L’infertilité : une définition relative
L’infertilité est une incapacité à procréer de manière autonome. Cette inaptitude se distingue de l’infécondité, le fait de ne pas avoir d’enfant, car cette situation est involontaire et subie.
L’infertilité se définit par l’histoire procréative des individus. Elle est dite primaire lorsque la femme n’a jamais été enceinte ou que l’homme n’a jamais été père. Les médecins parlent d’infertilité primaire du couple lorsque les deux partenaires sont concernés. À l’inverse, si les individus ont eu des débuts de grossesse ou des enfants, l’infertilité est qualifiée de secondaire. Le diagnostic de stérilité est posé seulement si l’incapacité à procréer est totale et définitive.
Enfin, la durée de l’infertilité est centrale pour évaluer la fécondabilité du couple, sa probabilité de procréer. Le délai permettant de déceler une situation d’infertilité a été raccourci par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), de deux à un an de rapports sexuels sans contraception4. Ce faisant, cette institution conforte les pratiques françaises, tendant à initier plus précocement le bilan d’infertilité : par exemple, les membres du conseil d’orientation de l’ABM (2009) estiment souhaitable pour les couples de consulter au bout d’un an5. D’autres institutions, comme la Haute Autorité de Santé (HAS) adoptent une position plus réservée. Un de ses rapports (2006) insiste sur l’importance de laisser du temps aux couples, surtout lorsque l’infertilité est inexpliquée, pour éviter d’alimenter une médicalisation inutile : l’infertilité « ne devrait pas être considérée comme telle avant deux ans de rapports sexuels fréquents, sans utilisation de méthode contraceptive et en l’absence de pathologie de la reproduction connue. Ceci éviterait de surestimer les risques d’infertilité » (2006 : 33). En effet, l’étude menée par l’épidémiologiste Rémi Slama (2012) montre qu’un peu de patience peut suffire à résoudre le problème : alors qu’au bout d’un an de rapports sexuels sans contraception, le nombre de couples infertile oscille entre 16 et 24 %, cette proportion diminue de moitié après un délai de deux ans. Mais lorsque les couples en mal d’enfant se tournent vers la médecine, ce laps de temps est souvent dépassé6.
L’assistance médicale à la procréation
L’AMP est définie par la loi comme les « pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle »7. Cet acronyme remplace officiellement le groupe nominal de Procréation Médicalement Assistée (PMA)8.
Retraçons les origines, le déroulement et les usages des principales techniques que recouvrent cette catégorie, soit l’Insémination Intra-Utérine (IIU), la Fécondation In Vitro (FIV) et la FIV avec l’injection d’un spermatozoïde dans l’ovocyte (ICSI). Le mouvement de technicisation progressive de la procréation », comme le qualifie la sociologue Chantal Doré (1993 : 1), s’appuie sur les recherches des embryologistes, des endocrinologues et des chirurgiens pour répondre à la demande croissante d’un public de plus en plus large. En effet, Jacques Testart estime que « l’activité d’AMP progresse de 7 à 8 % chaque année » (2014 : 54).
L’insémination
L’insémination consiste à déposer du sperme dans la cavité utérine. Ce geste implique un temps biologique, la préparation du sperme, et un temps médical, la stimulation hormonale. Le sperme recueilli par masturbation est lavé pour être fécondant in vivo. Utilisé frais ou congelé sous forme de paillettes, il est ensuite dilué avec du milieu de culture avant d’être replacé dans l’utérus de la femme, dont l’ovulation a été stimulée et programmée par traitement hormonal.
L’insémination est un procédé ancien : les premiers essais, sur l’animal puis sur l’homme, remontent au XVIIIe siècle9. Cependant, cette technique se généralise seulement dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ce qui montre, comme le souligne la sociologue Laurence Tain, l’influence déterminante de « l’espace social » sur les pratiques médicales (2005b : 53). Ce n’est qu’en 1957, près de deux siècles après la première insémination intraconjugale, que la Société Française des Gynécologues la reconnaît comme un procédé acceptable pour traiter l’infertilité. Cette reconnaissance lui confère ainsi « le statut de “traitement” », remarque Aviva Devaux, médecin biologiste de la reproduction (1990 : 142). Pourtant, le fait de considérer l’insémination comme une technique médicale ne va pas de soi. Par exemple, le biologiste Jacques Testart se positionne « contre l’insémination artificielle médicalisée »10. Selon lui, ce procédé ne relève pas réellement d’une technique médicale, mais seulement de l’accaparement par des professionnels d’un acte pour lequel ils ne sont pas nécessaires » (2013 : 49). Il reconnaît cependant que l’insémination se justifie dans certaines indications, notamment cervicales, c’est-à-dire liées au col de l’utérus, et masculines. Dans ce dernier cas, il explique que « quand le sperme n’est pas de bonne qualité, nous avons besoin d’une part de le traiter, pour éliminer les bactéries, et d’autre part de traverser le col pour le mettre dans l’utérus, ce qui doit être fait dans l’asepsie ». La sociologue Simone Bateman (1994) estime également que l’insémination n’est « pas un traitement, au sens médical du terme, pour un problème d’infécondité : elle est une technique, alternative au rapport sexuel, qui vise à produire une grossesse dans les conditions psychologiques et matérielles les plus acceptables ». Par son action, le médecin « remplace une technique du corps – l’acte sexuel – par une technique instrumentale – l’insémination » (1994 : 25-26).
Aurélie Amar-Hoffet, gynécologue obstétricienne, souligne ses avantages : c’est la « plus simple, la moins invasive et la moins coûteuse des techniques d’AMP » (2010 : 89). Elle concerne principalement les couples hypofertiles. Les règles de bonnes pratiques précisent la démarche du clinicien et du biologiste avant d’opter pour l’insémination11. Le premier doit s’assurer de la perméabilité tubaire : si les trompes sont bouchées, la femme ne pourra pas tomber enceinte. Le second vérifie la fertilité de l’homme par l’analyse des paramètres spermatiques12. Ils contrôlent la mobilité et le nombre de spermatozoïdes, qui doit être supérieur à un million par millilitre. Comme les autres techniques, l’insémination est souvent couplée avec une stimulation de l’ovulation, pour obtenir la maturation d’un à trois follicules ovariens contenant les ovocytes. Leur nombre est surveillé par monitorage, notamment échographique, et éventuellement par dosage hormonal. Si ces examens mettent en évidence plus de trois follicules, les règles de bonnes pratiques précisent que l’insémination doit être annulée pour éviter les risques de grossesse multiple.
Le recours à l’insémination en première intention révèle une volonté de favoriser une démarche progressive. Ce procédé est rarement proposé au-delà de six tentatives, notamment pour éviter de multiplier les expositions aux traitements hormonaux. L’intervention médicale est graduelle et le passage à la FIV intervient de manière secondaire. Cependant, si l’utilisation de ce procédé peu intrusif en début de prise en charge est défendue par la majorité des médecins, d’autres préfèrent réduire, voire supprimer cette étape, pour passer rapidement à la FIV. L’élargissement du recours à l’insémination met à mal ses indications originelles : elle proposée dans une gamme d’indications dont les limites sont mal définies » (Amar-Hoffet et al., 2010 : 89). La diminution de son usage, de 43 à 40 % des tentatives entre 2010 et 2013, montre son dépassement progressif par la FIV (ABM, 2015d). En 2013, les enfants conçus par ce procédé représentent 28 % des naissances consécutives à une AMP.
La Fécondation in Vitro
La FIV consiste à obtenir un embryon par la fécondation, en laboratoire, d’un ovocyte par un spermatozoïde. Comparée à l’insémination, elle fait principalement intervenir trois étapes supplémentaires, qui sont chirurgicales, biologiques et cliniques. Sa réalisation nécessite de ponctionner les ovocytes dans les ovaires, pour ensuite organiser in vitro la rencontre des cellules reproductrices, les gamètes, et replacer enfin le ou les embryons dans l’utérus.
La FIV est le résultat des progrès en matière de médecine vétérinaire, d’embryologie, d’endocrinologie et de gynécologie obstétrique. Les premiers essais de fécondation d’un ovocyte humain en laboratoire débutent dans les années 1940, aux États-Unis. Le succès de cette innovation tient à l’obstination d’un anglais, Robert Edwards, biologiste, embryologiste et généticien. Travaillant sur la maturation de l’ovocyte, il rencontre des difficultés pour se procurer des ovocytes. Il contacte Patrick Steptoe, gynécologue obstétricien, qui a appris à ponctionner les follicules ovariens et a perfectionné la technique de la laparoscopie aux côtés du gynécologue Raoul Palmer13. Ensemble, ils obtiennent les premières preuves cytologiques de la fécondation in vitro de l’ovocyte humain en 1969, puis une première grossesse en 1975, mais se heurtent à des problèmes d’implantation de l’embryon dans l’utérus. En 1978, la naissance de Louise Brown à l’hôpital d’Oldham, près de Manchester, signe le succès de cette innovation pour laquelle Robert Edwards obtient le prix Nobel de médecine en 2010. En France, ce champ médical est dynamisé par les recherches sur l’animal. Dès 1954, Charles Thibault réalise la première FIV chez le lapin, et contribue par la suite à former les premiers biologistes de la reproduction dans l’hexagone. Le gynécologue René Frydman et le biologiste Jacques Testart réussissent la première FIV humaine en février 1982, donnant naissance à Amandine à l’hôpital Antoine Béclère, à Clamart, dans les Hauts-de-Seine. Elle sera suivie par celle d’Alexia à Sèvres en juin 1982, et de Wilfrid à Tenon en mars 1983.
Le déroulement de la FIV implique la mise en place de procédures plus contraignantes que l’insémination. La stimulation, plus forte, vise à générer davantage d’ovocytes, entre huit à dix en moyenne, qui donneront quatre ou cinq embryons. Le médecin doit principalement se préserver du risque d’hyperstimulation, un effet indésirable potentiellement grave14. Si la stimulation est devenue une étape préalable à l’immense majorité des FIV, elle n’est néanmoins pas obligatoire, puisque les premières grossesses étaient obtenues en cycle naturel, sans administration d’hormones. Pour réaliser la FIV, le gynécologue doit ensuite faire une ponction.
l’aide d’une seringue, et guidé par échographie, il passe par la voie vaginale pour aspirer les follicules les plus matures dans l’ovaire. Il les transmet au biologiste, qui les compte et les isole. Ce dernier assure la rencontre des gamètes en mettant en contact, dans une éprouvette, chaque ovocyte avec des spermatozoïdes préalablement préparés. La dernière étape est celle du transfert d’embryon. Les professionnels définissent l’environnement hormonal propice à l’accueil de l’embryon, leur nombre, leur état (frais ou congelé), ainsi que le stade de leur développement (entre le troisième et le cinquième jour). Lorsque les médecins obtiennent plusieurs embryons, ils choisissent souvent d’en replacer directement un ou deux, et de congeler l’autre partie pour un transfert ultérieur. Ils peuvent aussi congeler l’ensemble des embryons, ce qu’ils appellent le freeze all. L’issue de la tentative est scellée deux semaines après le transfert par un test de grossesse par prélèvement sanguin qui signe la réussite, ou l’échec, de l’intervention médicale.
Le recours à la FIV est en expansion : le nombre de FIV/ICSI a été multiplié par sept en trente ans. Entre 1986 et 2013, il passe de 12 000 à 84 000 actes annuels (ABM, 2015c). Pour Jacques Testart (2014), cette croissance est liée à celle du nombre de centres, qui a doublé depuis le début de l’AMP. Le sociologue Joachim Marcus-Steiff (1987) souligne que cette expansion est également alimentée par une extension de ses usages. En effet, la FIV a initialement été conçue pour pallier les obstructions tubaires, que la chirurgie parvenait à réparer dans seulement 20 % des cas (Pouly, 201415). Aujourd’hui, elle est proposée dans de nombreuses situations et notamment dans le cadre d’indications dites « relatives », comme l’infertilité masculine, endométriosique ou inexpliquée16. La FIV est finalement devenue un « recours en cas d’échec des traitements plus simples », comme le remarque Jacqueline Mandelbaum, médecin et biologiste (2011a : 16). En 2013, 19 % des enfants conçus par AMP sont issus d’une FIV17.
Le syndrome d’hyperstimulation ovarienne sévère se rencontre en moyenne dans 0,7 % des cas et nécessite souvent une hospitalisation (CCNE, 2017).
L’ICSI
L’ICSI désigne l’injection d’un spermatozoïde dans l’ovocyte18. Elle se distingue de la FIV en ce qu’elle représente « une étape supplémentaire de la médicalisation du processus de fécondation », comme le décrit la sociologue et historienne Ilana Löwy (2000 : 91). Le rôle du biologiste dans la rencontre des gamètes est encore plus déterminant puisqu’après avoir choisi le meilleur spermatozoïde en fonction de caractéristiques morphologiques, il traverse les trois membranes protectrices de l’ovocyte pour y injecter le spermatozoïde et réaliser la fécondation. Ce geste nécessite également la décoronisation de l’ovocyte19.
Le premier succès de ce procédé est notamment attribué à l’embryologiste Gianpiero Palermo en 1992, à Bruxelles. Ce n’est que deux ans plus tard que la France obtient la première naissance par ICSI, Audrey, à l’hôpital Américain. L’idée de se substituer à la fécondation spontanée a été émise dès les années 1980, mais les recherches ont été freinées par de mauvais résultats chez l’animal (Mandelbaum, 2011a).
L’ICSI est principalement indiquée pour les infertilités masculines. Comme le précisent les règles de bonnes pratiques, l’ICSI peut être prescrite en seconde intention, comme une alternative à la FIV, si cette dernière a de faibles chances de succès, qu’elle a déjà échoué ou qu’elle n’est pas envisageable. Avant d’avoir recours à l’ICSI, les médecins doivent avoir préalablement envisagé d’autres alternatives pour améliorer la qualité du sperme20. Jacqueline Mandelbaum décrit l’ICSI comme un « saut technique immédiatement reconnu, diffusé et reproductible qui va révolutionner le traitement des stérilités masculines » (2011a : 16). Sa généralisation donne « à tous les hommes ayant des problèmes d’infertilité – y compris ceux liés l’infertilité de l’homme en faisant subir des traitements à sa femme », à la mise en valeur des risques de malformations chromosomiques (Löwy, 2000 : 88-90). La transmission génétique permise par cette déclinaison de la FIV entraîne un déclin des inséminations artificielles avec donneur (IAD) et la situe au sommet de la hiérarchie des techniques d’AMP : « On préfère donc l’ICSI et la FIV à l’IAD, et l’IAD à l’adoption », comme le note la sociologue Dominique Memmi (2014 : 201).
L’ICSI assure plus d’un tiers des naissances par AMP. Son utilisation s’est généralisée : sa part parmi les FIV passe de 7 % en 1994 à 50 % en 2000 ; cette proportion semble se stabiliser 66 % des FIV en 2013 (Pulman, 2010 ; ABM, 2015d). La Haute Autorité de Santé (HAS), saisie par la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) pour évaluer les indications, l’efficacité et les risques de l’ICSI, conclut que son expansion résulte principalement de l’extension de ses indications, et d’une utilisation plus précoce, notamment pour les altérations modérées des caractéristiques spermatiques22. Outre l’élargissement des indications et une utilisation plus rapide de l’ICSI, Ilana Löwy explique sa banalisation en ajoutant « le “push” technique stimulé par l’absence de “catastrophes” et (…) l’amélioration du “rendement” » (2000 : 91).
La FIV et l’ICSI peuvent être utilisées simultanément au cours d’une même tentative : c’est le mi-FIV/mi-ICSI. Cette stratégie mixte consiste à placer la moitié des gamètes en FIV, pour tester leur fécondance, soit leur capacité à féconder l’ovocyte, sans intervention médicale, tout en assurant la fécondation de l’autre partie des ovocytes23.
Ainsi, parmi les sept principales techniques d’AMP reconnues par l’ABM, nous nous intéresserons spécifiquement à quatre d’entre elles : l’insémination, la FIV, l’ICSI et la préservation de la fertilité. Nous détaillerons les usages de cinq techniques que l’ABM qualifie de particulières, soit la culture prolongée, l’éclosion assistée, la maturation in vitro (MIV), les cycles naturels et l’IMSI24. Ces procédés, utilisés dans un quart des tentatives de FIV, méritent notre attention, car la multiplicité de leurs conditions d’utilisation contribue à révéler les préférences thérapeutiques des professionnels.
La médecine de la reproduction
Pour définir leur travail, les spécialistes de l’infertilité utilisent le terme de médecine de la reproduction, qui désigne l’ensemble des approches et des dispositifs cliniques et biologiques déployés pour aider les couples infertiles dans leur projet parental25. Ce dénominatif englobe deux spécialités : la médecine et la biologie de la reproduction. La première est pratiquée par des cliniciens, en grande majorité des gynécologues obstétriciens et médicaux, et exceptionnellement des endocrinologues. La seconde spécialité regroupe des biologistes, médecins ou pharmaciens, et de rares scientifiques.
Cette préférence terminologique est liée au fait que la médecine de la reproduction recouvre un périmètre plus large que celui des techniques d’AMP proprement dites. L’acronyme AMP réduit l’approche globale développée par les médecins à un ensemble de procédés techniques, en mettant l’accent sur les plus médicalisés, comme le regrette Jacqueline Mandelbaum : « L’AMP, souvent considérée à tort comme un ensemble de techniques, est une médecine de l’infertilité récente où l’histoire médicale de chaque couple est examinée en équipe pluridisciplinaire afin de leur proposer la prise en charge la plus adaptée » (2011a : 14). Le médecin et biologiste Pierre Jouannet souligne également que le domaine d’action de la médecine de la reproduction est « plus vaste que l’AMP, puisqu’il comprend aussi tout le diagnostic de l’infertilité, de la stérilité, et tous les traitements (et heureusement il y en a), qui ne passent pas par l’AMP » (2010).
