Génération d’impulsions électriques brèves

Le spectre térahertz marque la frontière entre les domaines optique et micro-ondes. Un grand nombre de phénomènes physiques peuvent se manifester dans cette plage de fréquences dont les premières études ont débuté avec la célèbre expérience de transmission des ondes électromagnétiques de Hertz [Hertz88], puis se sont poursuivies à la fin du 19ième siècle grâce aux travaux de Nichols [Nichols93] et surtout de J. Bose [Bose97] [Emerson97]. Cela a stimulé un grand nombre de travaux dans ce domaine, appelé alors l’infrarouge très lointain (FIR: far infra-red) [Houghton66], qui ont conduit à la mise au point de techniques très abouties, comme la spectroscopie à transformée de Fourier [Bell72], et à l’obtention de résultats scientifiques de premier ordre, en particulier l’étude des spectres de vibration et rotation moléculaire. Cependant, dans les années 80, l’émergence de lasers femtosecondes performants et fiables a permis de construire des expériences optoélectroniques [Auston76] [Mourou81] [Chueng86] [Fattinger88] [Smith88a] d’investigation de l’infrarouge lointain, qui sont simples, compactes et sensibles. De ce fait, les activités de recherche dans l’infrarouge lointain ont été relancées de façon spectaculaire. En particulier, ces techniques optoélectroniques permettent de réaliser des mesures dans le domaine temporel, inaccessible par des méthodes classiques. En effet, les lasers ultra brefs qui délivrent des impulsions dont la durée est de quelques dizaines de femtosecondes permettent la génération d’impulsions électriques brèves picosecondes ou sub-picoseconde, dont les composantes spectrales s’étendent au-delà du térahertz. Techniquement, le domaine spectral est atteint en réalisant une transformée de Fourier numérique des signaux temporels enregistrés, l’enregistrement d’événements aussi brefs étant possible grâce à des techniques d’échantillonnage. Cette méthode de génération cohérente a ouvert de nouvelles voies pour l’étude des phénomènes dont les fréquences se situent entre les micro-ondes et le spectre infrarouge. Ainsi, il est par exemple possible d’observer de manière détaillée les phénomènes électroniques transitoires.

Les applications des impulsions électriques brèves sont nombreuses et on peut citer en premier lieu les études purement physiques comme la caractérisation de la dynamique électronique dans les matériaux [Leitenstorfer00] [Knoesel01] [Son94]. Le rayonnement de ces impulsions dans l’espace libre à l’aide d’antennes conduit à de nouveaux moyens expérimentaux de caractérisation comme la spectroscopie térahertz résolue en temps [Garet97]. Ce type de spectroscopie a connu un développement important au cours des 15 dernières années, car la bande de fréquence térahertz forme une région très intéressante du spectre électromagnétique pour plusieurs raisons, notamment l’excitation de phonons dans les cristaux, de résonances moléculaires dans les gaz, de niveaux énergétiques intra-bande dans les puits quantiques, de résonance plasma des porteurs libres, etc. Ces phénomènes physiques expliquent la sensibilité du rayonnement térahertz aux substances polaires, telles que l’eau, et son insensibilité aux substances non polaires, rendant la poussière, le plastique, et même les vêtements presque transparents. C’est pourquoi des travaux importants sont menés pour fabriquer des capteurs et dispositifs utilisant les ondes THz [Mittleman03], en vue d’applications comme la caractérisation de matériaux, la détection de molécules (les polluants atmosphériques par exemple) et l’imagerie térahertz [Hu95] [Mittleman99] [Mickan00]. L’imagerie dans cette gamme de fréquence laisse présumer des applications particulièrement prometteuses par exemple dans la sécurité, ou le domaine médical (détection de caries non apparentes sous l’émail [Arnone99]…). Dans ce dernier secteur, on peut noter les travaux récents de l’équipe de Pickwell qui envisage la détection de tissus cancéreux in vivo. En effectuant des mesures en réflexion sur la peau, on a pu distinguer les différentes teneurs en eau de la peau des sujets. En exploitant la réponse différente entre les régions saines et malades, qui ont une teneur en eau différente, il devient donc possible de détecter aisément les régions cancéreuses [Pickwell04]. Enfin, les applications de communication, très prospectives pour l’instant, visent à assurer le lien avec l’abonné au niveau de la boucle locale en offrant à la fois un très haut débit d’information et une bonne isolation des différentes boucles locales entres elles grâce à la forte absorption de l’atmosphère dans la gamme de fréquences envisagée (plusieurs centaines de GHz) [Mann01].

Il est difficile de parler des impulsions électriques sub-picosecondes, et de leur spectre fréquentiel associé, sans mentionner les techniques en régime harmonique aux longueurs d’ondes sub-millimétriques. En effet, comme nous l’avons déjà cité auparavant, une caractéristique majeure des impulsions sub-picosecondes est leur spectre large bande pouvant s’étendre jusqu’à plusieurs térahertz. La technique, aujourd’hui classique, de spectroscopie térahertz résolue temporellement met en jeu une impulsion optique séparée en deux pour réaliser l’émission et la détection par échantillonnage. Ce type de méthode ne permet pas de réaliser la détection hétérodyne d’un signal émis par une source lointaine pour des applications en radioastronomie par exemple. De plus, l’analyse harmonique présente une meilleure résolution spectrale et une meilleure dynamique que l’analyse temporelle. Grâce à la disponibilité de composants optoélectroniques dont la bande passante dépasse le térahertz, on a pu envisager la génération et la détection d’ondes micrométriques monochromatiques. Pour cela, il est nécessaire d’éclairer le détecteur avec deux ondes optiques continues dont la différence de longueur d’onde correspond à la fréquence désirée [Peytavit02]. Cet axe de recherche est fortement motivé par la disponibilité de sources optiques à semiconducteur accordables peu coûteuses et très compactes [Riemenschneider03] laissant espérer la production d’un système complet de génération et/ou de détection térahertz accessible à tous. Une autre façon de procéder est de multiplier la fréquence générée par des composants électroniques, comme des diodes Gunn ou des diodes HBV (Heterostructure Barrier Varactor) [Kollberg89], dans des composants non linéaires. Bien que chaque multiplication de fréquence fasse perdre pratiquement un ordre de grandeur en puissance [Eisele00], et qu’il faille changer de dispositifs pour balayer différentes parties du spectre THz, cette technologie est assez développée et des appareils sont commercialisés [ABmm]. Malheureusement, ces appareils ne permettent pratiquement pas d’atteindre des fréquences supérieures au THz. Une autre technique prometteuse est liée au développement de lasers à effet de cascade quantique, dans lesquels les charges passent par effet tunnel d’un niveau intra bande non excité d’un puits quantique au niveau excité du puits voisin. La désexcitation stimulée du niveau excité vers un niveau plus bas permet un effet laser dans le domaine THz. Actuellement, ces lasers produisent des faisceaux dont les longueurs d’onde couvrent le moyen infrarouge jusqu’à environ 2,4 THz [Tredicucci04]. Cependant, les puissances rayonnées sont encore faibles, de l’ordre du milliwatt, et ces lasers ne fonctionnent qu’à très basses températures. Un gros travail de développement reste nécessaire pour les rendre plus efficaces et pratiques.

Bien qu’étant une voie explorée depuis peu de temps, les industriels s’impliquent déjà fortement dans le domaine de l’optoélectronique THz, prouvant ainsi son intérêt pratique. On peut citer la société américaine Picometrix qui commercialise un banc de mesures térahertz destiné aux laboratoires et la société anglaise Teraview qui propose une gamme de bancs de spectroscopie térahertz autonome dont les dimensions sont comparables à celles d’une photocopieuse ! Nikon propose à la fois un système d’imagerie térahertz permettant, grâce à une caméra CCD, de visualiser une impulsion brève dans le domaine spatial et temporel, et un appareil de contrôle du dopage de wafers semi-conducteurs. Ces systèmes utilisent tous la technique de génération par photocommutation décrite plus loin.

Les techniques de générations et de mesures d’impulsions sub-picosecondes mettent en jeu différents phénomènes physiques aux temps de relaxation très courts (photocommutation dans des dispositifs à semi-conducteurs ou à supraconducteurs [Hangyo96], excitation d’états de surface dans les semi-conducteurs [Zhang92a], excitation d’ondes plasma dans des structures confinées [Knap04], redressement optique [Hu90] [Rice 94a] et effet électro-optique [Valdmanis89] dans les cristaux…). Nous nous intéresserons dans ce travail à la génération par photocommutation. Si un effort intense est porté par de multiples groupes sur la recherche d’un matériau très efficace (faible temps de vie et forte mobilité des porteurs), l’aspect hyperfréquence du photocommutateur est bien souvent négligé. Une analyse électromagnétique complète a déjà été réalisée [Ariaudo96] [ElGhazaly90] mais son développement se révèle très complexe et la puissance de calcul nécessaire ne permet pas de faire une étude paramétrique exhaustive. Il nous a donc semblé utile de développer un modèle du photocommutateur prenant en compte les aspects matériau et hyperfréquence. La validité de ce modèle sera vérifiée grâce aux comparaisons de la théorie par rapport aux mesures effectuées par différentes méthodes (échantillonnage photoconductif, électro-optique et photo-absorption).

L’utilisation des techniques optoélectroniques permet de repousser les limites temporelles des impulsions électriques générées grâce au temps de relaxation extrêmement court de différents phénomènes optiques dans les matériaux. Ce premier chapitre dresse un état de l’art des matériaux, techniques et dispositifs permettant de générer des impulsions électriques brèves par voie optique. Je commencerai par détailler les principaux éléments de la physique des semi-conducteurs concernant la photo-génération d’impulsions brèves avant de décrire les techniques optoélectroniques de génération d’impulsions électriques guidées et rayonnées. Ensuite, je décrirai rapidement une technique de génération d’onde THz monochromatique par photo-mélange, cette méthode faisant intervenir les mêmes notions que celles décrites précédemment. Finalement, j’aborderai brièvement une technique de génération d’impulsion brève par voie purement électrique.

Depuis l’avènement de lasers à modes bloqués fiables et performants à la fin des années 80, l’optoélectronique rapide s’est développée grâce aux attraits que fournissaient de telles sources. La possibilité d’utiliser les mécanismes de photoconduction et d’étudier la réponse d’un semi-conducteur à un éclairement impulsionnel a ouvert de nombreuses voies en physique expérimentale. En effet les lasers impulsionnels permettent non seulement de générer des impulsions optiques brèves (d’une durée inférieure à cinq femtosecondes aujourd’hui) mais aussi d’atteindre des densités de puissance instantanée extrêmement élevées tout en limitant les effets thermiques liés à l’énergie. Il est aujourd’hui possible d’étudier commodément des effets non stationnaires dans les semi-conducteurs ainsi que des phénomènes non linéaires. David Auston fut le premier à utiliser la photoconduction en 1975 [Auston75] pour générer une impulsion électrique brève sur une ligne micro onde. Le matériau utilisé à l’époque (du silicium à haute résistivité) était relativement lent (la durée de vie des porteurs est de plusieurs centaines de ps), mais la technique mise en œuvre a néanmoins permis de générer une impulsion de 25 ps. Depuis, le développement des semiconducteurs rapides permet de générer des impulsions inférieures à une picoseconde à l’aide de dispositifs relativement simples.

La photo-génération d’impulsions électriques repose principalement sur le mécanisme photoélectrique et sur les propriétés électroniques des semi-conducteurs. Depuis le début des années 1980, les matériaux photoconducteurs rapides sont intensément étudiés, l’objectif étant de diminuer le temps de réponse tout en améliorant la sensibilité des détecteurs. Ceci est une performance difficile à accomplir car la réduction du temps de vie des porteurs se réalise en diminuant le temps de collision des électrons, donc en diminuant leur mobilité. Ce paragraphe décrit les phénomènes principaux pouvant survenir lors de la photo-génération d’impulsions électriques rapides.

Table des matières

INTRODUCTION
I. GENERATION D’IMPULSIONS ELECTRIQUES BREVES
I.1 PHOTONIQUE IMPULSIONNELLE ET MATERIAUX RAPIDES
I.1.1 Principes généraux sur les semi-conducteurs
I.1.1.1 Semi-conducteurs pour l’optoélectronique
I.1.1.2 Absorption optique
I.1.1.3 Transport électronique
I.1.1.3.1 Mobilité
I.1.1.3.2 Saturation de la vitesse
I.1.1.3.3 Transport en régime non stationnaire : survitesse
I.1.1.4 Conductivité d’obscurité
I.1.1.5 Mécanismes de recombinaison et durée de vie
I.1.1.5.1 Transition radiative
I.1.1.5.2 Transition non radiative : centres de recombinaisons
I.1.1.5.3 Durée de vie
I.1.1.6 Contact métal-semiconducteur
I.1.2 Matériaux rapides
I.1.2.1 Les matériaux amorphes
I.1.2.2 Les matériaux implantés et dopés
I.1.2.3 Les matériaux poly-cristallins
I.1.2.4 Les matériaux basse température
I.1.2.4.1 Le GaAs basse température
I.1.2.4.2 Le GaAs basse température dopé au béryllium
I.1.2.5 Bilan
I.2 IMPULSION GUIDEE – PHOTOCOMMUTATEUR
I.2.1 Génération d’impulsion brève à partir de matériaux lents
I.2.1.1 Dispositif d’Auston et variantes
I.2.1.2 Temps de transit
I.2.1.3 Illumination partielle
I.2.1.4 Electroabsorption
I.2.2 Commutateurs photoconducteurs à temps de vie ultracourt
I.2.2.1 Photocommutateurs à contact glissants
I.2.2.2 Photocommutateur Métal-Semiconducteur-Métal
I.2.2.3 Photodétecteur à propagation d’onde
I.2.2.4 Photodiode UTC
I.3 IMPULSION RAYONNEE
I.3.1 Redressement optique
I.3.2 Génération de surface
I.3.2.1 Champ de surface
I.3.2.2 Effet Dember
I.3.2.3 Amélioration de l’efficacité de rayonnement
I.3.3 Photocommutation – spectroscopie térahertz
I.3.3.1 Principe de la génération et de la détection par photocommutation
I.3.3.2 Génération harmonique d’ondes sub-millimétriques
I.4 GENERATION ELECTRIQUE – COMPRESSION D’IMPULSION PAR UNE LIGNE DE TRANSMISSION NON LINEAIRE
I.5 CONCLUSION
II MESURES OPTIQUES D’IMPULSIONS ELECTRIQUES BREVES
II.1 PRINCIPES GENERAUX
II.1.1 Principales techniques de mesures de signaux rapides
II.1.1.1 Échantillonnage en temps équivalent
II.1.1.2 Technique interférométrique
II.1.2 Source laser impulsionnelle
II.2 DISPOSITIFS CARACTERISES
II.3 MESURE DU MATERIAU SEUL : REFLECTOMETRIE TEMPORELLE
II.3.1 Principe
II.3.2 Mesure
II.4 ÉCHANTILLONNAGE PHOTOCONDUCTIF
II.4.1 Principe
II.4.2 Mise en œuvre
II.4.3 Propagation de l’impulsion
II.4.4 Saturation du matériau et du circuit
II.5 ÉCHANTILLONNAGE ELECTRO-OPTIQUE
II.5.1 Principe
II.5.1.1 Rappels de propagation d’ondes lumineuses en milieu linéaire biréfringent
II.5.1.2 Susceptibilité et polarisation non-linéaire pour l’effet Pockels
II.5.2 Application à la mesure du champ électrique
II.5.3 Mise en œuvre
II.5.4 Cartographie du champ électrique
II.5.5 Mesures impulsionnelles
II.5.6 Propagation de l’impulsion
II.5.7 Saturation du circuit et du matériau
II.5.8 Caractérisation de différents photocommutateurs
II.5.9 Impulsion générée par court-circuitage du ruban central
II.5.10 Mesure de l’amplitude des impulsions en fonction de la tension de polarisation
II.6 ÉCHANTILLONNAGE PAR EFFET FRANZ-KELDYSH
II.6.1 Principe
II.6.2 Mise en œuvre
II.6.3 Mesures impulsionnelles
II.6.4 Propagation de l’impulsion et saturation du circuit
II.7 BILAN
II.8 MESURES TERAHERTZ
II.8.1 Génération et mesure par photocommutation
II.8.2 Sensibilité de la mesure avec les antennes classiques
II.8.3 Mesures bolométriques du champ rayonné
II.8.4 Génération par effet Dember sous champ magnétique
CONCLUSION

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *