Des germylenes aux germynes
Etude d’un diazogermylène
Introduction
La synthèse des diazogermylènes RGeC(N2)R’ qui doivent nous permettre d’accéder à la triple liaison germanium-carbone, nécessite au préalable l’obtention des germylènes halogénés correspondant RGeX. La synthèse de chlorogermylènes stables, mais aussi porteurs de substituants capables de stabiliser le potentiel germyne, est notre premier objectif. Dans ce chapitre, nous allons décrire successivement le synthèse du chlorogermylène puis du diazogermylène correspondant. Nous avons utilisé le ligand Ar (Ar = 2- (diisopropylamino)méthyl-4,6-di-tert-butylbenzène) porteur d’une chaîne latérale en position ortho avec un atome d’azote susceptible de se coordonner au métal. Nous allons présenter ensuite la réactivité photochimique du diazogermylène.
Synthèse du chlorogermylène
La synthèse du chlorogermylène est une étape importante vers la triple liaison germanium-carbone. En effet, ce dérivé de départ pour la synthèse du diazogermylène est une espèce hautement réactive. Les halogénogermylènes sont souvent stabilisés thermodynamiquement par complexation intra ou extramoléculaire. Le dichlorogermylène de départ est l’exemple le plus simple, il est stabilisé par une molécule de dioxane.
Choix du ligand
Dans le but de synthétiser un chlorogermylène stable, nous avons utilisé le groupement 2-(diisopropylamino)méthyl-4,6-di-tert-butylphényl (Ar). N(iPr)2 Ar = _ Un tel ligand procure d’une part de l’encombrement stérique grâce au groupement tertiobutyle en ortho et au bras chélatant CH2N(iPr)2. D’autre part il apporte un effet stabilisant dû à la coordination intramoléculaire de la paire libre de l’azote dans l’orbitale vacante du métal. Ce type de substituants a déjà montré son efficacité dans la stabilisation, entre autres, de germylènes [97] et de dithioxophosphorane [98]. N(Me) _ 2 Ge Cl N(Me) _ 2 P S S Nous avons modifié pour notre part, le bras azoté, en y substituant les groupements méthyles par des isopropyles plus encombrants et accentuant la coordination. [97] a) H. Schmidt, S. Keitemeyer, B. Neumann, H-G. Stammler, W. W. Schoeller, P. Jutzi, Organometallics, 1998, 17, 2149; b) P. Jutzi, S. Keitemeyer, B. Neumann, H-G. Stammler, Organometallics, 1999, 18, 4778. [98] M. Yoshifuji, K. Kamijo, K. Toyota, Tetrahedron Letters, 1994, 35, 3971.
Synthèse et caractérisation du chlorogermylène
Synthèse du chlorogermylène
Le chlorogermylène est obtenu par addition du lithien ArLi, préparé à partir du dérivé bromé ArBr et du n-butyllithium, au complexe dichlorogermylène-dioxane. ArLi GeCl2 + .C4H8O2 ArGeCl + LiCl C + 4H8O2 Au préalable, la synthèse du ligand bromé ArBr nécessite plusieurs étapes. La première est une substitution électrophile aromatique sur le toluène [99] avec branchement de deux groupements tertiobutyles en position méta. AlCl3 CH3 tBu tBu CH3 + 2 tBuCl Les deux étapes suivantes sont des réactions de bromation. Il s’agit tout d’abord d’une substitution électrophile aromatique permettant la bromation du noyau aromatique [100] suivie de la bromation du méthyle [101] selon un mécanisme radicalaire.. La dernière étape est la substitution nucléophile de l’atome de brome de la chaîne latérale par la diisopropylamine [102] : Toluène Br Br + 2 iPr2NH Reflux Br N(iPr)2 tBu tBu tBu tBu + iPr2NH2Br + – Deux équivalents d’amine sont nécessaires afin de former l’ammonium. L’action d’un équivalent de n-butyllithium sur le dérivé bromé ArBr conduit ensuite, à basse température, au lithien ArLi qui réagit à son tour sur le complexe dichlorogermylène-dioxane donnant le chlorogermylène attendu avec un bon rendement. Br N(iPr)2 tBu tBu nBuLi THF, – 78°C Li N(iPr)2 tBu tBu GeCl2 .diox THF, -78°C Ge N(iPr)2 tBu tBu Cl _ .. H H La caractérisation physico-chimique complète du chlorogermylène a précédé l’étude de sa réactivité chimique. II.2.2. Caractérisation du chlorogermylène
RMN du proton
Le spectre 1H du composé 21 montre qu’en solution et à la température ambiante, les deux hydrogènes du CH2 benzyle sont diastéréotopes et apparaissent sous la forme d’un système AX caractéristique. Ceci est dû à la chiralité de l’atome de germanium confortée par la donation du doublet non liant de l’atome d’azote dans l’orbitale vacante du germanium. L’atome de germanium possède ainsi quatre substituants différents. Figure 23 : Spectre RMN 1H de 21 La diastéréotopie apparaît aussi au niveau des protons des méthyles des groupements isopropyles qui résonnent sous la forme de quatre doublets et des protons CH des groupements isopropyles qui résonnent sous la forme de deux septuplets distincts. La coordination de l’atome d’azote sur l’atome de germanium impose à la molécule une géométrie particulière qui se traduit au niveau du spectre RMN proton par une inéquivalence de tous les substituants. Cette inéquivalence est aussi présente en RMN 13C, où tous les atomes de carbone ont des déplacements chimiques différents.
Etude de 21 par diffraction des rayons X
Nous avons obtenu des monocristaux du composé 21, mais la difficulté à éliminer totalement le chlorure de lithium formé n’a pas permis d’obtenir les caractéristiques du cristal avec une bonne résolution. L’important désordre dans la maille du cristal empêche de passer en anisotropie et de remplacer dans la schématisation des atomes les sphères par des ellipses. Néanmoins, tous les paramètres, les distances et les angles, sont exploitables. Ge N(iPr)2 tBu tBu Cl _ .. HA HX C6D6 HA HX Figure 24 : structure à l’état solide du chlorogermylène 21 Ge-N 2,153(14)Å C(1)-Ge-Cl 93,99(53)° Ge-Cl 2,338(6) Å N-Ge-Cl 94,61(44)° Ge-C(1) 1,988(18) Å C(1)-Ge-N 82,98(65)° Tableau 22: longueurs et angles de liaison caractéristique pour 21 L’analyse de la structure montre que 21 est monomère à l’état solide, avec une coordination marquée de l’atome d’azote sur le germanium. Comme attendu la distance Ge-N (2,153(14) Å) est supérieure à une liaison Ge-N standard (1,84 Å) [103] mais inférieure à la somme des rayons de Van der Waals (3,74 Å) [9]. Il est intéressant de comparer les caractéristiques du chlorogermylène 21 à celles des chlorogermylènes du même type possédant un ou plusieurs bras chélatant azoté, décrits dans [103] M. F. Lappert, A. R. Sanger, P. P. Power, R. C. Srivastava, Metal and Metalloid Amides, Wiley, Chichester, 1980. Ge N Cl C1 la littérature. Ces germylènes structuralement décrits sont répertoriés dans le tableau 23 [104]. D’autres stabilisations ont été répertoriées avec des sphères impliquant un autre hétéroatome comme un oxygène [87,105] ou un phosphore ou bien un duo azote-oxygène [106]. Mais il apparaît au vu de la littérature, que les systèmes chélatants par les azotes sont les plus efficaces.
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