La démarche projet pour créer des entrées pédagogiques info-documentaires

Le droit à l’éducation est un droit fondamental inscrit dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme depuis 1948. Il pose la base d’une vision égalitaire de l’éducation, et trouve un écho particulier en présence d’élèves allophones dans un établissement scolaire. La réponse à leurs besoins éducatifs doit nécessairement se trouver dans une adaptation de posture de la part des enseignants, mais aussi plus globalement du système éducatif. Depuis 1948, le souci de répondre aux besoins de ces élèves par une prise en charge scolaire adaptée, a amené la mise en place de divers dispositifs et a développé plusieurs réflexions, faisant émerger les concepts d’École pour Tous (EPT) et d’inclusion scolaire. Cette notion d’inclusion scolaire, expliquée par Annick Ventoso-Y-Font et Julien Fumey dans leur ouvrage Comprendre l’inclusion scolaire, est « étroitement liée aux principes de l’intégration, aux notions d’accessibilité, de diversité et surtout de besoins éducatifs particuliers. L’inclusion propose un renversement de perspective. Elle s’inscrit dans une vision sociétale humaniste et égalitaire, et entraîne des bouleversements vis-à-vis de la norme et de la manière de considérer les élèves. » En effet, l’enjeu de l’inclusion est bien de tenter de renverser la logique selon laquelle ces élèves seraient un poids de plus pour les enseignants déjà surchargés, et de convaincre qu’ils sont bien un atout et une richesse pour toute la communauté éducative.

Le professeur-documentaliste, de par ses missions transversales, à la fois pédagogiques et de gestion, occupe une place particulière au sein d’un établissement scolaire. Gestionnaire du CDI, mais aussi et avant tout enseignant à part entière, il est amené à rencontrer l’ensemble des élèves de l’établissement, et se trouve ainsi au premier plan dans les missions d’accueil de ces élèves à besoins éducatifs particuliers. Comment les accueillir au CDI ? Quelles ressources leur proposer ? Quels sont leurs besoins pédagogiques et comment y répondre ? Ce sont là, les questions auxquelles nous avons été confrontés dès le début de notre stage. Pour y apporter une réponse, nous nous sommes naturellement tournés vers un partenariat avec l’enseignante de FLE (Français Langue Étrangère), responsable des élèves de la classe UPE2A (Unité Pédagogique pour Élèves Allophones Arrivants), chargée de leur accueil et de la mise en place de leur inclusion scolaire dans le lycée. Une journée en immersion avec cette enseignante nous a permis de nous rendre compte, de manière évidente et quasi immédiate, de la diversité et de la richesse culturelle et linguistique de ces élèves. La conviction de valoriser cette richesse culturelle de manière à la rendre, tout d’abord, visible pour le reste de la communauté éducative, et ensuite, source d’échanges et de partage avec les autres élèves, dans un objectif de meilleure compréhension de l’autre et donc de meilleure intégration, s’est fait jour assez rapidement. Nous avons ainsi souhaité mettre en place un véritable parcours d’éducation artistique et culturelle (PEAC) avec ces élèves, en utilisant l’outil privilégié FOLIOS.

Cependant, même si les apports pédagogiques de l’éducation artistique et culturelle semblent une bonne réponse dans la transmission d’apprentissages pour ces élèves, une autre interrogation , plus propre au statut de professeur-documentaliste, nous est apparue : comment transmettre les apprentissages infodocumentaires dans un parcours d’éducation artistique et culturelle ? Est-ce un bon positionnement pédagogique en tant que professeur-documentaliste, avec ces élèves à besoins éducatifs particuliers ? Le PEAC présente-t-il des avantages pour l’enseignement à délivrer, et si oui quels sont-ils ? Cette seconde vague d’interrogations nous a poussés à nous documenter plus précisément sur le sujet et nous amène à proposer la problématique suivante pour cette étude : En quoi le PEAC constitue-t-il un vecteur pour la transmission d’apprentissages info-documentaires auprès d’élèves allophones en lycée ?

Pour appuyer ce projet de PEAC, nous avons eu la chance d’effectuer notre stage dans un lycée participant au dispositif national de « Lycéens et apprentis au cinéma». Cette participation est soutenue par une équipe pédagogique impliquée et dynamique autour de ce dispositif. Nous avons ainsi naturellement axé le projet de PEAC autour du cinéma, car cet axe permettait de faire participer les élèves allophones à la dynamique de l’établissement et donc de les intégrer un peu plus au sein de la communauté éducative. Le projet répond, en outre, parfaitement aux objectifs du projet d’établissement, de conduire les élèves à devenir des citoyens du monde ouverts et créatifs, et de créer un parcours de réussite pour chaque élève, en les impliquant dans leur scolarité et en leur donnant des méthodes de travail. Ainsi inscrit dans la réalité concrète de l’établissement, ce projet propose aux élèves à la fois un élargissement de leur horizon culturel en leur fournissant quelques éléments de repères, notamment sur le cinéma, mais leur donne aussi les moyens de construire eux-mêmes leur parcours de réussite, en les rendant acteurs de leurs apprentissages et en les préparant à la suite de leur scolarité.

Pour comprendre qui sont les élèves dits « allophones », il est intéressant de commencer par se pencher sur le terme même d’ « allophone ». Il s’agit, en effet, d’un néologisme tout à fait récent, qui a été introduit à l’occasion d’une circulaire de 2012, et qui amène une nouvelle appellation pour ces élèves : les Élèves Allophones Nouvellement Arrivés (EANA). La linguiste Cécile Goï explique la construction et le sens de ce nouveau terme :

Comme tout néologisme, « allophone » signe une nouvelle façon de penser et -réciproquement- induit une nouvelle façon de penser. Là ou l’appellation « non-francophone » envisageait avec un préfixe privatif l’élève nouvellement arrivé sous l’angle de la lacune, du manque à combler, voire du handicap, l’appellation « allophone » met en avant le préfixe « allo » en référence à la notion d’alter. Il s’agit donc de considérer l’élève allophone comme celui (ou celle) qui parle une autre langue ou qui parle d’autres langues.

L’appellation assignée à ces élèves est extrêmement importante, dans la mesure où la dénomination construit les représentations sociales et pèse sur la catégorisation de ces élèves. Avant 2012, plusieurs termes ont été successivement employés. Il est intéressant de les retracer rapidement, car ils permettent aussi de mieux comprendre la dynamique, dans laquelle s’inscrit l’institution depuis ces dernières années. Ainsi, dans les années 1980, ils étaient désignés comme des « enfants de migrants », expression qui entérine leur différence en insistant sur la notion de migration. Simultanément, dans les textes officiels, existait les termes d’ « élèves non francophones » ou d’ « élèves primo-arrivants », qui marquent une stigmatisation assez forte et sous un angle péjoratif. En 2002, on trouve l’expression « élèves de nationalité étrangère », qui se veut, encore une fois, stigmatisante de par leur statut social d’étrangers. Une nouvelle expression est alors adoptée par l’institution, qui se veut plus positive, celle d’ « élèves nouvellement arrivés en France » (ENAF). L’ajout du terme « allophone » en 2012 vient donc marquer une nouvelle étape dans cette dynamique d’appellation, dont la logique est bien de valoriser leur richesse linguistique et culturelle :

Il y a ainsi un renversement de considération, car cette nomination présuppose des compétences en langues autres que le français. Ce faisant, elle reconnaît implicitement la valeur accordée ou à accorder à ces langues et implique que les compétences ou acquis de l’élève allophone sont une ressource (et non un frein) sur laquelle les élèves et les enseignants vont pouvoir s’appuyer.

Si l’institution a évolué dans l’appellation de ces élèves, elle a aussi évolué dans les dispositifs d’accueil qu’elle a pu mettre en place au cours de ces dernières années. L’historique des dispositifs d’accueil des élèves allophones est directement lié aux différentes politiques d’assimilation et d’intégration des étrangers en France. Le principe fondateur de l’École repose sur la transmission des mêmes connaissances à tous les élèves. Cette vision initiale, égalitaire, est héritée de la fin du XIXème siècle avec les lois Jules Ferry. Elle ne prévoyait aucun dispositif particulier, et c’est bien sans directives précises que les enseignants assuraient l’accueil de ces élèves étrangers jusqu’au milieu du XXème siècle.

Après la seconde Guerre Mondiale, la population des étrangers atteint un pic de 3,6 millions de personnes. La nécessité de mieux organiser l’accueil de cette population migrante s’impose progressivement. Les premières réponses de l’institution se mettent en place dans les années 1970, suite au premier Bulletin officiel du 13 Janvier 1970, organisant les modalités d’un nouveau dispositif : les classes expérimentales d’initiation pour enfant étrangers (CLIN). Elles se composent d’un effectif réduit, entre 15 et 20 élèves, et ont pour principal objet l’enseignement du Français Langue Étrangère (FLE). Les CLIN sont surtout réservées aux enfants de 7 à 13 ans, dans le 1er degré. Dès 1973, les « Classes d’accueil » ou CLA, fondées sur le même modèle, se destinent aux enfants du collège, entre 12 et 16 ans.

Table des matières

Introduction
1. Les élèves allophones : des élèves à besoins éducatifs particuliers
1.1 Situation et enjeux
1.1.1 L’importance de l’appellation
1.1.2 Leur prise en charge scolaire
1.1.3 Les enjeux éducatifs et sociaux
1.2 Quelles stratégies pédagogiques ?
1.2.1 Gérer le plurilinguisme
1.2.2 Gérer l’hétérogénéité des profils
1.3 Le positionnement du professeur-documentaliste
1.3.1 Adapter la didactique info-documentaire
1.3.2 Adapter l’organisation des ressources documentaires
1.3.3 Renforcer la médiation culturelle
2. Le PEAC : quels apports pédagogiques pour des élèves allophones ?
2.1 Origine et enjeux du PEAC
2.1.1 Survol historique de l’EAC
2.1.2 Les objectifs du PEAC
2.2 Un PEAC autour du cinéma
2.2.1 Le dispositif Lycéens et apprentis aux cinéma (LAAC)
2.2.2 La fonction éducative du cinéma
2.3 Les bénéfices du cinéma pour les élèves allophones
3. Quels apprentissages info-documentaires dans un PEAC avec des élèves allophones?
3.1 Le cinéma pour une approche médiatique
3.1.1 Le cinéma : un art, un média
3.1.2 Le cinéma : un média culturel
3.2 La démarche projet pour créer des entrées pédagogiques info-documentaires
3.2.1 La pédagogie de projet comme support d’apprentissages
3.2.2 Créer des entrées pédagogiques info-documentaires
3.3 Progression des apprentissages et difficultés rencontrées
3.3.1 Conjuguer les apprentissages info-documentaires et langagiers
3.3.2 Les difficultés rencontrées
Conclusion

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