Les allusions comme vecteurs de polyphonie intertextuelle

ETUDE DES TRACES DE LA POLYPHONIE DANS MONNE, OUTRAGES ET DEFIS D’AHMADOU KOUROUMA (1990)

Problématique 

Contexte et justification

 Tout porte à croire que c’est dans la perspective de relever le défi lancé par la linguistique du système qui était incapable de tenir compte les conditions de production du langage que les sciences du langage de manière générale et plus particulièrement la linguistique du discours sont, de nos jours, devenues un instrument privilégié d’investigation du texte littéraire. De ce fait, l’analyse du discours cherche à appréhender le discours considéré à la fois comme évènement énonciatif et comme organisation textuelle. Cette tentative de dépasser la limite d’une linguistique de l’énoncé a permis aux chercheurs de faire appel au concept d’énonciation qui est défini par Emile BENVENISTE considéré comme le père fondateur de la linguistique moderne en ces termes : « l’acte individuel par lequel un locuteur met en fonctionnement le système de la langue » (1974 : 80). Autrement dit, la conversion de la langue en discours. Cela a permis d’avoir une nouvelle vision de la langue longtemps considérée du point de vue Saussurien comme un ensemble de système abstrait indépendamment du social. Cependant, force est de reconnaitre que le linguiste genevois n’avait pas les éléments nécessaires pour aborder la langue du point de vue discours qui a été le tiers-exclu dans son étude. De plus, nous pouvons dire qu’une telle étude n’était pas envisageable parce qu’il n’y avait pas une théorie du discours en place. Ainsi, ce troisième concept qu’est le discours est devenu, dès lors dans les sciences du langage et plus particulièrement dans l’analyse du discours, un objet d’étude incontournable donnant naissance à une nouvelle approche des textes oraux et écrits. Elle est apparue dans les problématiques des sciences du langage dans les années 1960 avec les chercheurs comme Louis ALTHUSSER, Michel FOUCAULT, Jacques LACAN pour ainsi commencer à avoir ses lettres de noblesse à partir des années 1980. De ce fait, nous pouvons dire que la naissance d’une linguistique de l’énonciation a apporté un souffle nouveau dans la façon d’aborder le discours. Contrairement aux structuralistes selon qui il faut se référer uniquement à l’environnement linguistique du texte, les analystes 4 du discours considèrent qu’il y’a une intrication entre le texte et le contexte d’où l’analyse du discours dépasse même l’opposition texte et contexte longtemps défendue par les critiques littéraires. C’est pourquoi selon eux, il est inadmissible d’appréhender le discours sans prendre en considération l’environnement social. Autrement dit, les circonstances de production et d’interprétation. C’est à partir de cette période que l’objet de l’analyse est centré non pas sur ce que dit le texte uniquement, mais également la façon dont il le dit, voire ce qui le précède, ce qui l’environne d’où même ce qui le traverse. Ce qui pousse M. BAKHTINE à soutenir qu’un discours se construit avec l’apport des autres discours qui l’environnent (1978 :100-102). Cela veut dire que dans le discours d’une personne, il y’a obligatoirement celui de l’autre ou des autres .Ce qui fait qu’approcher un discours est complexe et que l’analyse du discours regroupe plusieurs problématiques. Donc pour ce faire, l’analyste se réfère au statut de l’orateur, aux circonstances socio-historiques dans lesquelles l’auteur prend sa plume, à la nature de l’auditoire visé, à la distribution au préalable des rôles, aux opinions et croyances qui circulent à l’époque qui sont autant de facteurs qui construisent le discours et dont l’analyse interne doit considérer. Dès lors l’analyste n’est-il pas obligé de relier l’intérieur et l’extérieur du texte ? Dans cette nouvelle perspective, l’étude des textes excède désormais les phénomènes morphosyntaxiques en dépassant la Rhétorique et la Stylistique traditionnelles pour s’intéresser à des phénomènes linguistiques d’une grande efficacité comme l’éthos, le champ discursif, l’interaction verbale, l’argumentation, la scène d’énonciation, les genres de discours, la temporalité, le discours rapporté, la polyphonie, etc. De ce fait, nous pouvons dire que l’analyse du discours a plusieurs approches qui entretiennent d’une certaine manière quelques liens spécifiques. C’est pourquoi face aux difficultés de circonscrire son objet, D. MAINGUENEAU avance les raisons suivantes : Les difficultés que l’on rencontre pour délimiter le champ de l’analyse de discours viennent pour une part d’une confusion fréquente entre analyse du discours et ces diverses disciplines du discours (analyse de la conversation, analyse du discours, théories de l’argumentation, théories de la communication, sociolinguistique, ethnolinguistique…-la liste n’est pas exhaustive). Chacune étudie le discours à travers un point de vue qui lui est propre. (1996 : 8) 5 C’est pour cette raison que la variété des corpus est indissociable de la variété des approches et des présupposés théoriques. Ce qui justifie sans doute notre choix porté sur l’un des concepts qui nous a parus incontournable dans l’analyse du discours littéraire qu’est la polyphonie. Cette notion tant employée par la critique moderne mérite d’avoir des éclairages surtout dans l’analyse des romans africains dont les caractéristiques premières sont la multiplicité des visions, la recherche d’un plurilinguisme. Fort de ce constat, nous avons jugé nécessaire d’apporter notre modeste contribution à ce vaste champ d’investigation. Notre étude s’inscrit, en particulier, dans une perspective d’analyse du discours littéraire qui participe, de nos jours, d’une reconfiguration dans les sciences humaines et sociales. Par ailleurs, l’analyse du discours permet d’entrer dans les œuvres en les considérant comme des activités énonciatives et comme une totalité textuelle où le sujet occupe une place centrale. Elle applique de phénomènes linguistiques d’une grande finesse comme la polyphonie où se mêlent la référence au monde et l’inscription de l’énonciateur dans son propre discours. Raison pour laquelle après des recherches effectuées dans les bibliothèques (universitaire, lettres modernes, sciences du langage, centre de linguistique appliquée de Dakar) et sur l’internet, nous avons choisi de travailler sur la polyphonie qui est à notre point de vue un thème indispensable pour comprendre une œuvre littéraire avec comme outil de base un roman d’Ahmadou KOUROUMA intitulé Monnè, outrages et défis publié en 1990. Dans cette œuvre, KOUROUMA persiste en signant avec ses innovations stylistiques et linguistiques entamées dans Les Soleils des indépendances, mais en tout se singularisant dans la création africaine par un esprit de transgression qui va à contre-courant de la démarche de l’époque. C’est pourquoi, après diverses recherches, nous avons opté de travailler sur le sujet qui suit : Etude des traces de la polyphonie dans Monnè, outrages et défis. Le choix d’un tel sujet n’a pas été facile et nous avons été motivés par la place et le rôle que ce thème occupe aujourd’hui dans le champ de la recherche. De manière générale, on parle de polyphonie quand des voix autres que celle du locuteur se font entendre dans le discours. Le Petit Robert la définit comme étant: « la combinaison de plusieurs voix, de plusieurs parties dans une composition » (1996 : 1722). En outre, nous pouvons noter que l’interpénétration des modes discursifs a contribué alors à l’avènement de la polyphonie dans le roman. Ce qui fait que la notion de polyphonie est avant tout énonciative parce qu’elle est liée à l’énoncé qui à son tour peut être discursif ou historique d’où une polyphonie narrative. 6 C’est dire donc qu’elle peut se trouver dans le discours aussi bien que dans le récit où les modes énonciatifs peuvent se superposer ou s’enchâsser. Cela pousse F. MBOW à conclure l’un de ses articles en ces termes : L’analyse du discours semble constituer un tournant décisif et un nouveau recours incontournable dans le cadre des études littéraires qui ne peuvent plus se cantonner à l’utilisation des approches d’ordre herméneutiques avec lesquelles cependant, aussi englobante qu’elle soit, elle doit coexister étant donné le rôle que joue la littérature dans la société (2010 : 81). Dès lors les rapports entre littérature et sciences du langage ne doivent plus se limiter à une application des concepts de linguistique à un corpus donné, mais plutôt à une analyse approfondie de l’œuvre littéraire tout en prenant en compte toutes les circonstances qui entourent sa production. Nous considérons notre corpus comme un lieu d’échange entre énonciateur et énonciataires établis dans un contexte d’énonciation bien déterminé. Ainsi, pour ce faire, il importe de cerner notre sujet tout en énonçant les questions que nous aborderons dans ce mémoire. 

Les questions de recherche

 Contrairement aux romans africains antérieurs qui font le procès de la colonisation, Monnè2 analyse avec beaucoup d’humour et d’ironie, les réalités des deux mondes en présence c’est-à-dire les colonisés et les colonisateurs sans parti pris tout en élisant le regard de Djigui Keita comme principal foyer de la narration. L’auteur, Ahmadou KOUROUMA a su créer un intermonde où la fiction prend les allures d’épopée avec une association d’images de rêve et le jaillissement d’univers fantastique et magique qui installent le lecteur dans un monde à la fois complexe et hétérogène. Ce qui fait que l’un des traits les plus frappants dans Monnè, à l’instar des autres romans de l’époque moderne, est la recherche de la polyphonie d’une part, énonciative et d’autre part, narrative. Cette polyphonie informe le texte de manière tantôt explicite, tantôt implicite. Mais force est de reconnaitre qu’elle se manifeste à travers plusieurs procédés. Ces traces polyphoniques se révèlent dans les œuvres romanesques d’Ahmadou KOUROUMA en général et plus particulièrement dans Monnè à travers l’énonciation tiers jamais inclus, jamais exclus de l’œuvre. 2 Abréviation de notre corpus Monnè, outrages et défis pour une question d’économie. 7 Dès lors ne peut-on pas dire qu’énoncer, c’est s’appuyer sur un dispositif de communication et le valider à travers cette même énonciation ? La création romanesque de KOUROUMA s’inscrit dans une posture de dénonciation dans laquelle il cherche autant que possible à dénoncer le système colonial à travers divers procédés littéraires et énonciatifs. Ces derniers donnent un caractère polyphonique à l’œuvre qui est un moyen efficace de dénonciation. Pour mieux aborder notre sujet considéré comme une question dont nous devrons apporter impérativement une réponse; nous essayerons de répondre aux interrogations suivantes : Comment la polyphonie se manifeste-t-elle dans Monnè, outrages et défis ? Quelle est la visée cherchée par Kourouma en faisant recours aux procédés polyphoniques? Telles sont les questions auxquelles nous tenterons d’apporter des réponses dans ce mémoire. La réussite d’une telle tâche parait difficile mais nous allons tenter l’aventure. Pour ce faire, il nous faut au préalable avoir quelques objectifs visés car tout travail de recherche doit obligatoirement viser des ambitions comme tout auteur. C’est pourquoi sans perdre de vue, nous exposons les objectifs dont nous nous sommes assignés dans ce mémoire.

Les objectifs 

Tout travail de recherche doit se fixer des objectifs. Ainsi, notre étude vise des objectifs que nous exposerons ici d’une manière pertinente. Pour bien étudier nos questions de recherche nous appréhenderons notre corpus comme un ensemble d’énoncés constituant un tout c’est-à-dire un roman qui est un lieux d’imbrication entre discours et récit dans un cadre bien déterminé incluant les circonstances et les conditions qui l’entourent. Ce qui amène à dire que le roman est une énonciation dans laquelle sont mis en interaction différents protagonistes appelés personnages. Nos visées dans le cadre de ce mémoire sont multiples mais elles tournent autour de deux principaux objectifs. La polyphonie, qui est notre thème central, est aujourd’hui associée aux essais de M. BAKHTINE sur le genre romanesque plus précisément pour l’analyse des romans de l’auteur russe, Dostoïevski. A travers notre corpus, Monnè, nous ambitionnons de faire ressortir toutes les traces de la polyphonie qu’elles soient énonciatives ou narratives d’une part, explicites ou implicites d’autre part. L’œuvre littéraire se présente comme une forme d’énonciation où l’écrivain c’est-à-dire le locuteur (l’auteur) adresse un message, son texte, aux lecteurs, les destinataires. 8 Cependant, à l’intérieur du texte littéraire, il y a des prises de parole et de position des personnages (narrateurs, allocutaires…). D’un point de vue linguistique, nous considérons notre corpus comme une activité énonciative. De ce fait, nous nous fixons comme deuxième objectif dans le cadre de ce mémoire de mettre à nu l’effet cherché par le romancier à travers ces procédés polyphoniques sans oublier de porter un regard attentif sur l’un des termes indispensables pour l’analyse littéraire en l’occurrence la dénonciation. Cela nous amènera aussi à considérer le roman comme un espace d’échange et de conflit à l’opposé de l’épopée qui est en général une réconciliation et dans laquelle de toute une communauté est en danger ce qui pousse le héros à défendre l’intérêt générale. Pour ce faire, nous essayerons de montrer comment ces procédés polyphoniques qui se révèlent à travers les faits langagiers, la narration, l’intertextualité, le discours rapporté … contribuent à la composition du texte littéraire et servent à l’auteur d’atteindre son but. Ainsi, pour réussir une telle entreprise, il faut également au préalable des hypothèses allant dans le sens de nos objectifs de recherche

Les hypothèses 

Pour mener à bien cette étude, nous partons du postulat que Monnè est une création romanesque polyphonique. Nous pouvons dire que cette polyphonie est triadique c’est-à-dire énonciative parce qu’elle est liée à l’énoncé avant tout, narrative à travers le jeu des voix narratives et littéraire parce qu’elle fait appel aux trois théories polyphoniques spécifiques qui concourent à la structuration du texte littéraire à savoir la polyphonie structurale, la polyphonie intentionnelle et celle réceptive. Dans notre corpus, la polyphonie est perceptible dès l’entrée du texte à travers le titre de l’œuvre et son épigraphe. En outre, elle parcourt le roman. Dès lors, nous pouvons dire sans aucun doute qu’Ahmadou KOUROUMA opère une révolution narratologique dans Monnè comme dans ses autres romans. En effet, l’éclatement de la narration qui entraine l’instabilité de l’instance narrative, pourrait engendrer par induction des schèmes communicationnels propres à son œuvre. La circulation de la parole spécifique qui impose de s’attarder sur l’énonciation dans le roman kouroumien est l’un des fondements de la narration dans la production de l’auteur. Nous partons également du postulat que le roman est un conflit autour d’un objet(s) entre divers personnages avec des intentions différentes. Dès lors, nous affirmons sans aucune réserve que Monnè est une énorme histoire de malentendu engendrée par la collaboration entre les blancs et les noirs que l’auteur exploite pour donner une caractéristique 9 polyphonique singulière à l’œuvre. C’est dire donc que notre texte est un roman où foisonnent divers procédés polyphoniques qui, pour être mieux abordés, nous poussent à passer en revue certains ouvrages, articles, thèses et mémoire.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1: CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE
1-1 Problématique
1-2 La revue de littérature
1-3 Méthodologie
2.1 Les différentes voix narratives dans Monnè
2.2 Le discours rapporté
CHAPITRE 3 : LA POLYPHONIQUE INTERTEXTUELLE
3.1 Les allusions comme vecteurs de polyphonie intertextuelle
3.2 Les habitudes discursives
3.3 Monnè, outrages et défi : un malentendu linguistique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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