Faire partie de la famille éclée à Villeneuve

Qui prend la place du chef ?

Au début de cette réunion, des respons demandent à rajouter à l’ordre du jour un point sur le PAL (Plan d’Action Local11). Zoé demande s’il faut réadapter le projet de branche s’il ne rentre pas dans les objectifs du PAL. Manu, échaudé, propose qu’on remette en question le PAL car on n’est pas en mesure de l’évaluer. Ourika défend le PAL et précise que c’est un cadre pour le projet des branches. Dans la discussion, personne n’est en mesure de préciser le contenu et les objectifs du PAL, ni d’affirmer si ces objectifs sont pluriannuels ou non (et donc si le PAL voté l’année dernière s’applique en cette rentrée). Certains respons présents demandent si le PAL contient la position du groupe sur des questions politiques qui dépassent les simples enjeux de l’animation (comme « la manipulation médiatique et le racisme ambiant »), d’autres respons leur répondent vivement « qu’on est un mouvement apolitique et qu’on n’a pas à prendre ces positions ». En réalité, le PAL, c’est un objet cryptique, rares sont les membres présents qui le reconnaissent et pour ceux-là, le PAL, c’est soit le cheval de Troie « de la Région », soit le tableau de bord à partir duquel les respons doivent conduire le groupe.
Ourika défend le PAL puisqu’il découle du PAR (Plan d’Action Régional) lui-même construit à partir du PAN (Plan d’Action National). Ce sont pour lui des outils de pilotage provenant du mouvement EEDF et qui en cela garantissent la cohérence des actions menées dans le cadre du scoutisme laïque et intègrent le groupe de Villeneuve à la vie du mouvement. En cette rentrée, Ourika a une position ambiguë vis-à-vis de la majorité des autres respons. Depuis plusieurs années, au delà de son engagement dans le groupe, il a intégré l’équipe régionale et, coopté par les permanents, il a travaillé en tant qu’éclé à des activités propres à cet échelon : formations, projets régionaux, partenariats internationaux. C’est pour lui une voie de professionnalisation et un début de carrière. Il porte au niveau du groupe les informations pédagogiques et techniques relatives à la vie du mouvement (national) et à l’activité régionale. Ourika renseigne le groupe sur les opportunités de formation proposées par la Région pour les respons (BAFA12), notamment sur les conditions de prise en charge financière. Il distribue les brochures de présentation des stages et insiste sur l’importance de cette formation. Il présente aussi les « camps tremplins », des camps d’été organisés par la Région pour accompagner les « directeurs/rices en formation » puis expose au groupe le projet explo régionale 2007 » pour la branche éclée, qui propose aux équipages de préparer, par étapes, de la rentrée et jusqu’au mois d’avril, une explo qui aura lieu aux beaux jours. Ainsi, par la voix d’Ourika, la Région propose au groupe un contenu et une direction sur l’ensemble de ses activités et notamment les moments forts : le camp, la formation des cadres, les sorties en autonomie des adolescents. En face, d’autres respons considèrent ces propositions comme une forme d’impérialisme d’un « espion de la Région ». C’est l’autonomie du groupe qui se joue selon ces derniers, « la spécificité de Villeneuve, qui est un groupe à part » confient plusieurs respons. Pour d’anciens respons, qui conservent un rôle de conseil et d’accompagnement du groupe, le souci vient du mouvement, et notamment, comme l’exprime Géronimo, « de la région, qui accapare toute une génération de respons, Ourika, Zoé, Céline et avant eux Lise ou d’autres. Mais il n’y a pas de retours pour le groupe ! Et ce sont les respons les plus motivés alors que ceux qui restent manquent d’implication13 ».
Tout en revient à une économie des énergies militantes et à une question centrale : qui reste mobilisé et engagé pour « prendre la direction du groupe » ? En cette rentrée 2006, le groupe est confronté à un problème inédit depuis plus de dix ans. Il n’y a plus de responsable de groupe. Après 13 « mandats », César a quitté le groupe dont il était le « chef » depuis septembre 1993. Ce fut une transition douce, cela faisait déjà deux ou trois ans qu’il cherchait à passer la main mais que personne ne souhaitait prendre sa place. En cette rentrée 2006, il continue d’ailleurs à assurer la trésorerie du groupe et certaines tâches administratives, comme la gestion des adhésions. Comme le confie César, il est difficile de se détacher en douceur de ses responsabilités bénévoles : « Tu sais très bien que les éclés, t’as beau te dire que tu ne prends plus de responsabilité, t’es toujours dedans quoi ! »
Le départ de César explique beaucoup de la situation du groupe à l’égard de la municipalité (cf.supra). Revenant sur les contacts qu’il a noués avec des élus locaux, César explique que ces relations s’entretenaient autour de la mairie et de certaines cérémonies dont les motifs étaient parfois éloignés de l’animation ou du scoutisme. C’est là, par exemple, qu’il a croisé un conseiller général qui l’a informé d’une possibilité de financement d’un projet de séjour pour le clan, ce qui permit de contribuer au financement d’un camp à l’étranger notamment.
César assurait l’intégration du groupe à la vie associative municipale et à ses instances liées aux services municipaux. Il incarnait ces liens avec la ville et le tissu local. Il revient à celles et ceux qui lui succèdent de reconstruire complètement ces liens. Il n’y a pas eu de continuité dans la relation entre le responsable du groupe et les services de la ville. La fonction qu’il a incarnée ne se transmet pas avec la mandat formel de responsable de groupe. César a appris sur le tas son rôle de garant du groupe. Il a endossé cette charge de responsabilité à laquelle personne ne semble vraiment aspirer. Pour César comme pour les autres membres qui l’évoquent, la responsabilité du groupe est perçue comme un devoir que l’un d’eux doit assumer pour le collectif, une sorte de revers de la médaille, une contrepartie nécessaire à ce que l’engagement bénévole apporte : le plaisir et la convivialité pour des respons qui aident des enfants et adolescents à grandir. César raconte cet équilibre ambiguë entre la charge de la responsabilité et les satisfactions de l’engagement.
D’accord, on est bénévole, si on ne prend pas de plaisir à faire ce qu’on fait, c’est pas la peine, mais en même temps, il faut un peu de sérieux, il y a quand même la sécurité des gamins qui est en jeu. A un moment il faut dire stop ! (…) Ma première expérience ça a été la pire et ça s’est ressenti au niveau des gamins et au niveau des parents… Notamment les X… Mais ils ont été super cool, ils ont dit « c’est pas pour ça qu’on va claquer la porte ». Au camp d’après, j’ai dit : « voilà mon projet de camp, voilà les garanties… »
Quand t’es chef de groupe, tout est du boulot : gérer des adhésions, c’est du boulot, gérer le protocole et les manifestations, c’est du boulot… T’apprends sur le tas. [T’avais pas d’équipe pour t’aider?]. Non, là où j’ai géré avec une équipe, c’est le côté pédagogique, l’animation des branches, ça c’est du boulot. Quand ça roule pas, tu fais du 24h sur 24h ! Et il y a des jeunes respons qui sont passés respons sans savoir ce que c’était ! [C’est la difficulté aujourd’hui?]. Je sais pas, c’est peut-être les études qui sont de plus en plus longues ou… Moi, quand j’ai repris le groupe, j’ai fait que ça. Ça me gênait pas de me priver de certaines choses de ma vie privée ou professionnelle. Mais c’était satisfaisant, quand tu peux dire « les éclés, ça marche », quand t’as des générations avec des Géronimo, des …, qui proposent des activités de qualité et toi t’es là, tu fais les adhésions, tu gères la trésorerie. Quand tu prends le groupe, t’es un moins que rien et puis là, on t’appelle : c’est le « national », parce qu’il y a un chantier pour la réforme des adhésions et que t’es un des plus gros groupes ! [Tu t’es pas engagé au niveau Régional ou national]. Non la Région, j’y ai été deux ans (…). T’as besoin de reconnaissance aussi : dans le groupe, ça vient des enfants, parce qu’ils ont passé un super camp, ça vient des respons, parce qu’ils ont fait un super camp, ou des parents, parce que leurs enfants ont passé un super camp…
C’est là que je me suis dit, finalement, c’est peut-être à moi d’arrêter. Tu te poses pas de question, t’as toujours baigné dans ce milieu, à un moment tu prends des responsabilités… tu sacrifies ta vie professionnelle, privée… J’étais à la fois fier et inquiet.
A l’image de César, le chef de groupe endosse la responsabilité administrative du groupe et, seul ou en équipe, gère tant bien que mal des impératifs aussi divers que les adhésions, la trésorerie, les relations aux partenaires institutionnels… Le responsable de groupe est garant de l’existence du groupe en assurant l’interface avec l’extérieur : l’environnement administratif et les contraintes réglementaires d’une part, l’inscription du groupe dans les dynamiques régionale et nationale du mouvement EEDF d’autre part. Au sein du groupe, il partage avec les respons la conduite des activités et l’animation de la société de jeunes, ou les assument seul selon le contexte ; dans des cas limites, le responsable de groupe est une autorité en dernière instance. Impalouze, qui a été respons quand César était responsable de groupe insiste sur ce rôle de soupape pour le groupe qu’a joué ce dernier.
Attends, un type qui a quand même fait tourner le groupe c’est [César], un type qui était prêt à prendre toute cette responsabilité administrative, tout ce boulot chiant d’encadrement… je sais pas ce qu’il t’a raconté [César], mais moi j’ai jamais compris son engagement dans les éclés ! […] [César] c’est pour ça qu’il a été un bon chef de groupe, c’est parce qu’il était capable de virer14.
César est entré dans le groupe à l’âge de 9 ans, quand ses parents ont entendu parler du groupe EEDF de Villeneuve d’Ascq au détour d’un article dans la presse régionale15. Respons à 17 ans puis chef de groupe quelques années plus tard, il incarne un parcours éclé exceptionnel de longévité : durant 13 ans en tant que responsable de groupe, il a animé le groupe avec 6 générations de respons successives. Aux dires des respons, personne ne lui oppose la monopolisation d’un quelconque pouvoir dans le groupe. Il représente davantage aux yeux de ses pairs la figure rassurante du militant « bon père de famille » qui assume les contraintes réglementaires, administratives et financière (« le sale boulot »), balisant ainsi un espace dans lequel les respons déploient leur engagement en terme d’animation d’une société de jeunes. En filigrane du parcours singulier de César et de la description du rôle de responsable de groupe, il s’agit de décrire des données essentielles à la compréhension du quotidien des éclés eu égard à l’autorité légitime dans le groupe. Chez les respons, ce qui circule, c’est un idéal d’auto-gestion du groupe par lui-même, une fiction du collectif qui ne s’embarrasse pas d’un chef. Pourtant, en aparté, César, comme d’autres éclés ayant eu d’importantes responsabilités au sein de l’équipe de groupe, concèdent qu’ils « ne croient pas trop au collectif » et qu’il faut mieux parfois « une, ou deux personnes pour être à l’initiative des idées et être cohérents ». A Villeneuve, en 2006, être chef de groupe est un des rôles à tenir pour les engagements bénévoles. La reconnaissance que portent les membres du groupe envers César n’est pas liée au charisme d’un chef mais elle tient au fait que, pendant de si nombreuses années, César ait rempli ces fonctions nécessaires pour que le groupe vive. Ce qui lui est reconnu, c’est le caractère total et dévoué de son engagement aux éclés, son application à apprendre et mettre en œuvre les compétences qu’il faut au responsable administratif et financier. C’est le « don de soi » et la « responsabilité » dédiée à une tâche incontournable qui fait de César un pilier du groupe. La légitimité du respons se crée dans les récits d’aventures mythiques qui se vivent dans le groupe et qui se transmettent oralement ou par des objets symbolisant ces aventures. La légitimité aux éclés de Villeneuve vient d’avoir participé à la vie du groupe et à ce qui en constitue la mémoire. Ainsi, être chef n’est pas un fait d’armes en soi, à la différence d’avoir mis sur pied un camp au Burkina Faso, d’avoir fait partie de l’équipe qui a organisé une chasse à l’œuf mémorable, d’avoir du essuyer les foudres d’une inspectrice de la Jeunesse et des Sports lors d’un incident de camp qui a conduit à l’hospitalisation d’un adolescent…

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