’élévation de la température au cœur du fumier pendant son stockage.

Stockage en piles et assainissement du fumier

Le fumier de volaille est classiquement stocké en piles de 1,2 m ou plus. Le sol doit être imperméable pour éviter tout risque de ruissellement et de pollution des eaux de surface. En effet, la litière est relativement légère et peut subir un lessivage sur les lieux de stockage provisoire. Griffiths (2007) recommande d’être particulièrement vigilant lors de l’entreposage du fumier de volaille pour éviter qu’il ne contamine les cours d’eau environnants ou ne soit dispersé hors des zones prévues à cet effet.
Les piles doivent également être à l’abri des intempéries pour éviter une augmentation importante du taux d’humidité du fumier (McGahan et al., 2008). Le stockage a notamment pour objectif d’assainir le fumier, par l’échauffement qui s’y produit.
Kwak et al. (2005) ont ainsi évalué les effets d’un traitement en pile profonde de la litière de poulet de chair. La survie des entérobactéries a été évaluée en aérant ou non les piles profondes (Essai 1). L’effet de la durée (Essai 2) et de la fréquence (Essai 3) de l’aération sur le contrôle de l’échauffement de la litière de volaille a également été déterminé. L’impact de la température des piles sur la survie des bactéries cibles et sur la composition chimique de la litière de volaille a été enregistré.
Dans l’essai 1, E. coli, Salmonella Enteritidis et Shigella sonnei ont été intentionnellement inoculées à raison de 103 bactéries par gramme de litière dans 0,4 tonnes de fumier et leur survie a été suivie en fonction du temps de stockage en pile du fumier.
Dans l’essai 2, la litière était aérée une fois par jour dès que la température maximale (62 °C) de la pile était atteinte et commençait à diminuer à la fin de la période de traitement.
Dans l’essai 3, la litière était aérée une ou deux fois par jour, à compter du jour suivant le pic de température et jusqu’à avoir atteint une température d’équilibre de 20 °C. Pendant le traitement en pile profonde de la litière, les bactéries pathogènes étaient éliminées entre le deuxième (Shigella) et le quatrième jour (E. coli et Salmonella) de stockage. Ce phénomène avait lieu non seulement à cause de la forte température générée, mais aussi à cause d’autres facteurs potentiels, comme le dégagement d’ammoniac et la compétition microbienne. L’aération résultait en une dissipation de la chaleur et donc une diminution de la température de la litière en pile profonde ; lors de l’aération, les entérobactéries pathogènes étaient détruites en 4 à 8 jours. La procédure optimale d’aération pour éviter un chauffage excessif de la litière empilée consistait à aérer une fois par jour jusqu’au pic de température au début du traitement en pile profonde et de poursuivre pendant 3 jours encore ou jusqu’à ce que la température ait décru jusqu’à une valeur constante. Ces fréquence et durée d’aération n’altéraient pas la composition chimique de la litière de volaille stockée telle quelle.
Ces résultats suggèrent que la litière de volaille correctement empilée, avec ou sans aération, assure l’élimination des entérobactéries pathogènes en 8 jours.
Cette dernière affirmation est cependant à nuancer. En effet, Bush et al. (2007) ont testé la survie de Salmonella dans le fumier empilé sur une hauteur recommandée (2,13 m) ou sur une hauteur de 0,76 m. Des sacs de dialyse contenant le fumier de volaille et Salmonella Typhimurium ont été placés dans les piles. La température était enregistrée quotidiennement en utilisant des thermocouples reliés aux sacs d’échantillons, lesquels étaient récupérés après 21 jours. Une mesure de l’ammoniac était pratiquée à différents endroits dans les piles. Le contenu des sacs était mis en culture pour déterminer la viabilité des inoculas de salmonelles. Cet essai démontre une large variation de la température dans les piles ; ainsi, près de la surface, la température variait en fonction de la température ambiante. La concentration en ammoniac dans le fumier de volaille était plus élevée en haut de la pile de 2,13 m. Salmonella était éliminée dans 98,7 % des sites d’échantillonnage, avec une réduction d’au moins 5 log10 là où elles étaient encore viables.
De même, Graham et al. (2009a) ont caractérisé la survie de souches antibiorésistantes d’entérocoques et de staphylocoques dans les piles de fumier de volaille. La température, l’humidité et le pH ont été mesurés à un mètre de profondeur dans le fumier pendant une période de 120 jours dans les piles de stockage de trois fermes conventionnelles de volaille de chair, tout comme les unités formant colonies d’Enterococcus spp. et de Staphylococcus spp. Des températures supérieures à 60 °C ont été enregistrées seulement par intermittence au cœur des piles de litière. Les entérocoques et les staphylocoques antibiorésistants, tout comme les gènes de résistance persistaient au-delà de la période de 120 jours d’étude. Ces deux dernières études indiquent que les pratiques de stockage classiques du fumier de volaille en piles sont insuffisantes pour éliminer les staphylocoques et les entérocoques antibiorésistants, qui peuvent être alors répandus dans l’environnement lors de l’épandage sur les terres.

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