Histoire du droit

Histoire du droit

Le titulaire du pouvoir

Le pouvoir de fait de la femme

● Il est tout à fait remarquable que les législations pénales de l’Orient antique ne prévoient qu’une seule hypothèse en matière d’avortement. Réserve faite de la Bible, dont vous verrons bientôt les problèmes qu’elle pose, l’hypothèse envisagée est celle où des hommes se battant dans la rue (hypothèse incluant toutes les violences involontaires), bagarre à l’occasion de laquelle une femme enceinte est bousculée. Sont alors distingués deux cas : ❍ – soit le choc cause un avortement, et alors la sanction est une indemnité pécuniaire à verser au « maître » de la femme, époux, père, beaux-père, ou propriétaire de l’esclave. ❍ – soit l’accident cause la mort de la femme, et alors c’est la peine de l’homicide qui s’applique.
● Il en ressort deux choses, aussi importantes l’une que l’autre. D’abord que l’avortement volontaire ne se produit jamais hors de la maison familiale : l’Antiquité a toujours envisagé l’avortement comme relevant, non pas des lois de la cité, mais des lois de la maison. On voit par ailleurs que l’avortement n’est considéré que comme un dommage corporel, alors que seule la mort de la mère apparaît comme un homicide.

● C’est maintenant qu’il me faut faire intervenir le texte de la Bible, le seul texte où il y soit question d’un avortement provoqué par une intervention humaine.

● Lorsque Les Editions du Cerf publièrent, sous l’imprimatur du 29 octobre 1955, la première édition de La Bible de Jérusalem (c’est-à-dire. traduite en français sous la direction de l’Ecole biblique de Jérusalem), l’unique texte qui envisageait une hypothèse d’avortement causé par l’homme (Exode 21, 22-25), le lecteur pouvait trouver ce qui suit : « 22 Lorsque des hommes, au cours d’une rixe, bousculeront une femme enceinte qui de ce fait avortera, mais sans en mourir, l’auteur de l’accident devra payer l’indemnité imposée par le maître de cette femme et il la paiera par l’intermédiaire d’arbitres. 23 Mais si elle en meurt , tu donneras vie pour vie, 24 oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, 25 brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure, plaie pour plaie. » L’édition de 1998 de La Bible de Jérusalem , présente au fidèle, toujours sous le même imprimatur du 29 octobre 1955, un texte qui signifie rigoureusement l’inverse :
« 22 Si des hommes, en se battant, bousculent une femme enceinte et que celle-ci avorte mais sans autre accident , le coupable payera l’indemnité imposée par le maître de la femme, il paiera selon la décision des arbitres. 23 Mais s’il y a accident , tu donneras vie pour vie, oeil pour oeil, etc. »

Qu’est-ce qu’un père?

● Il s’impose de définir le père avant d’envisager son droit. Car définir le père n’a rien de simple.

● Prenons comme point de départ de notre réflexion le droit romain. Il y apparaît qu’un père (pater, patres au pluriel), même s’il a engendré tout ou partie de ceux qu’il domine, exerce une fonction, au même titre qu’un roi, un magistrat, etc. Le mot dont est issu ce que nous appelons le père, désignait à l’origine le chef, peut-être élu, d’une gens, c’est-à-dire d’un groupe de familles ayant le vague sentiment d’avoir un ancêtre commun. C’est pourquoi la langue latine distinguait rigoureusement le père (pater) du géniteur (genitor). Un pater avait autorité sur sa famille par le sang et, parfois, par alliance, mais aussi sur ses esclaves ses serviteurs, ses animaux et aussi ses biens parce que, à l’origine, la notion de père ne distinguait pas nettement de celle de propriétaire : c’est parce qu’on était un pater qu’on avait à la fois la puissance paternelle (patria potestas) sur certains humains et le dominium sur certains biens. En revanche, son fils, lorsqu’il est géniteur d’enfant n’est pas leur pater : c’est sa mort qui fera de son fils un pater.

● Toute autre est la définition biblique du père. Pour la Bible, un père est d’abord un géniteur, parce que le père est celui qui, par l’intermédiaire de ses ancêtres mâles, a reçu de Dieu un fluide vital à transmettre.

● Le problème est que la civilisation occidentale est héritière de ces deux cultures. Contentons-nous ici, en gardant à l’esprit que la rencontre avec la Bible aura lieu un jour, d’envisager le père tel que l’antiquité grecque et, surtout, romaine, l’avait perçu.

Le pouvoir de droit du père

● Dans ce domaine, le père possède un pouvoir dans le cadre des lois de la maison, mais qui devient un droit du fait que, à la différence du pouvoir de la mère, il est consacré par les lois de la cité.

● Dans le cadre des lois de la maison, le pouvoir du père est fortement mis en scène (d’où sa transformation en droit), parce qu’il est à l’origine beaucoup plus limité que celui de la mère. Dans le cadre domestique, les femmes possèdent tous les secrets qui permettent à l’enfant de naître : aphrodisiaques, produits ou techniques anticonceptionnels ou abortifs, etc. En d’autres termes, lorsqu’on présente un nouveau-né au père, c’est que les femmes l’ont bien voulu. On comprend ainsi l’importance de la mise en scène dans l’affirmation du pouvoir (devenant droit) de vie et de mort du père de famille.

● La mise en scène est déjà présente, lorsque, face à un public plus large que la famille (pour que la cité soit impliquée et que son pouvoir devienne un droit), le père fait ce geste solennel d’élever dans ses bras le nouveau-né (il vivra) ou de le poser à terre (il sera abandonné et, très souvent, périra).

● Signalons aussi la plus solennelle des formalités d’adoption, telle qu’Aulu-Gelle nous la décrit au IIe siècle de notre Ere dans les Nuits attiques. L’adoptant déclarait qu’il adoptait à la fois comme père et comme mère. Rien n’indiquait plus clairement que la mise en scène venait gommer le pouvoir réel qu’avait la mère dans l’apparition de l’être humain.

● Ceci dit, lorsque les êtres étaient nés, accueillis ou achetés dans une famille, le pouvoir/droit de vie et de mort du père était une réalité. Non seulement le père romain a toujours pu rendre la justice à l’intérieur de la famille, mais encore, lorsqu’un des membres de celle-ci était condamné par la cité il pouvait se voir imposer de l’exécuter, à moins qu’il n’en prenne lui-même l’initiative : certains des condamnés de la conjuration de Catilina furent exécutés par leur propre père qui en avait fait la demande.

● Faute de pouvoir développer toutes ses implications, signalons cependant le fondement profond du droit de vie et de mort. Dans l’Antiquité, il en est surtout question lorsqu’un prince exerce son droit de grâce. C’est en fait beaucoup plus un droit de vie qu’un droit de mort : celui qui vous avez gracié alors que vous auriez pu le tuer vous doit la vie. Tuer est trivialement humain, ne pas tuer alors qu’on aurait le droit de le faire est la seule façon humaine, quand on reste dans le domaine matériel (nous verrons que le doit permet de créer dans l’immatériel), d’être un créateur.

● Le fait que le droit du père soit essentiellement une mise en scène laisse entendre qu’il peut-être menacé physiquement par son fils. Or un fils, à Rome peut très souvent être tenté de tuer son père parce qu’il n’obtiendra sa pleine capacité juridique que lorsque son père sera mort. C’est pourquoi le parricide était à la fois une obsession des fils (attestée par la littérature latine) et, par voie de conséquence mais aussi parce que le parricide mettait en cause tout le système, l’objet d’une répression atroce. En mettant le parricide dans un sac avec des animaux et en le jetant ainsi à la mer, on lui faisait prendre le chemin inverse de celui qui justifiait les ensevelissements en position foetale : il se retrouvait dans un liquide amniotique où l’on sortait de l’espèce humaine.

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