La circulation facilitée entre les domaines public et privé du travail

La circulation facilitée entre les domaines public et privé du travail

L’intégration de la GRH modifie considérablement le mode de gestion du personnel de la fonction publique. À mesure que cette intégration s’approfondit, les agents publics sont de plus en plus gérés comme des salariés de droit privé. Une telle assimilation du point de vue de la gestion entraînerait la diminution des spécificités de la fonction publique vis-à-vis du domaine privé du travail. De surcroît, la GRH étant une méthode transcendant les sphères privée et publique, elle suppose une meilleure circulation entre les domaines public et privé du travail. Dès lors que les salariés de droit privé sont soumis aux mêmes conditions de travail, obéissent aux mêmes obligations, et que les employeurs publics assument des responsabilités liées à l’exécution de missions de service public par des salariés privés, l’association des emplois privés à la fonction publique n’est pas un phénomène inconcevable. Toutefois, les pratiques françaises et chinoises d’association d’emplois privés à la fonction publique par le biais notamment du recours à l’intérim se rallient parfois à un objectif de réduction des effectifs de la fonction publique. Les abus de renouvellement et de prolongement de contrats s’ajoutent à l’utilisation excessive d’un tel recours. À l’égard des questions juridiques, si le droit français s’avère relativement soucieux et attentif, l’état du droit chinois reste encore largement perfectible. En effet, en l’absence de précisions de l’autorité centrale, les entités locales de la République Populaire disposent d’une liberté trop grande en ce qui concerne le recours à l’intérim. Il est inquiétant de constater que certaines administrations ne peuvent plus fonctionner normalement sans les agents intérimaires privés. Une autre conséquence de l’intégration de la GRH à la gestion du personnel public est d’avoir assoupli le régime exorbitant des agents publics pour l’aligner sur la situation des salariés de droit privé. En France, à travers les réformes récentes de la fonction publique, les fonctionnaires ont de plus en plus de possibilités de cumuler des activités de plus en plus diverses. Ils peuvent et sont même encouragés à créer leurs propres entreprises. Un tel assouplissement est aussi pratiqué dans les administrations locales chinoises à partir des années 1990 : il contribue, connecté aux mesures de mobilité, à la réduction des effectifs de la fonction publique à travers l’incitation des agents publics à partir dans le secteur privé.La circulation entre les domaines public et privé du travail est ainsi facilitée par l’association des emplois privés à la fonction publique d’une part (section 1), et par l’atténuation du lien exclusif entre activité professionnelle du fonctionnaire et mission de service public d’autre part (section 2). 

L’association d’emplois privés à la fonction publique

 En France, l’existence d’emplois privés au sein des personnes publiques n’est pas une nouveauté. Que ce soit par la solution de la jurisprudence Dame veuve Mazerand ou en vertu d’une qualification législative après la jurisprudence Berkani, les salariés de droit privé ont toujours existé à côté des agents publics, titulaires et contractuels. Or, une de ces catégories de salariés de droit privé affecte particulièrement le fonctionnement de la fonction publique en ce qu’elle consiste à assurer momentanément un poste auquel est normalement affecté un agent public : les agents intérimaires. Selon les principes classiques d’une fonction publique de carrière, la présence d’agents non titulaires de droit privé ne peut être qu’une exception, encore plus limitée que celle d’agents contractuels de droit public. Le caractère subsidiaire du recours à l’intérim est ainsi affirmé tant par la jurisprudence que par les textes. Toutefois, ces mêmes textes ont aussi eu pour effet d’officialiser un tel recours lequel n’était qu’une pratique coutumière de l’administration. Le recours à l’intérim privé est désormais inséré dans le statut de la fonction publique. En France, le recours à l’intérim n’est pas un recrutement, mais une prestation de service via une entreprise de travail temporaire. Ce caractère distingue les salariés intérimaires des autres agents non titulaires de droit privé recrutés par les personnes morales de droit public en vertu notamment de contrats aidés, contrats emploi-solidarité, contrats emploi-consolidé et contrats emploi-jeunes. En revanche en Chine, les agents intérimaires sont, à l’instar de ces derniers, directement recrutés par les établissements administratifs ou USP en vertu des règles du droit du travail. L’absence de définition juridique spécifique de cette catégorie de travailleurs est source de confusion à l’égard des employés contractuels de l’administration tandis que le manque d’encadrement centralisé et unifié exposent son existence aux critiques. Mais dans le même temps, comme en France, le nombre des agents intérimaires ne cesse de croître et le recours à l’intérim est dorénavant considéré comme indispensable au fonctionnement de certains services. Le développement de l’intérim dans la fonction publique (I) fait naître des problématiques communes dans les fonctions publiques française et chinoise (II). 

Le développement de l’intérim privé dans la fonction publique

 La mise à disposition d’agents intérimaires d’une entreprise privée auprès d’une personne publique chargée de missions de SPA n’est pas une pratique récente dans la fonction publique française, même si son encadrement est relativement tardif (A). Un tel encadrement juridique 353 s’avère aussi souhaitable dans la fonction publique chinoise eu égard à une confusion potentielle entre employés contractuels de l’administration et agents intérimaires et compte tenu du développement drastique du recours à l’intérim dans certains domaines particuliers (B). A. L’évolution du régime juridique de l’intérim dans la fonction publique française Le recours à l’intérim pour le remplacement des agents titulaires de l’administration a été limité par la jurisprudence avant la législation des années 1983, 1984 et 1986 établissant le statut de la fonction publique. À l’occasion d’une contestation du recours à l’intérim par le syndicat CFDT, des postes et télécommunications du Haut-Rhin, le Conseil d’État rappela qu’ « il incombe à l’autorité administrative de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la continuité du service public, notamment en cas d’interruption due à la grève des agents de ce service » et le « principe selon lequel l’exécution du service public administratif est confiée à des agents publics ». Ces deux principes étant posés, l’administration est « autorisée à faire concourir […] un personnel approprié, fourni par un entrepreneur de travail temporaire » à l’exécution d’un tel service, « lorsque des circonstances exceptionnelles, telles qu’une extrême urgence, rendent impossible le recrutement d’agents ayant un lien direct avec l’administration »  . L’expression « lien direct avec l’administration » montre bien, selon Emmanuel Aubin, « la conception institutionnelle de la fonction publique, laquelle insiste sur le lien spécifique existant entre l’agent du service public administratif et son employeur public » 1128. Le recours à l’intérim était donc, selon cette jurisprudence, une dérogation, justifiée par l’urgence, ou par des circonstances exceptionnelles, au principe de la corrélation entre SPA et agents publics  . Or, le recours à l’intérim est présenté comme un moyen efficace pour combler le manque momentané de personnel dans l’administration notamment au regard du principe de la continuité du service public. Il s’agit d’une mise à la disposition d’une personne de droit public de travailleurs de droit privé à tant pour remplacer momentanément des agents publics absents qu’en raison d’une carence d’ordre technique dans l’exécution du service. À partir de 2007, une série de réformes a eu pour but de faciliter le recours à l’intérim dans l’administration. Ainsi, la loi n° 2007-148 du 2 février 2007 a élargi le champ de la mise à disposition aux salariés des entreprises privées au nom du renforcement de la mobilité1130 , ayant pour effet d’entériner cette pratique ancienne. 

Le développement de l’intérim privé dans la fonction publique chinoise

L’intérim n’est pas inconnu dans l’administration chinoise même avant la réforme institutionnelle entamée depuis les années 1990. Le secteur public était encore dominant et les domaines administratifs et marchands du secteur public n’étaient point séparés. L’État employeur pouvait équilibrer le nombre des effectifs du personnel public selon les besoins entre les établissements administratifs, les USP et les entreprises publiques. À mesure que la réforme économique favorise l’essor d’un secteur privé et que la réforme institutionnelle sépare le domaine administratif et le domaine marchand de l’État au détriment de la superficie du secteur public, l’intérim privé commence à entrer au sein des établissements administratifs et USP. Or en Chine, le recrutement des agents intérimaires ne s’opère pas, comme en France, à travers une convention entre une personne publique et une entreprise d’intérim de droit privé, mais se déroule directement entre l’employeur public et le candidat intérimaire. Il ne s’agit pas d’une mise à disposition d’un salarié de droit privé auprès d’une personne publique, mais d’une relation de travail directement établie entre ces deux parties via un contrat de travail. Il en découle une question juridique cruciale à savoir la différence entre employés contractuels de l’administration et agents intérimaires, car formellement, les deux sont recrutés de façon presque identique, parfois pour les mêmes raisons de besoins temporaires ou saisonniers, et soumis aux mêmes conditions de travail en fonction des spécificités de leur emploi. Malgré ces convergences, il est tout de même possible de soulever quelques points de différence : 1° La croissance du recours aux agents intérimaires et aux employés contractuels de l’administration n’a pas la même origine. Les premiers, bien que de droit privé aujourd’hui, dérivent d’une pratique ancienne du système des cadres, alors que les seconds représentent le fruit de l’expérimentation d’un emprunt du modèle anglo-américain mise en place depuis 2002  dans certaine entités locales . 2° Étant donné l’absence de réglementation à l’échelon national et l’amalgame des mesures locales, certaines entités territoriales recrutent des employés contractuels de l’administration sur les postes prévus par le financement public . Dans ce cas, un tel recrutement est strictement soumis au contrôle des centres de la gestion des ressources humaines des établissements administratifs et USP. Même dans le cas où l’employé contractuel n’occupe pas de poste prévu par le financement public, son recrutement doit être agréé par les autorités compétentes, souvent au niveau provincial. En revanche, malgré la même absence de réglementation nationale, selon des pratiques locales, le recrutement des agents intérimaires n’est jamais censé concerner des postes prévus par le financement public et est décidé par l’établissement employeur seul. 3° Bien que l’administration puisse recruter un employé contractuel pour une durée exceptionnelle en deçà d’un an, la plupart des textes locaux prévoient une durée de recrutement comprise entre un et trois ans, renouvelable ou non. Par rapport à cette durée relativement longue, l’emploi d’un agent intérimaire se limite souvent à une durée de 12 mois renouvelable une fois. Cela montre bien le caractère provisoire d’un agent intérimaire à l’égard d’un employé contractuel qui pourrait demeurer au sein de l’administration de façon plus ou moins durable. 4° D’un point de vue empirique, les employés contractuels sont souvent recrutés pour assurer des fonctions exigeant des connaissances techniques ou spéciales, alors que les agents intérimaires n’occupent en général que des postes d’assistance ou de simple exécution matérielle. Autrement dit, les uns sont censés combler la carence momentanée de connaissances ou de techniques tandis que les autres ont plutôt vocation à satisfaire le simple manque en personnel pour l’exécution de tâches manuelles. De ce fait, les exigences respectives de leurs recrutements sont différentes. Ainsi, les diplômes universitaires voire certificats de certaines compétences particulières sont souvent exigés pour être employés contractuels de l’administration, alors que l’employeur public se contente de l’aptitude physique et mentale pour choisir les agents intérimaires. C’est pourquoi le recrutement intérimaire présente, dans certains cas, un intérêt dans l’abaissement du chômage d’une entité locale. 5° Enfin, de par cette différence de nature des fonctions, une inégalité de traitement se manifeste entre les employés contractuels de l’administration et les agents intérimaires, notamment en matière de rémunération. Si la rémunération des premiers peut largement dépasser celle des agents publics, le salaire des derniers se trouve en général bien au-dessous. Quoi qu’il en soit, ces cinq points de différence ne s’appuient pas sur des critères strictement juridiques et, par conséquent, ne suffisent pas à établir une distinction juridique entre ces deux catégories d’employés contractuels de l’administration. Les entités locales disposent d’ailleurs d’une marge d’appréciation extrêmement large. Les règles ne sont même pas unifiées au niveau municipal. Ainsi, dans la ville de Shenzhen, chaque district a sa propre réglementation concernant aussi bien les agents intérimaires que les employés contractuels de l’administration. Selon la mesure expérimentale du 31 novembre 2006 du district Bao’an « relative à la gestion des agents intérimaires dans les établissements administratifs et unités de service public »  , les agents intérimaires sont susceptibles d’être recrutés aux mêmes postes que les employés contractuels de l’administration aux termes de la mesure expérimentale du 23 juin 2004 « relative à la gestion des employés des établissements administratifs et des unités de service public de la municipalité de Shenzhen » , bien qu’il soient gérés de façon différente. À l’égard de cet amalgame, la municipalité de Shenzhen a rendu un avis le 22 décembre 2008 « relatif à la réglementation de la gestion des personnels des établissements administratifs et des unités de service public » , lequel exprime la volonté de restreindre le recrutement des agents intérimaires au profit de l’externalisation des ressources humaines. En d’autres termes, il s’agit de développer le recours aux salariés de droit privé pour des tâches d’exécution matérielle et provisoires via des organismes ad hoc de droit privé à l’instar des entreprises d’intérim en France. Cette politique, qui commence à s’étendre à plusieurs entités locales, est d’ailleurs vivement soutenue par la doctrine Mais en réalité, il s’agit plutôt d’une structuration du système d’intérim que d’une restriction du recours aux agents intérimaires, car désormais l’association de salariés privés dans certains domaines de l’administration publique est indispensable. À partir de l’entrée de la Chine à l’OMC, en raison du développement drastique de certains domaines économiques et industriels, une grande vague d’augmentation du nombre d’agents intérimaires s’est produite au sein de certains services administratifs. Tel est le cas, à titre d’exemple, de la surveillance du trafic routier et du contrôle des véhicules en stationnement dans les zones urbaines. Avec la croissance brutale du nombre de véhicules depuis les années 2000, ces tâches, essentiellement exécutées par les policiers, ne pouvaient plus être normalement assurées sans l’assistance d’un nombre considérable d’agents intérimaires. Pour une autre illustration du développement du nombre des agents intérimaires, il convient de citer la gestion urbaine. À l’instar de la croissance drastique de l’utilisation des véhicules, le développement urbain, un des vecteurs de l’essor économique chinois, s’est précipité depuis la fin des années 1990. La dilatation des zones urbaines et la multiplication des complexités au niveau de leur gestion ont été les principales raisons de la création d’offices ad hoc ― USP d’abord, puis établissements administratifs ― chargés de la gestion administrative des affaires urbaines et du contrôle quotidien du respect de la réglementation urbaine. Le fonctionnement des offices de gestion administrative des affaires urbaines illustre l’idée selon laquelle les fonctions de puissance publique sont assurées par des agents titulaires tandis que les tâches de simple exécution matérielle sont effectuées par des agents de droit privé. Un nombre considérable d’agents intérimaires sont ainsi recrutés pour assister les agents titulaires dont le nombre est parfois même inférieur à celui-là. Selon le Rapport sur l’état de la gestion des agents chargés de la gestion administrative générale des affaires urbaines de la ville de Shenzhen du 13 août 2009 , jusqu’à avril 2009, parmi les 3722 agents chargés de la gestion administrative des affaires urbaines, sont comptés 1400 agents titulaires seulement. Même si un certain nombre d’agents contractuels publics et quelques employés contractuels de l’administration existent, la majorité des agents non titulaires sont des agents intérimaires de droit privé sans lesquels la gestion administrative des affaires urbaines ne pourrait se dérouler normalement. 

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