La croissance posttraumatique, la résilience et les forces de caractère

L’émergence du processus de résilience

Au sein de la littérature actuelle, on peut constater que la définition de la résilience n’est pas encore claire et varie en fonction des différents auteurs (Daigneault, Cyr & Tourigny, 2007; Muckle & Dion, 2008). D’ailleurs, selon Tisseron (2011), ce concept aurait même plusieurs facettes : on le considérerait parfois comme un processus, parfois comme un trait de personnalité ou encore comme une méthode de prévention. Pour expliquer et comprendre ce phénomène, on doit considérer que le concept de résilience s’est développé progressivement au cours des dernières décennies à travers trois principales phases (Richardson, 2002). Ainsi, le concept de résilience a tout d’abord été défini comme la capacité individuelle de surmonter des traumatismes ou de continuer à se construire dans un environnement défavorable (Tisseron, 2011).

Cette conception de la résilience avait d’ailleurs été critiquée dans la mesure où elle catégorisait chaque individu comme étant résilient ou non. Au cours d’une seconde phase, la résilience fut définie comme un processus d’adaptation face aux facteurs de stress et d’adversité (Luthar, Cicchetti & Becker, 2000) ou encore comme une manière de développer et de renforcer les facteurs de protection. Cette vision fut une nouvelle fois critiquée, car on lui reprochait de réduire le phénomène de la résilience. La troisième et dernière phase décrit la résilience cette fois comme une force ou une aptitude présente chez chaque individu ou groupe. Les expériences de vie encourageraient donc l’activation de ces forces chez les individus pour surmonter les obstacles de la vie. Selon Richardson (2002), cette force résiliente encouragerait même la poursuite de la sagesse, l’auto-actualisation, l’altruisme et la capacité d’être en harmonie avec une source spirituelle. D’autres caractéristiques personnelles telles que la maitrise de soi, le sentiment d’efficacité personnelle, la vision de perspectives positives et le sens de l’humour ont également été reliées positivement au processus de résilience dans la population générale (Richardson, 2002).

Cette troisième phase conviendrait donc mieux selon l’auteur pour définir ce concept, car elle prend en considération le caractère particulier et surtout individuel de la résilience. La résilience peut donc être définie comme un ensemble de « ressources développées par une personne, un groupe ou une communauté pour tolérer et dépasser les effets délétères ou pathogènes des traumatismes et vivre malgré l’adversité en gardant une qualité de vie avec le moins de dommage possible » (Anaut, 2008, p. 35). Or, il semble important de rappeler que la résilience et les facteurs de protection associés ont pendant longtemps été étudiés sur un plan strictement individuel (Tedeschi & Kilmer, 2005). Toutefois, les nouvelles recherches tendent à s’intéresser davantage à la résilience présente chez l’individu et à l’interaction de celle-ci avec son environnement (Kirmayer, Dandeneau, Marshall, Phillips & Williamson, 2011; Masten & Garmezy, 1985; Ungar, 2004). Ainsi, la résilience doit également être considérée au regard du contexte et de la culture des individus (Kirmayer, Sehdev, Whitley, Dandeneau & Isaac, 2009; Liebenberg & Ungar, 2009).

La définition de Michael Ungar semble refléter cette dynamique intra et interpersonnelle de la résilience : Dans un contexte d’exposition importante à l’adversité, la résilience réfère à la fois à la capacité des individus à se frayer un chemin vers des ressources psychologiques, sociales, culturelles et physiques qui soutiennent leur bien-être et à la fois à leur capacité individuelle et collective de négocier pour que ces ressources soient fournies de manière culturellement significative [Traduction libre] (Ungar, 2008, p. 225). De plus, Lemay (2001) explique qu’une personne présentant des caractéristiques résilientes à un moment précis ne possèdera peut-être pas ces mêmes capacités tout au long de sa vie. Ce même auteur rappelle également que malgré le caractère résilient de certaines personnes, cela n’empêche pas la formation de profondes cicatrices à travers le temps. En ce sens, il semble primordial dans le cadre de cette recherche auprès des Caucasiens et des Autochtones de mettre l’accent sur les aspects individuels des participants tout en considérant les traumatismes potentiellement vécus et en s’intéressant aux forces de caractère susceptibles d’encourager le processus de résilience.

La résilience face aux traumatismes et aux forces de caractère La résilience, en plus de se caractériser par la capacité de rebondir efficacement face à l’adversité, aux défis et aux traumatismes de la vie, représente aussi et surtout la capacité de persévérer, de s’adapter aux changements et de donner un sens aux traumatismes ou aux pertes (Brooks & Goldstein, 2004; Masten, 2011). Or, ces capacités permettant de rebondir face aux traumatismes de la vie dépendent de façon considérable des forces intrinsèques à chaque personne. Antonovsky (1987) soutient d’ailleurs l’idée que face à un même événement traumatisant, les réactions psychologiques de chaque personne vont différer. Certaines personnes vont ainsi développer une pathologie alors que d’autres vont développer une réaction saine (Antonovsky, 1987). Il est donc essentiel, pour bien comprendre le processus de résilience, de connaitre les traumatismes vécus dans le passé tout en considérant les forces de caractère développées par un individu à travers le temps.

Toutefois, comme le souligne Hutchinson, Stuart et Pretorius (2011), il existerait encore très peu d’études explorant les forces de caractère et le processus de résilience. Un chapitre a néanmoins été consacré récemment à ces deux concepts (Rashid, Anjum, Stevanovski, Chu, Zanjani & Love, 2014). Ce chapitre s’intéresse tout particulièrement à la compréhension et à l’évolution de la résilience par le biais des forces de caractère. Ces auteurs soulignent que les précédentes recherches se sont principalement concentrées sur l’étude des facteurs de risques et de protection sans considérer un facteur de protection essentiel : les forces de caractère individuelles. Plusieurs recherches récentes (Bonanno, 2004; Cacioppo, Reis & Zautra, 2011; Hutchinson et al., 2011; Peterson, Park, Pole, D’Andrea & Seligman, 2008) démontrent également que les forces de caractère peuvent jouer un rôle essentiel dans le développement du bien-être personnel et de la résilience. Par exemple, les résultats de l’étude de Hutchinson, Stuart et Pretorius (2011) indiquent qu’il existe une relation entre le tempérament inné des individus, les forces de caractère développées au cours de la vie et le processus de résilience.

La résilience a d’ailleurs été évaluée dans cette recherche grâce à l’échelle du sens de cohérence d’Antonovsky (1987) et à l’échelle de résilience de Wagnild et Young (1993). Selon Antonovsky (1987), le sens de cohérence permet d’estimer la résilience individuelle selon trois aspects distincts : la capacité à comprendre les événements, à les gérer et à leur donner du sens. Ainsi, les résultats de l’étude de Hutchinson, Stuart et Pretorius (2011) indiquent que les forces de caractère étaient corrélées avec le sens de cohérence (entre r = 0,23 et r = 0,42) et avec la résilience (entre r = 0,32 et r = 0,41). La corrélation canonique, qui a permis d’évaluer la relation entre les deux groupes de variables (les forces de caractère et les deux échelles de résilience), a également révélé que les six valeurs reliées aux forces de caractère étaient corrélées à la résilience (r = 0,51). Ces valeurs étant la sagesse, le courage, l’humanité, la justice, la tempérance et la transcendance. Ainsi, même si les comportements sont influencés par des aspects biologiques comme le tempérament, plusieurs chercheurs (Peterson & Seligman, 2004; Wissing & Van Eeeden, 2002) rappellent que les forces de caractère et la résilience peuvent se développer et se renforcer à travers à leurs interactions.

Le contexte historique des communautés autochtones D’un point de vue historique, les peuples autochtones d’Amérique du Nord ont vécu de profondes perturbations dans leurs modes de vie traditionnels suite à la colonisation et aux chocs des diverses cultures, ce qui aurait entrainé des effets sur la structure des communautés, l’identité individuelle et collective et sur la santé mentale (Kirmayer, Brass & Tait, 2000). Ces bouleversements seraient le résultat direct ou indirect des divers traumatismes de la colonisation tels que la perte de territoire, le confinement dans les réserves, le changement drastique des modes de vie, l’avènement des pensionnats pour l’éducation des jeunes, la perte des cérémonies et rituels traditionnels de guérison, etc. (Morency & Kistabish, 2001). Les pensionnats, par exemple, sont une conséquence indirecte de la colonisation. Ils ont été instaurés en 1863 par le gouvernement avec la collaboration des institutions religieuses et visaient à favoriser l’assimilation des Autochtones aux valeurs et traditions de la société canadienne (Dion Stout & Kipling, 2003; Dussault, 2007). Ces écoles résidentielles sont maintenant reconnues comme « traumatisme historique » en raison des nombreuses cicatrices intergénérationnelles laissées tant sur les plans physique, psychologique, sexuel que culturel (Chansonneuve, 2005; Muckle, 2011; Muckle & Dion, 2008).

En ce sens, certains auteurs (Kirmayer et al., 2009) soulignent que l’expérience des pensionnats aurait fortement entaché la transmission de la culture autochtone et de ses savoirs par les aînés aux générations futures. Or, sachant que le rôle des jeunes dans la communauté était justement de transmettre et d’appliquer ce savoir à l’économie, à la politique contemporaine et au monde social, on peut donc comprendre, dans une certaine mesure, les difficultés présentes aujourd’hui dans les communautés autochtones. Les collectivités autochtones portent donc un héritage de souffrance significatif qui se répercute et se transmet notamment à travers des violences tant physiques, psychologiques, sexuelles que conjugales. On constate en effet que les Autochtones seraient 2 à 3 fois plus susceptibles de vivre de la violence contrairement aux non-Autochtones (Boyce, 2014; Brzozowski, Taylor-Butts & Johnson, 2006). Et même si certaines communautés réussissent progressivement à se reconstruire, de nombreuses problématiques existent encore aujourd’hui dans diverses communautés : pauvreté, chômage élevé, discrimination, difficultés de santé physique et psychologique, mortalité infantile, toxicomanie, dépression, suicide, criminalité, etc. (Beauséjour, Morin & Lafortune, 2006 ; Culp & McCarthick, 1997; Tjepkema, 2002 ; Whitbeck, Adams, Hoyt & Chen, 2004). Ainsi, il semble d’autant plus pertinent de s’intéresser précisément à ces obstacles et traumatismes individuels et collectifs afin de mieux comprendre les conditions relatives à la création et au développement du processus de résilience au sein de ces communautés.

Table des matières

Résumé
Table des matières
Liste des tableaux
Remerciements
Introduction
Contexte théorique
L’émergence de la psychologie positive
Les forces de caractère selon la psychologie positive
Le développement des forces de caractère
L’émergence du processus de résilience
La résilience face aux traumatismes et aux forces de caractère
La croissance posttraumatique, la résilience et les forces de caractère
La réalité statistique des communautés autochtones au Canada
Le contexte historique des communautés autochtones
La résilience à travers les communautés autochtones
Objectifs et questions de recherche
Méthode
Participants
Procédure et déroulement
Instruments de mesure
Résilience
Événements traumatiques
Croissance posttraumatique
Forces de caractère et valeurs
Analyses statistiques
Résultats
Description de l’échantillon selon l’âge, le sexe et l’origine ethnique
Types de traumatisme selon les périodes de vie des participants
Analyses des principales variables selon le sexe des participants
Analyses des principales variables selon l’origine ethnique des participants
Types de traumatisme selon l’origine des participants (question de recherche 1)
Types de traumatisme, résilience et croissance (question de recherche 2)
Forces de caractère, résilience et croissance (question de recherche 3)
Facteurs influençant la résilience (question de recherche 4)
Description de l’analyse
Postulats de la régression
Résultats de l’analyse
Discussion
Types de traumatisme et origines ethniques
Types de traumatisme, résilience et croissance posttraumatique
Forces de caractère et résilience
Facteurs influençant la résilience
Implications et limites
Conclusion
Références
Appendice A
Appendice B

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *