L’ampleur du décrochage scolaire

L’ampleur du décrochage scolaire 

Lorsqu’ils atteignent l’âge de six ans, les jeunes Québécois sont soumis à la loi sur la fréquentation scolaire, instaurée depuis 1943, dont l’appellation d’origine a été modifiée, en 1988, par la loi sur l’instruction publique. Cette dernière rend obligatoire la fréquentation scolaire des enfants jusqu’à l’âge de 16 ans (MELS, 2002). Malgré l’application de la loi sur l’instruction publique, le phénomène du décrochage scolaire persiste. Les données statistiques portant sur le décrochage scolaire font de ce phénomène un problème social bien préoccupant. Par exemple, au cours de l’année scolaire 2011-2012, c’est près du quart des élèves du niveau secondaire au Québec (19,8 %) qui ne parvenaient pas à achever leur année scolaire. En termes de conséquences, ces élèves déscolarisés ont quitté l’école secondaire sans diplôme et sans qualification (MELS, 2012) . Plus spécifiquement, dans l’ensemble des commissions scolaires du Saguenay-Lac-Saint-Jean, 10,1 % des élèves n’ont pas obtenu de diplômes d’études secondaires (DES) au cours de l’année scolaire 2011-2012 (MELS, 2013). Pour les filles, ce taux était de 9 % dans la région du Saguenay Lac-Saint-Jean et de 6,5 % pour les commissions scolaires de Saguenay (MELS, 2013). Dans un tel contexte, au cours des prochaines années, le principal défi du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) consiste à augmenter le taux de diplomation, tout en diminuant l’âge de l’obtention du DES. D’ailleurs, le MELS (2009a) s’est fixé d’atteindre cet objectif en l’an 2020. Celui-ci vise à ce que plus de 80 % des jeunes âgés de moins de 20 ans obtiennent un diplôme qualifiant, comparativement au taux qui se situe entre 70 % et 72 % et qui est observé depuis plusieurs années dans l’ensemble du Québec (MELS, 2009a). Pour l’ensemble du Saguenay-LacSaint-Jean, le taux convoité a été fixé à 85 % pour l’obtention d’un diplôme qualifiant, peu importe le parcours que le jeune aura suivi pour être en mesure de l’obtenir (parcours régulier au secondaire, décrochage suivi d’un raccrochage, etc.) (Lévesque, 2011).

Étant donné l’ampleur du décrochage scolaire, plusieurs recherches ont porté sur les causes possibles de ce problème social (Fortin et Picard, 1999; Lavigne, 2003; Rousseau et Leblanc, 1991; Ruest, 2009). Selon ces études, le décrochage scolaire est l’aboutissement d’un long processus, qui se concrétise par des difficultés vécues tant au plan personnel, scolaire, familial que social (Beaumont, Bourdon, Couture et Fortin, 2009; Marcotte, Cloutier et Fortin, 2010; Pronovost, 2007; Rousseau et Leblanc, 1991). Pour Garnier, Stein et Jacobs (1997), qui ont réalisé une étude auprès de 205 familles, d’importants facteurs menant au décrochage scolaire seraient associés à la cellule familiale. Entre autres, un style de vie non conventionnel, notamment caractérisé par la consommation de drogues à la maison, ainsi que certaines valeurs prônées par les parents, seraient fortement reliés à l’abandon scolaire (Rumberger, 1995). De plus, le degré d’engagement des parents dans les activités scolaires, la supervision parentale ainsi que les attentes qu’ils ont envers la réussite scolaire de leurs enfants constitueraient d’autres éléments familiaux reliés à l’abandon scolaire (Rumberger, 1995). L’origine sociale, qui se caractérise par la profession, la scolarisation des parents, le travail de la mère, le nombre d’enfants dans la famille et par les pratiques éducatives (Conseil supérieur de l’éducation, 1999), serait considérée, par certains chercheurs, comme le principal facteur associé à la réussite ou à l’échec scolaire (Bouchard et St-Amant, 1999). Ainsi, les élèves, en provenance des milieux socioéconomiques défavorisés, seraient les plus à risque de décrocher (Davies, 1994; Fortin, Royer, Potvin, Marcotte et Yergeau, 2004; Janosz, 2000). Pour sa part, afin d’expliquer ce phénomène, Morissette (1984) fait référence à une chaîne de causalité d’événements qui se traduit comme suit : la décision d’interrompre les études serait, entre autres, influencée par les conditions familiales, par le sentiment d’aliénation, par une faible estime de soi, par de faibles résultats scolaires et par l’environnement du décrocheur. L’acte d’arrêter momentanément les études serait alors l’issue d’une décision individuelle, basée sur différents événements vécus dans la vie personnelle, scolaire, familiale et sociale du jeune. Elle serait l’ultime étape d’une accumulation de décisions prises au cours du cursus scolaire primaire et secondaire (Morissette, 1984). Bien que le décrochage scolaire ait des impacts négatifs chez l’individu décrocheur, des conséquences y sont également associées au plan sociétal.

Le décrochage scolaire n’est effectivement pas sans conséquence pour la société. Il génère des coûts importants sur les plans économique et social. Pour l’ensemble des provinces canadiennes, le décrochage scolaire au secondaire entraîne des dépenses annuelles de plus de 1,3 milliard de dollars. Par ailleurs, plus de 969 millions de ces dollars proviennent des programmes sociaux. C’est près de 4000 $ en prestation d’aide sociale par année qui sont alloués pour chacun des individus qui ne parvient pas à compléter ses études secondaires (Hankivsky, 2008). Sans diplôme en poche, les décrocheurs éprouvent des difficultés à s’insérer professionnellement et présentent ainsi un taux de chômage très élevé, ce qui fait en sorte qu’ils dépendent souvent de l’aide sociale et de l’assurance emploi pour subvenir à leurs besoins (Garnier, Stein et Jacobs, 1997). Le décrochage scolaire au Québec prive aussi la province d’une main-d’œuvre qualifiée et crée alors des pertes financières (Fédération autonome de l’enseignement, 2012). Quant aux autres 350 millions de dollars, ils correspondent aux frais liés au système de justice pénale qui s’élèvent annuellement à 220 $, en moyenne, par décrocheur (Hankivsky, 2008). À cet effet, Healey, Foley et Walsh (2008) ont démontré que le niveau d’instruction serait fortement lié à l’incarcération et à l’imposition d’une peine d’emprisonnement antérieure chez les personnes déjà incarcérées.

D’autre part, de nombreux ouvrages scientifiques confirment qu’il existe des liens étroits entre la santé et l’instruction, par rapport à certaines maladies. Parmi celles-ci, on retrouve l’insuffisance coronaire (Davey Simth et al., 1998; Dryfoos, 1990; Winkleby, Jatulis, Frank et Fortmann, 1992), l’hypercholestérolémie (Dryfoos, 1990), la maladie d’Alzheimer, les cancers, certaines maladies mentales, le diabète (Nilsson, Johansson et Sundquist, 1998), la dépression (Adler et Matthews, 1994; Liem, Dillon et Gore, 2001; Mirowsky et Ross, 1998), le stress (Taylor et Turner, 2002), une faible capacité pulmonaire (Welle, Eide, Gulsvik et Bakke, 2004), ainsi que l’obésité (Dryfoos, 1990). Sur une base annuelle, on estime à environ 8000 $ les coûts reliés à la morbidité et à la mortalité pour chaque décrocheur (Hankivsky, 2008). Outre les frais associés au décrochage scolaire, d’autres conséquences peuvent survenir en lien avec l’implication citoyenne. Par exemple, les décrocheurs sont moins impliqués au sein de leur communauté, ils votent moins que les diplômés et ils ne font pas de bénévolat. Ils s’exposent ainsi à l’exclusion sociale (Groupe d’action d’aide sur la persévérence et la réussite scolaires au Québec, 2010).

Pour Bressoux et Pansu (2003), le motif principal du décrochage, garçons et filles confondus, serait associé à une rupture de leur scolarité à la suite d’une accumulation de problèmes causés par une situation sociale précaire. Ils accumuleraient ainsi un retard scolaire important et, par le fait même, auraient un parcours de vie semé d’embûches (Lévesque, 2011). Malgré ces similitudes entre les garçons et les filles qui décrochent, la problématique du décrochage scolaire demeure plus souvent associée aux garçons dans le monde occidental (Fédération autonome de l’enseignement, 2012). En effet, les garçons vivent plus de problèmes scolaires que les filles (Fédération autonome de l’enseignement, 2012), redoublent plus souvent, sont plus hyperactifs, ont plus de difficultés d’apprentissage et de troubles de comportement, en plus de faire davantage l’objet de suspensions scolaires (Audet et Royer, 1993). Les filles auraient une attitude plus favorable à la scolarisation. Par exemple, elles accorderaient plus de temps et d’efforts à leurs travaux scolaires (MELS, 2004). Comparativement aux garçons, elles feraient un usage plus fréquent des stratégies de contrôle comme la planification, l’organisation et la structuration, qui permettent une meilleure maîtrise du processus d’apprentissage (MELS, 2004).

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE
1.1. L’AMPLEUR DU DÉCROCHAGE SCOLAIRE
1.2. L’ÉDUCATION DES ADULTES, D’HIER À AUJOURD’HUI
1.3. LA PERTINENCE DU MÉMOIRE
CHAPITRE 2 : RECENSION DES ÉCRITS
2.1. PORTRAIT DES PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES ET DES ÉVÉNEMENTS VÉCUS PAR LES DÉCROCHEUSES ET LES RACCROCHEUSES
2.1.1. Les décrocheuses
2.1.1.1. La définition du décrochage scolaire
2.1.1.2. La situation personnelle des décrocheuses
2.1.1.3. Les caractéristiques scolaires des décrocheurs
2.1.1.4. Les caractéristiques familiales des décrocheuses
2.1.1.5. Les caractéristiques sociales des décrocheurs
2.1.2. Les raccrocheuses
2.1.2.1. La définition du raccrochage scolaire
2.1.2.2. La situation personnelle des jeunes fréquentant un CEA
2.1.2.3. Les caractéristiques scolaires des jeunes fréquentant un CEA
2.1.2.4. Les caractéristiques familiales des jeunes fréquentant un CEA
2.1.2.5. Les caractéristiques sociales des jeunes fréquentant un CEA
2.2. LES FACTEURS DE RISQUE ET DE PROTECTION FAMILIAUX LIÉS AU PARCOURS SCOLAIRE DES DÉCROCHEUSES ET DES RACCROCHEUSES
2.2.1. Les facteurs de risque associés au décrochage scolaire
2.2.2. Les facteurs de protection familiaux pouvant contrer le décrochage scolaire
2.3. LES LIMITES ACTUELLES DES RECHERCHES
CHAPITRE 3 : CADRE DE RÉFÉRENCE
3.1. LA THÉORIE GÉNÉRALE DES SYSTÈMES
3.2. L’APPROCHE BIOÉCOLOGIQUE EN TRAVAIL SOCIAL
3.3. L’APPROCHE ÉCOSYSTÉMIQUE EN TRAVAIL SOCIAL
CHAPITRE 4 : MÉTHODOLOGIE
4.1. LE TYPE DE RECHERCHE
4.2. LES OBJECTIFS DE RECHERCHE
4.3. LA POPULATION À L’ÉTUDE ET LE RECRUTEMENT DES PARTICIPANTES
4.4. LA MÉTHODE DE COLLECTE DES DONNÉES
4.5. LES THÈMES ET SOUS-THÈMES DU GUIDE D’ENTREVUE
4.6. L’ANALYSE DES DONNÉES
4.6.1. La préparation du matériel
4.6.2. La préanalyse
4.6.3. Le codage du matériel
4.6.4. L’analyse et l’interprétation des résultats
4.7. LES CONSIDÉRATIONS ÉTHIQUES
CHAPITRE 5 : RÉSULTATS
5.1. LES CARACTÉRISTIQUES SOCIODÉMOGRAPHIQUES DES PARTICIPANTES
5.2. LE CHEMINEMENT SCOLAIRE ET PROFESSIONNEL DES RÉPONDANTES
5.3. LE PARCOURS DE VIE ET SCOLAIRE SPÉCIFIQUE DE CHACUNE DES PARTICIPANTES
Alicia
Bianca
Camille
Daphné
Éliane
Florence
Gaëlle
Hélène
Ingrid
Jade
Kassandra
5.3.1. LES FAITS MARQUANTS CHEZ LES PARTICIPANTES
5.4. LE PARCOURS SCOLAIRE AU PRIMAIRE
5.4.1. Le déroulement général du passage à l’école primaire
5.4.2. L’image que les répondantes avaient d’elles-mêmes à l’école primaire
5.4.3. Les principales caractéristiques ayant eu une influence sur le parcours scolaire au primaire
5.4.3.1. Les caractéristiques personnelles
5.4.3.2. Les caractéristiques scolaires
5.4.3.3. Les caractéristiques familiales
5.4.3.4. Les caractéristiques sociales
5.4.3.5. Les caractéristiques environnementales
5.5. LE PARCOURS SCOLAIRE AU SECONDAIRE
5.5.1. La transition entre le primaire et le secondaire du secteur jeune
5.5.2. Le déroulement général du passage à l’école secondaire
5.5.3. L’image que les jeunes avaient d’elles-mêmes à l’école secondaire
5.5.4. Les principales caractéristiques ayant une influence sur le parcours scolaire au secondaire
5.5.4.1. Les caractéristiques personnelles
5.5.4.2. Les caractéristiques scolaires
5.5.4.3. Les caractéristiques familiales
5.5.4.4. Les caractéristiques sociales
5.5.4.5. Les caractéristiques environnementales
5.5.5. Les motifs justifiant l’abandon scolaire au secondaire du secteur jeune
5.5.6. Les réactions des proches lors de l’inscription en CEA
5.5.7. La transition entre le secondaire et le CEA
5.5.8. Le temps écoulé entre l’abandon des études secondaires et la fréquentation du CEA
5.6. LE PARCOURS SCOLAIRE DANS UN CEA
5.6.1. Les motivations des participantes à s’inscrire dans un CEA
5.6.2. Les attentes face au CEA
5.6.3. Facteurs ayant influencé le passage au sein d’un CEA
5.6.3.1. Les facteurs facilitant
5.6.3.2. Les obstacles
5.6.4. La perception de soi depuis la fréquentation du CEA
5.6.5. Les éléments les plus appréciés au CEA
5.6.6. Les éléments les moins appréciés au CEA
5.6.7. Les motivations, aspirations et conditions de vie actuelles
CHAPITRE 6 : DISCUSSION
6.1. LES FACTEURS QUI INFLUENCENT LE PARCOURS SCOLAIRE DES RACCROCHEUSES, DU PRIMAIRE JUSQU’AU CEA
6.1.1. Les facteurs personnels
6.1.2. Les facteurs scolaires
6.1.3. Les facteurs familiaux
6.1.4. Les facteurs sociaux et environnementaux
6.1.5. Le raccrochage scolaire
6.2. LES FORCES ET LES LIMITES DE LA RECHERCHE
6.3. LA CONTRIBUTION DE LA RECHERCHE
6.4. LES AVENUES ET LES PERSPECTIVES DE RECHERCHE
CONCLUSION

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