De la pratique du jardinage a l’appropriation des enjeux associes a la « nature en ville »

Les études géographiques que j’ai menées à l’Institut de Géographie de Paris de l’Université La Sorbonne Paris IV, ont éduqué mon regard suivant l’approche portée par la human environmental geography à savoir l’observation, l’analyse et la conceptualisation des interactions entre les êtres vivants et (leurs impacts sur) leur environnement. Ma curiosité personnelle pour les modalités d’organisation des espaces et des sociétés m’a conduit vers l’étude des formes d’agriculture en ville conjointement à celle du processus de densification urbaine. Sensible aux différents modes de résilience des individus et collectifs en lien avec une reconnexion à la terre, support de vie, j’ai cherché un sujet de recherche susceptible de rassembler tous les éléments constitutif de cette « nature » dont la généralité parle tant : la flore, la faune et l’homme parmi ses pairs, en quête d’une reconnexion à son espace devie.

Avec le Grenelle Environnement, les politiques publiques orientent l’aménagement des territoires selon les principes d’un développement qui soit soutenable tant pour les milieux naturels que pour les sociétés qui en puisent leurs ressources. Les aires urbaines concentrant plus de 80% de la population française, la ville au sens large (territoire urbain et périurbain) est au cœur de cette recherche d’un aménagement viable, qui s’inscrive à la fois dans les engagements du gouvernement français d’enrayer la perte de biodiversité à l’horizon 2020 et dans la nécessité sociale de repenser la ville afin de lutter contre l’exode de la ville-centre pour sa périphérie. La réalisation d’une trame verte et bleue nationale déclinée à l’échelle régionale et le renouvellement des villes sur elles-mêmes selon les principes de la « durabilité » établis par le développement durable sont alors les mesures phares du Grenelle Environnement. S’intéressant à l’initiative sociale qui souhaite voir la « nature » en ville et à l’entreprise politique de préserver une « biodiversité » spécifique au milieu urbain, ce travail s’attache plus particulièrement au caractère socialisant des espaces semi-privés que représentent les jardins partagés, pouvant être révélateurs de l’efficience d’un réaménagement urbain souhaité durable environnementalement et socialement par les collectivités territoriales .

Le stage que j’ai effectué au Muséum d’Histoire Naturelle (MNHN) était cadré par la demande de l’Observatoire Départemental de Biodiversité Urbaine (ODBU) de réaliser le bilan d’une stratégie de médiation mise en œuvre dans le cadre du projet départemental « Trame verte et bleue en SeineSaint-Denis : de la réalité scientifique aux déclinaisons opérationnelles ». Le terrain qui porte l’objet de mon étude est un jardin partagé récemment installé en pied d’immeuble dans le quartier du Moulin Neuf à Stains. Co-géré par l’association Amicale des Locataires CNL et par le Lieu d’Ecoute et de Rencontre, un équipement socio-éducatif de la ville, ce jardin connaît une genèse bien particulière, révélatrice des enjeux qui lui sont associés. En effet, la réalisation de ce jardin s’inscrit plus ou moins directement dans une double continuité : celle des projets de rénovations urbaines qui s’opèrent sur tout le territoire de la Communauté d’Agglomérations Plaine Commune et celle de la stratégie de médiation de l’ODBU dans laquelle ce jardin a pour objectif de sensibiliser les habitants du quartier aux enjeux de trame verte et bleue urbaine et, plus globalement, aux enjeux de « Nature en Ville ».

« Depuis la fin de l’ère des chasseurs-cueilleurs et dès l’aube des sédentarisation agricoles, c’est la ville qui concentre et exprime l’essence des civilisations humaines» (Melot, 2010). L’urbanisation présente un caractère exponentiel nettement avéré depuis les années 1800 où la première révolution industrielle imputa aux territoires de profondes mutations avec les premiers exodes ruraux de masse. Avec le temps, les villes se sont adaptées aux nouveaux idéaux, modes de vies et exigences des citadins telles que la recherche d’une nouvelle qualité de vie. La seconde révolution industrielle et la reconstruction post seconde guerre mondiale font croître les villes qui concentrent alors toujours plus de populations, attirées par l’emploi et la certitude d’échapper à la pauvreté.

Les habitants de la ville ne travaillant pas la terre, le citadin s’oppose au paysan en excluant de l’urbanité la terre et ce qui se rapporte à elle. Le besoin d’espace vert en ville devient accessoire mais, avec le développement du tourisme de masse dans les années 1960- 75, les citadins sont en recherche de « vraie nature », c’est-à-dire la nature sauvage, lointaine, rurale ou exotique. Ce mouvement est renforcé par les architectes, qui conçoivent alors des villes fonctionnelles et minéralisées, ainsi que par la promotion immobilière spéculative des années 1970-80 qui ont fortement contribués à l’amoindrissement de visibilité et d’usage du végétal dans la ville (Decelle, Pannassier, Pinchart, 2007). Mais sonnant le glas des Trente Glorieuses, les chocs pétroliers de 1973 et 1975 génèrent de profondes mutations économiques, technologiques et sociales, poussant les moins aisés à habiter en périphérie des grandes villes. La démocratisation des moyens de transports, en particulier de l’utilisation de la voiture individuelle, s’accompagne alors de la fuite d’une ville polluée et d’un foncier dispendieux guidant un nouvel exode qui s’inscrit dans la perpétuelle recherche d’un environnement « plus hospitalier » généralement basé sur l’habitat pavillonnaire individuel avec jardin. Pourtant, la volonté de créer ou restaurer des espaces de nature dans ville n’est pas récente. Elle s’inscrit dans le courant hygiéniste du 19ème puis dans celui des concepts de cité-jardin et de ville verte du 20ème siècle.

Au 21ème siècle, ce besoin de nature ne désemplit pas. Sous le couvert de l’urgence environnementale, l’émergence du courant écologique touche toutes les sphères, du privé au publique en passant par la clase politique. Que ce soit par l’initiative sociale, à travers des pratiques dites écologiques individuelles (compost, tri sélectif, consommation de produits de saison, énergie « propres » etc.) et/ou collectives (co-voiturage, jardins partagés), ou bien issue d’une entreprise étatique (des politiques publiques telles que les lois relatives à la Solidarité et au Renouvellement Urbains (SRU), Grenelle I et II etc.), la volonté de densifier la ville en y « réintroduisant la nature » tout en enrayant les inégalités sociales est révélatrice des rôles et des enjeux que sous-tend la présence de « nature » dans la ville. Dans un souci de compréhension dans la lecture de ce mémoire, le terme de « ville » fait globalement référence au territoire urbain et périurbain ; celui de « nature » rassemble l’air, l’eau, les sols, le tissu vivant floristique, faunique et fongique et plus largement les parcs urbains et les jardins (individuels, familiaux et collectifs).

Table des matières

Introduction
I. LA PLACE DES JARDINS PARTAGES DANS LES ENJEUX DE « NATURE EN VILLE »
1. Une double réflexion sur la fonction de la présence de « nature » dans les villes denses
1.1 Des mesures phares du Grenelle Environnement
1.2 La domestication de la nature, une réponse sociale à la dégradation du lieu de vie
1.3 Les principes de la « Nature en Ville » en expérimentation en Seine-Saint-Denis
2. Un stage qui s’inscrit dans une série de partenariats
2.1 Une collaboration entre le MNHN et l’ODBU
2.2 Le quartier du Moulin Neuf, un « site-pilote » propice aux actions de médiations
3. Méthodologie
3.1 Liste des entretiens
3.2 Questionnaires
3.3 Difficultés rencontrées
II. PRATIQUES ET USAGES : DE LA PERCEPTION ET L’APPROPRIATION
1. Des profils relativement homogènes
2. Quel lien social ?
2.1 Entre les jardinières, avec la création et l’appartenance à un groupe spécifique ?
2.2 Entre les habitants ?
2.3 L’interaction intergénérationnelle, un lien présent mais encore relatif
3. Quelles perceptions pour quelles formes d’appropriation ?
3.1 Des perceptions à dominante idéelle ?
3.2 Des modalités d’appropriation différentes selon le statut des acteurs ?
4. Une médiation aux enjeux de Nature en Ville effective ?
4.1 Le rôle du jardin sur la perception et la pratique d’espaces de nature en ville
4.2 Le jardin, un outil de sensibilisation…
Conclusion 

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