La controverse entourant le taux de dévoilement

La controverse entourant le taux de dévoilement 

Malgré les efforts qui ont été mis en œuvre dans les quinze dernières années pour perfectionner les méthodes d’audition, une proportion importante d’enfants ne dévoile pas l’AS dont ils sont présumés être victimes. On estime en moyenne à un peu plus d’un tiers (selon les études le taux varie entre 4% et 76%) le nombre d’enfants qui ne dévoilent pas l’AS lorsqu’ils sont formellement questionnés, et ce, même dans les cas où il y a des preuves physiques, une description fournie par un témoin ou l’aveu de l’agresseur (voir London et al., 2005, 2007, 2008 pour des recensions). Toutefois, les auteurs de ces recensions ainsi que Lyon (2007) nous mettent en garde quant à la validité de ces données.

La très grande variabilité des résultats serait imputable à des problèmes d’ordre méthodologique. Seulement 10% des cas d’AS comportent des preuves médicales (p.ex., l’enfant a contracté une infection transmissible sexuellement) venant corroborer la déclaration de la victime (Frasier et Makaroff, 2006). Conséquemment à cette réalité, la majorité des études qui ont examiné les taux de dévoilement ont sélectionné leurs participants sur la base de présomptions d’AS fondées sur des preuves dépendantes du témoignage de la victime, ce qui peut accroître les cas de faux positifs (l’enfant ne révèle pas lors de l’audition parce qu’il n’y a pas eu AS). À cela ces auteurs ajoutent le problème de la non-représentativité des échantillons (p.ex., la variabilité de l’étendue de l’âge des participants entre les études alors que cette variable est suspectée d’avoir une influence sur le dévoilement ou des échantillons contenant seulement des cas comportant un dévoilement initial), des conditions non équivalentes dans lesquelles s’est déroulé le dévoilement (en contexte d’audition ou de psychothérapie) ou les méthodes par lesquelles ont été obtenu les témoignages (p.ex., protocole d’audition non standardisé et suggestif pouvant mener à de fausses déclarations).

Ces biais alimentent l’idée controversée selon laquelle la problématique du nondévoilement chez les enfants victimes d’AS est illusoire (voir p.ex., Bruck et Ceci, 2004). En effet, certains auteurs soutiennent qu’il est erroné de croire qu’il est commun que les enfants victimes d’AS ne rapportent pas les incidents. Selon eux, lorsqu’ils sont formellement interrogés, ils dévoilent les évènements. Cette controverse a jadis été provoquée par Summit (1983) lorsqu’il avait proposé l’existence d’un syndrome d’accommodation chez les enfants victimes d’AS (Child Sexual Abuse Accommodation Syndrome). Se basant principalement sur des observations cliniques, il avait déclaré que les enfants ayant un vécu d’AS (en particulier ceux dont l’agresseur était un parent) présentaient une tendance à garder secret les incidents, à les nier ou à se dédirent. Selon Oates et Donnelly (1997) cet article est l’un des plus influents dans le domaine de l’AS à l’enfance. Cependant, la théorie de Summit a été hautement critiquée en raison d’un soutien empirique jugé insuffisant (voir p.ex., London et al., 2005, 2008). D’autres auteurs dont Lyon (2007) maintiennent l’idée à l’effet que le dévoilement est peu fréquent. Ce dernier argumente en faveur d’un réel phénomène en indiquant que lorsque les biais de présomptions d’AS et de preuves dépendantes du témoignage sont contrôlés, le taux de dévoilement se situe seulement à 50%. Qu’elle que soit la proportion réelle d’enfants qui ne rapporte pas les incidents aux autorités, tous s’entendent sur le fait que ces enfants sont vulnérables à subir d’autres AS et à accroître leur risque de séquelles psychologiques puisqu’ils ne peuvent pas recevoir de services de protection ni de soutien psychologique (Paine et Hansen, 2002). Enfin, puisque l’agresseur n’est pas dénoncé, il est possible qu’il commette de nouvelles AS sur la victime et sur d’autres enfants. Dans ce contexte, il importe de mieux comprendre les facteurs reliés au dévoilement lors de l’audition.

Facteurs influençant le dévoilement 

Nombre d’études ont été consacrées à mettre en lumière les caractéristiques des enfants qui ne dévoilent pas afin de dégager des conditions défavorables au dévoilement. Certaines se sont intéressées à élucider les variables cognitives, émotionnelles et motivationnelles qui peuvent l’inhiber. Les raisons évoquées par les victimes pour avoir gardé le silence sont, notamment, la peur de ne pas être cru, des sentiments de honte ou de responsabilité, la crainte des conséquences reliées au dévoilement, soit parce que l’agresseur les avait menacées ou particulièrement dans le cas d’AS intrafamiliaux, pour éviter la dissolution familiale (Goodman-Brown et al., 2003; Malloy et al., 2011; McElvaney et al., 2014; Schaeffer et al., 2011). D’autres études ont exploré les liens entre le dévoilement et les caractéristiques sociodémographiques des enfants tels que l’âge au moment des incidents et lors de l’audition ainsi que le sexe. Par exemple, lorsque l’AS a lieu en bas âge, les jeunes enfants sont susceptibles de ne pas reconnaître le caractère inacceptable des gestes portés à leur endroit. Ce faisant, les incidents ne sont pas saillants, donc ils ne sont pas encodés en mémoire (Cederborg et al., 2007; Schaeffer et al., 2011). Les caractéristiques des agressions, c’est-à-dire le type et la sévérité, ainsi que la nature de la relation entre la victime et l’agresseur (AS intrafamiliale ou extrafamiliale) ont également été analysées. Cependant, les résultats de ces études ne sont pas constants (voir London et al., 2005, 2008; Paine et Hansen, 2002 pour des recensions). Ces disparités peuvent être expliquées par les différences au plan méthodologique et dans les techniques échantillonnales employées comme il en a été question précédemment. Néanmoins, il importe que d’autres études soient conduites afin de mieux comprendre les facteurs reliés au dévoilement, notamment en contexte d’audition. En effet, la connaissance de ces facteurs de risque est essentielle afin que soient identifiés par les intervenants les enfants qui les présentent et qu’il en résulte une prise en charge adaptée à leurs besoins pour augmenter la probabilité que l’audition conduise à un dévoilement.

Le contexte dans lequel a lieu le dévoilement a également été identifié comme un facteur à prendre en compte lorsqu’il est question d’évaluer les capacités des enfants à rapporter des informations sur l’AS. Un consensus émerge de la littérature quant aux meilleures pratiques d’audition à employer afin d’accroître la probabilité que les déclarations soient complètes, exactes et étoffées. Il est ainsi préconisé d’utiliser les questions ouvertes et d’éviter les questions fermées et suggestives (Cyr et al., 2014). À ce jour, le protocole du NICHD, qui a été élaboré suivant ces recommandations est celui qui a été le plus étudié et dont l’efficacité a été grandement démontrée (Cyr et al., 2013; Lamb et al., 2008). Trois études ont examiné les taux de dévoilement chez des enfants présumés victimes d’AS lorsque l’audition est menée à l’aide du protocole du NICHD (Pipe et al. 2007; Sternberg et al. 2001) dont une étude nationale menée en Israël avec un échantillon totalisant plus de 25 000 cas, dont près de 11 000 en AS (Hershkowitz et al., 2005). Ils ont rapporté des taux de non-dévoilement se situant entre 17% et 37%. Puisque ces taux sont plus bas que ceux rapportés par près de la moitié (10/21) des études recensées par London et ses collègues (2008), l’utilisation d’un guide d’audition standardisé semble être une avenue qui mérite d’être explorée pour augmenter le taux de dévoilement bien que d’autres facteurs puissent influencer ce résultat

Toutefois, le niveau de collaboration de l’enfant lors de l’audition peut affecter la capacité des interviewers à respecter les recommandations précédemment décrites. En comparant les dynamiques des auditions d’enfants collaboratifs et d’enfants non collaboratifs, il a été observé que les interviewers se comportaient différemment avec les enfants qui ne dévoilaient pas, leur offrant moins de commentaires soutenants, leur posant moins de questions ouvertes, plus de questions fermées (Hershkowitz et al., 2006) et plus de questions suggestives (Orbach et al., 2007). Ces résultats sont préoccupants puisque l’emploi de telles méthodes d’audition proscrites peut conduire à de fausses déclarations ou à tout le moins à diminuer la qualité des déclarations recueillies.

Table des matières

Introduction
Premier chapitre
La résistance au dévoilement en contexte d’audition chez les enfants présumés victimes d’agression sexuelle : une conceptualisation multidimensionnelle
Deuxième chapitre
Du silence au dévoilement: la résistance des enfants à rapporter une agression sexuelle en contexte d’entrevue d’enquête
Troisième chapitre
Comment les enfants victimes d’agression sexuelle rapportent-ils ou non les événements en contexte d’entrevue d’enquête ? Quelques fausses perceptions à reconsidérer
Conclusion générale 

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