Genèse de l’addiction

Genèse de l’addiction

L’approche dialectique entre dimensions psychique et neurobiologique de l’addiction que je souhaite tenter nécessite d’exposer les théories sur lesquelles je compte m’appuyer au départ dans ces deux domaines. En ce qui concerne l’aspect psychologique du processus addictif, seule la psychopathologie psychodynamique permet de dépasser la simple description phénoménologique. C’est donc dans le corpus des auteurs se référant explicitement ou implicitement à la métapsychologie que je puiserai les éléments susceptibles d’aider à la compréhension du fonctionnement addictif. Pour l’aspect biologique, la littérature scientifique étant très majoritairement écrite en anglais, j’utiliserai les articles disponibles sur la base de données PubMed (National Institutes of Health, USA) fortement empreinte de la pensée médicale nord-américaine, mais avec des apports européens et japonais importants. En premier lieu, la dépendance pathologique n’étant pas le destin inéluctable de ceux qui consomment des drogues (Charles-Nicolas et al. 2003), les conduites addictives peuvent être considérées comme l’expression de vulnérabilités d’ordre psychique et/ou biologique. Cette observation, relevée à la fois dans les champs clinique et épidémiologique, conduit donc à formuler une hypothèse de la genèse de l’addiction centrée sur l’individu (Swendsen and Le Moal, 2011) : seuls les sujets vulnérables seront pris dans une compulsion de répétition de leur consommation les conduisant inéluctablement à la dépendance aux drogues. Il nous faut donc explorer quels types de vulnérabilités potentielles pourraient être en cause.

Vulnérabilité narcissique

Bien que les patients dépendants consomment des drogues avec des motivations explicites très diverses, on peut s’interroger sur les facteurs communs de vulnérabilité psychique qui les font basculer d’une consommation récréative à une consommation compulsive. Dans la littérature, ce qui est retrouvé avec le plus de constance est l’évocation d’une vulnérabilité narcissique ; mes propres observations cliniques, quant à la fréquence des souffrances narcissiques-identitaires chez les patients toxicomanes que je rencontre, corroborent ce premier énoncé. Dès 1933, Rado avance que la toxicomanie est un « désordre narcissique  » qui trouve son origine dans une dépression préexistante, laquelle sensibilise le malade aux effets plaisant et euphorique des drogues. Plus récemment, Bergeret (1982) met en avant « l’angoisse d’insuffisance narcissique » qui porte certains dépressifs « à investir un toxique comme une  véritable potion magique destinée à leur permettre de dominer le monde »17, c’est-à-dire de restaurer leur sentiment de toute-puissance infantile ou même de l’instaurer lorsqu’ils n’ont pas pu en avoir l’illusion dans l’enfance. Pour Le Poulichet (1987), « les toxicomanies […] s’ordonnent dans le registre d’une radicale suppléance narcissique. […]. Il faut sans cesse suppléer la défaillance d’une instance symbolique. » C’est sans doute, le moyen qu’il trouve pour suppléer à une défaillance de l’Autre en tant que tiers. Elle distingue d’autres configurations telles que des formations de prothèses narcissiques, des suppléments qui viennent soutenir l’image narcissique. « Ce supplément tente de pourvoir à la discordance entre une image réelle et une image idéale, de déterminer une posture où s’ajuste une image narcissique. »

Dodes (1996), s’appuyant sur les théories de Kohut (1971), suggère que les sujets susceptibles de s’engager dans une addiction ont une vulnérabilité narcissique se manifestant par une sensibilité pathologique aux états subjectifs de détresse. Il observe que les expériences traumatiques sont capables de déclencher une rage narcissique mise en acte dans la conduite addictive, représentant une tentative du sujet de reconquérir sa maîtrise interne. De plus, du point de vue structural, la majorité des auteurs s’accordent pour penser que les conduites addictives n’ont pas de spécificité (Bergeret, 1982 ; Jeammet, 2000 ; Corcos, 2004). Ce dernier propose que « Les conduites addictives, comme toutes les conduites agies, reflètent l’instabilité de l’organisation psychique sous-jacente. Leur apparition ne signe pas en elle-même la présence d’une structure psychique particulière ; par contre, elle nous semble nécessairement témoigner d’une vulnérabilité de la personnalité et d’une instabilité de son fonctionnement mental qui sont à la fois suffisamment spécifiques pour être une condition nécessaire au surgissement de telles conduites, mais pas assez pour que celles-ci soient une réponse inévitable et même la seule possible. »19 .

 

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