HISTOIRE DES MOINES DE TAMIÉ

HISTOIRE DES MOINES DE TAMIÉ.

Le premier lieu où l’on rencontre ceux que l’on aime, c’est leur histoire ». Cette phrase de Lacordaire suffirait, s’il en était besoin, à justifier le présent livre, et son titre : « Histoire des moines de Tamié ». Quel serait l’intérêt de parler du lieu, des bâtiments, des possessions du monastère et de leur fluctuation dans l’histoire, en oubliant ceux qui ont habité ici, et ce qu’ils venaient y chercher ? La tâche, cependant, n’est pas simple. Il est facile d’établir une carte des biens de Tamié, aisé de relever des plans. Mais l’état de la communauté, ses sentiments, son degré de ferveur ou de tiédeur, toutes ces notions trop souvent nous échappent. « La vraie vie est ailleurs ». Peut-être fuit-elle les historiens ; ne leur laisse-t-elle, pour les consoler, que quelques traces : un livre de comptes, une devise en marge d’un livre, une lettre dont on ignorera à tout jamais la réponse. Faut-il alors rétracter le titre même de cet ouvrage, l’inscrire au catalogue des vaines entreprises, et parler de Tamié en renonçant à tirer de l’ombre ceux qui, au jour le jour, étaient Tamié ? La phrase de Lacordaire m’encourage ; une rencontre, par-delà le temps, de ceux que l’on aime, voilà bien comment se présente ce livre, et sa genèse. Il y a bien longtemps que les moines de Tamié s’intéressent à ces frères qui les ont précédés, et qui leur sont à la fois si lointains et si proches. Le premier souci des moines de la Grâce-Dieu qui vinrent restaurer Tamié en 1861 fut de se rattacher au passé ; quatre ans plus tard, l’ouvrage d’Eugène Burnier faisait redécouvrir à la Savoie le nom de l’abbaye de saint Pierre de Tarentaise. Dès le début de son abbatiat, en 1923, Dom Alexis Presse se mit à fouiller le passé de son cher Tamié avec l’ardeur qu’il mettait en toutes choses. Sur ses encouragements, l’abbé Garin fit paraître en 1927 une nouvelle « Histoire de Tamié ». L’ouvrage, à vrai dire, recopiait sur [6] bien des points le précédent ; il se révéla vite insuffisant. Moins que la chronologie des abbatiats ou la généalogie des illustres familles, on aurait voulu en savoir davantage sur la vie du monastère et les sentiments de ses habitants… Par chance et aussi parce que Dom Alexis avait un « flair » et des talents tout particuliers pour retrouver les pièces d’archives, beaucoup de documents nouveaux furent, successivement, mis en lumière ; de petites feuilles couvertes d’une minuscule écriture s’ajoutaient à d’autres pour former de volumineux dossiers.

AVANT-PROPOS.

C’est ainsi que pendant cinquante années, le travail patient des archivistes de l’abbaye a préparé le présent ouvrage. Il doit beaucoup aux recherches du P. Anselme Dimier, pour qui rien de cistercien n’était étranger, et à l’inlassable travail du P. Louis La Bonnardière : Des années durant, il se rendit, chaque semaine, aux archives départementales, recopiant minutieusement les documents, se laissant enfermer, avec un quignon de pain, pour travailler encore durant le temps de midi, s’usant les yeux, par économie, derrière d’indescriptibles lunettes… Avec le renouveau de ces dernières années, le besoin d’une histoire tenant compte de toutes les données nouvelles se fit plus pressant : la communauté la souhaitait, les nombreux amis de Tamié, visiteurs ou retraitants, la réclamaient. Le P. Anthelme Arminjon se mit alors à l’ouvrage. C’est à lui que l’on doit non seulement le titre mais encore le « premier jet » de ce livre. En 1979, P. Anthelme étant parti pour le Zaïre, je fus chargé de la révision de son texte. Des circonstances imprévues, des renseignements inédits glanés à la Grande-Trappe et aux Archives Vaticanes ont fait que la simple révision a pris le plus souvent l’allure d’une refonte complète. Mais tel le mauvais maître dont parle l’Évangile, j’ai moissonné là où je n’avais pas semé. Après les archivistes de l’abbaye, il me faut remercier tous ceux qui, sur tel ou tel point, ont bien mérité de « l’Histoire des moines de Tamié », M. l’abbé Hudry, et, avec lui, tous les historiens savoyards, dont les remarques furent précieuses ; Christian Regat, d’Annecy, qui a admirablement étudié l’abbatiat d’Arsène de Jougla ; le P. Lucien, de la Grande-Trappe, qui m’a communiqué tant de renseignements sur les rapports de Dom de Somont et de Rancé ; le P. Jean Coste, archiviste de la Société de Marie, qui m’a introduit et patiemment guidé dans le dédale des Archives Vaticanes. J’ai préféré, pour la période récente, passer la plume aux moines de Tamié, témoins directs de cette histoire : le chapitre sur Dom Alexis Presse doit beaucoup au P. André Fracheboud, et celui sur les abbatiats récents jusqu’à Dom François de Sales, au P. Jean-Marie Escot. La communauté s’est chargée elle-même de la rédaction du dernier chapitre : le lecteur ne sera pas étonné que l’on y passe de [7] l’impersonnel au « nous » et se réjouira, au contraire, d’entendre les moines s’expliquer directement sur cette période, si décisive à tous égards. Cette impressionnante liste de collaborateurs explique pourquoi je tenais à présenter cette histoire comme oeuvre de l’amitié. Elle unit les premiers moines de Tamié à ceux d’aujourd’hui ; elle relie tous ceux qui ont contribué à ce livre à tous ceux qui le liront, pour qui le nom de Tamié est évocateur de silence et de paix. Et lorsque l’histoire se tait, la prière – cette autre forme de l’amitié ne peut-elle prendre la place ? À Tamié, en la fête de la Dédicace de Saint-Jean de Latran, 9 novembre 1981 B.J.M. TAMIÉ AVANT TAMIÉ L’histoire des moines de Tamié et de quelques autres s’inaugura en l’an 1132. Sans doute avait-elle commencé bien avant. Elle avait laissé un nom : Tamié, dont il faudrait peut-être expliquer l’origine.

Le mot viendrait du citoyen gallo-romain Tamidius, son ancien propriétaire, pensent les uns ; d’autres le font venir de deux mots latins signifiants « au milieu » (stans medium) : peut-être la frontière des deux comtés de Genevois et de Savoie. Mais « au milieu » c’est également un idéal proposé à ses habitants ; la fameuse « discrétion » bénédictine… Quant aux moines qui allaient occuper ce site, ils avaient déjà derrière eux un long passé. Dès les premiers siècles du Christianisme, il n’avait pas manqué d’hommes et de femmes pour vouloir suivre jusqu’au bout les conseils du Christ : « Si tu veux être parfait… vends tout ce que tu as et suis-moi ». Ainsi ce paysan aisé de la vallée du Nil, Antoine, qui se retira vers 270 dans le désert de la Thébaïde, après avoir entendu cet appel du Seigneur : de nombreux disciples suivirent son exemple. Un contemporain, Pacôme, organisa une sorte de vie collective des ascètes du désert : de là, l’institution monastique ne cessa de se répandre dans le monde chrétien. Tout cet héritage des «Pères » du désert, saint Benoît le recueillit voici 1500 ans. [9] Né en Ombrie vers 480 et fondateur de l’abbaye du Mont-Cassin, entre Rome et Naples, Benoît eut pour dessein de créer une « école du service du Seigneur » (4). Pour cela il écrivit une Règle, imprégnée d’un idéal de sagesse et de discrétion ; devenu comme une méthode éprouvée pour appliquer l’Évangile à la vie quotidienne, ce vieux texte, toujours jeune, est encore aujourd’hui à la base de la vie monastique occidentale. Les meilleures institutions, par malheur, se sclérosent. Parce qu’il désirait revenir à la pureté de la vie monastique et à l’observance primitive de la Règle de saint Benoît, loin des commentaires dont on l’avait alourdie, un abbé bénédictin, Robert de Molesme, fonda en 1098 Cîteaux. Cette réforme s’étendit comme un incendie, grâce à un jeune homme venu rejoindre les premiers cisterciens : Bernard. Devenu abbé d’une des premières fondations, Clairvaux, cet homme frêle et maladif imprima de telle sorte sa marque sur son temps que l’on a pu appeler son siècle « le siècle de saint Bernard ». A sa mort, en 1153, il avait fondé soixante-cinq monastères ; son oeuvre était immense, son activité politique, capitale. L’Ordre cistercien, si mince à son arrivée, comptait désormais trois cent quarante trois abbayes. S’il n’avait pas été le seul à oeuvrer à cette tâche, il lui avait donné, par son rayonnement, une impulsion telle, qu’il fallait le considérer comme le second fondateur. L’époque était favorable aux réformateurs monastiques. D’autres formes de vie religieuse avaient vu le jour : la Chartreuse, Grandmont, Fontevrault. Aucune pourtant ne connut le rayonnement, l’étendue, le prestige de la famille cistercienne. C’est dans ce contexte que se place la fondation de Tamié.

 

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