FIEVRE CHEZ LES POST-OPERES EN UROLOGIE : ETIOLOGIES ET PRISE EN CHARGE

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PHYSIOPATHOLOGIE DE LA FIÈVRE

Les mécanismes physiopathologiques qui gouvernent la survenue d’une fièvre sont complexes, faisant intervenir des agents pyrogènes exogènes (LPS, acide lipotéichoïque) et des pyrogènes endogènes (cytokines pro-inflammatoires). [1]
La fièvre serait générée par une mauvaise régulation des noyaux hypothalamiques thermorégulateurs, dont le point d’équilibre serait anormalement élevé.

Contrôle normale de la température

De modestes variations circadiennes et mensuelles de la température corporelle sont enregistrées de manière physiologique [7] [11].
Le contrôle de l’homéothermie est assuré par l’hypothalamus. Les neurones des zones préoptiques antérieures et postérieures de l’hypothalamus reçoivent des signaux de deux types, soit en provenance des nerfs périphériques en liaison avec des récepteurs au chaud et au froid, soit directement par la température du sang perfusant la région hypothalamiques. Ces signaux sont intégrés par le centre thermorégulateur pour assurer le maintien d’une température normale [10]. La température centrale est maintenue autour d’une valeur normale stable en dépit des variations de l’environnement par un système de régulation mettant en jeu, en fonction des besoins, la sudation, la vasodilatation, la vasoconstriction ou les frissons.
La sudation apparaît à partir d’une température ambiante de 25°C chez lz sujet habillé, 32°C s’il est dévêtu. La sudation est l’unique moyen de lutter contre l’hyperthermie [11] [10]. Le frisson est initialement une simple augmentation du tonus musculaire. Dans sa forme complète, il est réalisé par une succession de secousses cloniques de la musculature striée, commençant aux masséters et se généralisant ensuite. Le frisson est chez l’homme le seul mécanisme thermogenèse en dehors des manifestations comportementales [9]. La vasomotricité cutanée permet de moduler les échanges par convection sanguine entre la peau et les milieux qui l’entourent. La vasodilatation augmente les échanges thermiques qui peuvent être une perte de chaleur (si la température extérieure est basse) ou un gain dechaleur (si la température extérieure est haute). A l’inverse, la vasoconstriction diminue ces échanges thermiques [10].

Nature des substances pyrogènes

De multiples substances, qualifiées de pyrogènes, sont rendues responsables de la fièvre et sont souvent séparées en pyrogènes exogènes ou endogènes. Pyrogènes exogènes
Le groupe le mieux caractérisé parmi les pyrogènes exogènes correspond à l’endotoxine (lipopolysaccharide ou LPS) constituant de la paroi bactérienne des bacilles à Gram négatif. Il existe de multiples types d’endotoxine en fonction de la famille et du genre du germe [11].
Les germes à Gram positif produisent également de puissants pyrogènes, tels que l’acide lipotéichoïque ou le peptidoglycane mais leur pouvoir d’induction de fièvre est plus faible. Cependant, en clinique, il est impossible de reconnaître une infection à bacille à Gram négatif d’une infection à cocci à Gram positif sur des critères liés à la fièvre [7].
Pyrogènes endogènes
Le groupe des pyrogènes endogènes correspond à des polypeptides produits par de multiples familles cellulaires de l’hôte (monocytes/macrophages, lymphocytes, cellules endothéliales, hépatocytes, cellules musculaires lisses, cellules épithéliales, kératinocytes, fibroplastes…) regroupés sous le terme général de cytokines. Ces substances produites au sein des organes ou de manière systémique sont libérées dans la circulation, gagnent l’hypothalamus et induisent la fièvre. La compréhension de l’action de ces agents est compliquée par le fait qu’une ou plusieurs cytokines peuvent influencer la sécrétion d’autres cytokines et/ou agir sur leurs récepteurs et induire aussi d’autres médiateurs dotés d’activité proche, par exemple les prostaglandines ou le platelet-activating-factor (PAF). Il n’est donc pas facile d’attribuer un effet à un médiateur plutôt qu’à un autre [10].
Les pyrogènes actuellement reconnus comme les plus actifs comprennent l’interleukine 1 (IL-1α et IL-1β) le TNF α, l’interféron α et l’IL-6. Ces agents indétectables dans les conditions normales chez l’individu sain, sont produits dans une grande variété de tissus à l’occasion de divers stimuli (tableau 1). Une fois libérées, ces substances ont une demi-vie intra-vasculaire brève. Ces cytokines ont des effets pleîotropiques, reconnaissant des récepteurs sur de multiples tissus. Ces agents sont actifs à des concentrations picomolaires, et induisent des réponses cellulaires maximales, même lorsqu’un nombre minime de récepteurs sur les cellules cibles est stimulé. Après leur sécrétion, ces substances peuvent être retrouvées dans tous les liquides de l’organisme et exercent des effets locaux (autocrine/paracrine) et des effets systémiques (endocrines) (tableau 1).
L’administration de l’un de ces médiateurs à des doses faibles induit dans un délai variable (1 à 4 h en fonction de l’agent) un tableau de fièvre et de frissons. Du fait des multiples voies de production et d’activation de ces médiateurs, la survenue d’une fièvre dans la période postopératoire n’est pas forcement liée à une infection, mais peut être la conséquence d’une réponse inflammatoire isolée [11].

Mécanisme de la fièvre

La thermogénèse normale est régulée par l’hypothalamus. Les théories actuelles expliquent la fièvre par une dysrégulation hypothalamique dont la traduction serait une élévation du point d’équilibre thermique hypothalamique.
D’une manière générale, un agent stimulant (endogène ou exogène) déclenche une réponse fébrile par sa présentation à des cellules spécialisées de l’hôte qui en retour répondent par la synthèse et l’excrétion de cytokines pyrogènes dans la circulation en quantités variables en fonction du stimulus (figure 1). Chez un hôte donné, un pyrogène exogène (par exemple un virus ou du LPS) induit une sécrétion de cytokines selon des concentrations et une cinétique qui lui sont propres [7]. In fine, chaque cytokine se lie à un récepteur spécifique, dont les plus importants en termes de thermogenèse se situent sur les neurones de la région préoptique de l’hypothalamus antérieur. À cet endroit, l’interaction cytokine récepteur active la phospholipase A2, induisant une libération d’acide arachidonique, substrat de la voie de la cyclo-oxygénase. Certaines cytokines augmentent directement l’expression de la cyclooxygénase, conduisant à la libération de prostaglandine E2 (PGE2), métabolite de l’acide arachidonique. Ce médiateur lipidique de petite taille diffuse facilement à travers la barrière hémato-encéphalique et agit directement sur les neurones thermo-sensibles (figure 1). Bien que d’autres facteurs pyrogènes soient également à l’origine de la fièvre, les métabolites de l’acide arachidonique (principalement la PGE2) semblent particulièrement impliqués dans le dérèglement des neurones préoptiques sensibles à la chaleur [10].
Les pyrogènes endogènes induisent un dérèglement des neurones préoptiques sensibles à la chaleur qui facilitent normalement la perte de chaleur et réduisent la thermogenèse. La conséquence est une élévation du seuil thermique pour tous les mécanismes thermorégulateurs et une activation des mécanismes de lutte contre le froid, tels que la vasoconstriction et les frissons. Arrivé à un nouveau point d’équilibre, l’hypothalamus maintient ce nouveau seuil thermique. Lorsque la concentration des pyrogènes diminue, le seuil thermique revient à la normale, activant les mécanismes de vasodilatation active et de sudation [8].
Plusieurs mécanismes de rétrocontrôle ont été proposés pour expliquer l’atténuation de l’expression de l’effet des cytokines pyrogènes (figure 1). Bien que la PGE2 ait une action centrale sur la thermogenèse, cet agent limite en périphérie l’expression des gènes des cytokines pyrogènes [1]. Les corticoïdes ont le même effet sur l’expression des gènes des cytokines et sur l’activité de la phospholipase A2. Des récepteurs antagonistes des cytokines pyrogènes sont produits , vont agir par compétition avec l’IL-1 et les autres cytokines pyrogènes et capter ces médiateurs avant leur action sur les récepteurs cellulaires. Enfin, des hormones telles que l’arginine vasopressine et la MSH (mélanocyte stimulating hormone) ont des effets antipyrétiques et sont mis en jeu au cours de la fièvre [2].
Réponse inflammatoire
De nombreuses situations cliniques qui conduisent à une réaction fébrile sont également à l’origine de la production de protéines de l’inflammation, qualifiée de protéines de l’acute phase. La fièvre et la synthèse de ces protéines sont généralement considérées comme des piliers de la réaction de l’hôte face à un traumatisme ou une infection [3].
L’évolution des protéines de l’inflammation peut être classée en deux grandes catégories, réponse positive ou réponse négative. De très nombreuses protéines voient leur concentration augmenter au cours de la réaction inflammatoire. À la suite d’un traumatisme, la concentration plasmatique de ces protéines peut être modérément accrue (moins de 4 fois, comme par exemple la cœruloplasmine ou l’haptoglobine) ou fortement augmentée (près de 1 000 fois, comme la C réactive protéine ou CRP). Leur cinétique est également très variable. Ainsi, l’augmentation et la décroissance des concentrations de CRP sont plus rapides que les variations du fibrinogène ou des fractions du complément. De multiples travaux ont étudié l’évolution de la CRP, protéine dont l’amplitude de variation est la plus large et la mesure quantitative la plus facile. Il n’est pas possible de prédire les modifications des autres protéines à partir des changements de la CRP [11]. Quelques protéines voient leur concentration réduite au cours de l’inflammation. L’albumine est l’exemple le plus clair, mais les concentrations plasmatiques de transferrine et de préalbumine sont également réduites. Les mécanismes complexes qui régissent la synthèse de ces protéines ne peuvent être abordés ici.
Le couplage fièvre/protéines de l’inflammation peut être pris en défaut dans de multiples situations. Ainsi, des situations cliniques peuvent être observées où une fièvre est notée sans modification des concentrations des protéines de l’inflammation. À l’opposé, des situations d’accroissement des protéines l’inflammation sont parfois constatées sans fièvre associée. Il est à noter que le blocage de la réponse fébrile par des inhibiteurs de la cyclo-oxygénase n’a que très peu d’impact sur la réponse inflammatoire normale [8]. Ces différents éléments ont conduit à la réalisation de multiples travaux démontrant que la fièvre et la réponse inflammatoire sont régulées de manière indépendante [11].
Autres mécanismes d’hyperthermie
Une augmentation de la température centrale peut être observée sans élévation du point d’équilibre thermique hypothalamique par augmentation de la thermogenèse. Cela peut être observé dans des conditions liées à l’environnement (coup de chaleur, hyperthermie d’effort…) ou une intervention iatrogène : l’hyperthermie maligne (augmentation du métabolisme musculaire) et le syndrome malin des neuroleptiques (inhibition des récepteurs dopaminergiques hypothalamiques à l’origine d’une thermogenèse accrue). Dans la période postopératoire, ces étiologies correspondent généralement à des diagnostics d’élimination.

ÉTIOLOGIES

A bords cliniques

Dans le contexte postopératoire, le bilan étiologique s’oriente naturellement vers le site opératoire initial à la recherche d’une complication infectieuse, mais la présence d’une fièvre n’est pas forcément le signe d’une infection [51].

Méthodes de mesures de la température

De multiples méthodes de mesure ont été proposées. Traditionnellement, la mesure est effectuée par voie orale, rectale, axillaire ou inguinale. Ces deux dernières méthodes doivent être abandonnées, du fait de leur absence de relation avec la température centrale et de leur faible reproductibilité [12] [13] [14].
Actuellement les méthodes les plus fiables sont les mesures intravasculaires par une thermistance [I2] [13]. Cependant, toutes les thermistances n’ont pas des performances équivalentes. De plus, la perfusion de gros volumes dans l’oreillette droite peut modifier les mesures. Les thermistances placées sur les sondes vésicales fonctionnent selon le même principe, mais sont peu utilisées en réanimation [13].
La mesure par voie rectale par thermomètre ou par sonde électronique donne des températures plus élevées de quelques dixièmes par rapport à la mesure centrale [12] [13]. Chez les patients vigiles, ces mesures sont souvent vécues comme inconfortables. De plus, elles sont potentiellement source de lésions traumatiques (tout particulièrement en cas de coagulopathie ou au décours d’une chirurgie colo-rectale), et de dissémination de bactéries multirésistantes [15] [16]. La mesure buccale est simple chez les patients vigiles et coopérants. Une respiration buccale, l’inhalation de gaz réchauffés, la prise de boissons chaudes ou froides peuvent modifier les mesures [14]. Des lésions de la muqueuse sont possibles, particulièrement chez les patients avec une muqueuse fragilisée du fait de traumatismes, brûlures, infection ou chirurgie. Chez les patients sous sédation, la mesure buccale est peu pratique du fait de l’intubation ou de la coopération impossible.
La mesure de la température tympanique est supposée refléter la température hypothalamique et donc la température centrale. Elle est effectuée directement par une sonde électronique. Un risque de lésion tympanique est possible. Les mesures sont faussées en cas d’inflammation tympanique ou d’otite ou d’obstruction du conduit auditif externe. Enfin, les corrélations avec les autres systèmes de mesure ne sont pas parfaites [12] [13] [14}.

Délai de survenue de la fièvre

Dans la période postopératoire immédiate, les patients ont souvent des difficultés à maintenir un équilibre thermique normal et une hypothermie postopératoire immédiate est banale. Une hyperthermie précoce peut être observée dans la période postopératoire immédiate, liée à une réponse inflammatoire, à un réchauffement par circulation extracorporelle, à un patient trop couvert voire à une hyperthermie maligne [17]. Le plus souvent, l’apparition de la fièvre est retardée et n’apparaît qu’après réchauffement complet et un intervalle libre de quelques heures à quelques jours. Ainsi, dans une série de 224 patients opérés en urologie, la majorité des complications fébrile est survenue à distance de l’intervention (> 6-12 heures) entre le cinquième (77 % des complications ont déjà été observées à cette date) et le huitième jour (89 % des complications) [18]. Bien entendu, cette distinction artificielle ne prend en compte que les complications précoces.
Dans certaines circonstances telles que les pathologies urologiques, une élévation thermique est souvent prévisible. Aussi, une fièvre ne conduit pas forcément le praticien à des démarches diagnostiques immédiates (examens biologiques et radiographiques) à moins que des symptômes particuliers ne soient observés [17] [19].

Aspect de la courbe thermique

Les tentatives pour établir un diagnostic étiologique à partir de l’aspect de la courbe thermique ou son amplitude sont entachées d’une grande marge d’incertitude. L’imprécision des mesures, l’utilisation d’antipyrétiques, les variations individuelles liées à l’âge, à l’état d’hydratation, à l’environnement thermique, au métabolisme de base ou enfin à la présence d’autres affections sont autant d’éléments qui rendent l’analyse morphologique de la courbe thermique très aléatoire. Les distinctions sont issues de travaux de médecine interne ou de pathologie infectieuse (tableau II). La place tenue par l’analyse de la fièvre postopératoire dans ces travaux est très restreinte.

Présentation clinique

Dans le cadre de l’enquête étiologique, l’analyse de la situation doit être stéréotypée. Dans le contexte postopératoire, la recherche s’oriente a priori vers un foyer infectieux, d’autant plus que le patient n’était pas fébrile en période préopératoire. L’examen clinique doit être complet, y compris les touchers pelviens (par exemple à la recherche d’un abcès du cul-de-sac de Douglas ou d’une prostatite).
Une augmentation de la fréquence cardiaque est généralement notée chez les sujets fébriles, attribuée à la fièvre. À la suite de travaux anciens, une augmentation de 10 battements est généralement attendue pour une élévation thermique de 0,9-1 °C [20] [21]. Les mesures effectuées à l’Université du Maryland ne retrouvent qu’une augmentation de 2,5 battements pour un accroissement de 0,5 °C de température [1].
Lors de la phase d’ascension thermique, une augmentation notable du débit et de la fréquence cardiaques est habituellement notée, associée à une augmentation de la consommation en oxygène. Ces besoins en oxygène sont encore accrus en cas de frissons. Une dette en oxygène pourrait donc s’instaurer, conduisant à une défaillance cardiovasculaire ou respiratoire chez les sujets fragiles. Cette hypothèse, bien que fréquemment évoquée et mise en avant pour justifier la prescription d’antipyrétiques, est rarement observée

Les principales causes de fièvre post-opératoire

Les fièvres isolées sont en général considérées comme bénignes, surtout si elles sont bien tolérées. Cette bénignité peut n’être que temporaire, la fièvre étant généralement le premier signe d’un cortège témoin d’une infection profonde. Cependant, elle est un signe peu spécifique de l’infection. Ainsi, dans une série de patients opérés d’une prostatectomie et développant une fièvre postopératoire, une cause infectieuse n’a été trouvée que dans 5 % des cas [22]. Les signes d’accompagnement de la fièvre sont donc des éléments importants pour leur valeur d’orientation. Un hématome en cours de résorption, une thrombophlébite ou un abcès de paroi peuvent être à l’origine de cette fièvre. Les fièvres accompagnées de frissons et de manifestations circulatoires sont évocatrices d’un épisode septicémique, mais peuvent se voir également lors d’une injection accidentelle de pyrogènes ou d’un accident transfusionnel.

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE REVUE DE LA LITTERATURE
I – DEFINITION
II – PHYSIOPATHOLOGIE
III – ETIOLOGIES
IV – EXAMENS COMPLEMENTAIRES
V – PRISE EN CHARGE
DEUXIÈME PARTIE METHODOLOGIE ET RESULTATS
TROISIÈME PARTIE COMMENTAIRE, DISCUSSIONS ET SUGGESTIONS
CONCLUSION
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE

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