La fête des vendanges à Clarens

La fête des vendanges à Clarence

Prérequis 
• Les élèves ont lu la lettre et numéroté les paragraphes. (Les chiffres entre parenthèses y renvoient)
• Présenter rapidement Rousseau et son opposition au rationalisme des Lumières, son rôle dans l’intrusion de la sensibilité dans la littérature.
• Présenter le roman : l’intrigue et les personnages
Précepteur de Julie d’Etange, Saint-Preux s’est épris de son élève qui partage son amour. Mais comme il est roturier, le père refuse de lui donner la main de sa fille qu’il marie à un gentilhomme qui lui a sauvé la vie, le baron de Wolmar. Après un séjour à Paris et un tour du monde sur une escadre anglaise, Saint-Preux revient à Clarens où habitent Julie et sa famille. M. de Wolmar, bien qu’au courant de ce qui s’est passé entre Julie et Saint-Preux, a en effet invité ce dernier à venir parmi eux. Julie et lui surmontent leur tentation et la vie poursuit son cours. Arrivent l’automne et les vendanges dont la présente lettre rend compte.

 Peut-on parler de fête à propos de ce passage ?

On peut répondre positivement étant donné que l’on trouve ce terme au moins à deux reprises dans le texte et ce dans le même paragraphe (5) où le mot est répété à une proximité étonnante. En outre, remarquons que l’impression générale est celle d’une joie de vivre permanente. Pour s’en assurer, il suffit de relever des termes comme « ivresse ( = état d’euphorie, d’excitation ; transport), délicieux, plaisirs ( ces 3 mots figurent dans le 1er §), allégresse, gaiement, charme, excellents… » qui parcourent le texte et montrent la constance de l’état psychologique du narrateur comme de tous les personnages. Néanmoins, le texte ne correspond pas à ce que l’on entend traditionnellement par ce vocable. De fait, il ne s’agit pas d’une fête institutionnalisée par une autorité supérieure (l’Etat ou l’Eglise), elle ne figure pas dans le calendrier à une date fixe (mais dépend du temps qu’il fait en automne) et ne concerne pas une personne prise isolément que l’on (ou qui) voudrait fêter pour une raison forte en rapport avec un événement qui aurait marqué sa vie (anniversaire, mariage…). En outre, cette fête ne marque pas un temps d’arrêt par rapport à la vie quotidienne, un délassement total et un oubli de ses soucis quotidiens. Tout cela se perçoit très nettement quand on s’intéresse au passage de plus près. Effectivement, le champ lexical du travail et de la réalité est omniprésent dans ces lignes ; il suffit de relever les termes suivants (6) : « les cuves, le pressoir, le cellier, les futailles ». D’ailleurs le travail ne s’arrête pour ainsi dire jamais, au point même que Saint-Preux a du mal à veiller et correspondre le soir avec Milord Edouard (1). En outre, ce dernier raconte ce qui se passe pendant une certaine période et non pas seulement un bref moment d’une journée : ainsi cette fête dure pendant toute la durée des vendanges puisque, dit-il, « depuis huit jours que cet agréable travail nous occupe, on est à peine à la moitié de l’ouvrage. »(9) Elle s’étalera donc sur une quinzaine de jours. De plus, ce n’est pas une fête qui ne se déroule qu’à un moment de la journée, le soir par exemple. De fait, il s’agit du programme quotidien qui nous est présenté dans cette lettre, puisque les étapes chronologiques en sont clairement indiquées : de grand matin (7), A dîner (10 . il s’agit en fait de c’est notre déjeuner), Le soir (11). Elle dure donc toute la journée, pendant deux semaines environ. Enfin, cette fête ne demande pas d’apprêts particuliers : les moyens matériels mis en œuvre restent des plus simples ne serait-ce que lors des soupers dont il est dit que « le luxe et l’appareil des festins n’y sont pas » (12). Notons que ce n’est guère ce que l’on entend par fête dans la mesure où nous sortons à cette occasion nos habits les plus beaux, notre linge le plus fin et nos verres les plus cristallins. Accumulés, tous ces motifs présentent autant d’éléments qui garantissent l’originalité de cette fête.Il n’en reste pas moins vrai qu’à aucun moment de la journée ou de la semaine, le bonheur n’est absent. C’est donc un temps fort et un moment exceptionnel qu’on nous propose avec un dessein sous-jacent : pourquoi la vie ne pourrait-elle pas être une fête continuelle ? Il suffirait d’en reproduire les conditions et les caractéristiques indiquées.

Quelles sont les caractéristiques de cette fête ?

Une préparation et une organisation sans faille, développée au paragraphe 6. Les organisateurs sont sur la brèche avant et pendant la fête. Ainsi M. de Wolmar, le propriétaire et le maître, a tout prévu de longue date puisqu’il « a fait d’avance tous les préparatifs nécessaires », ce que confirme le champ lexical du matériel cité « les cuves, le pressoir, le cellier, les futailles ». Il en est de même de sa femme, Mme de Wolmar : elle a pris part aux préparatifs puisqu’elle « a fait une loge dans laquelle on va se chauffer quand on a froid, et dans laquelle on se réfugie en cas de pluie » (10). Vouloir donner le bonheur suppose que l’on ait les pieds sur terre ! En outre, elle dirige le travail dans la mesure où elle « s’est chargée de la récolte ». Elle est d’ailleurs la véritable maîtresse d’œuvre à qui son mari, une fois ces préparatifs achevés, a remis le soin de l’organisation, à savoir « le choix des ouvriers, l’ordre et la distribution du travail ».(6) En fait, c’est elle qui décide de tout, même de l’emploi du temps : elle fixe le moment où l’on va tirer le feu d’artifice (16). Dans ses activités, elle est secondée par son amie Claire (sa cousine et amie intime, veuve de M. d’Orbe et mère d’une fille) chargée en fait de l’intendance (festins, salaires) et par Saint-Preux lui même chargé de faire appliquer les directions (= les directives) de Julie. Consacrer tout un paragraphe à la répartition des rôles prouve que Rousseau n’est pas un doux rêveur. C’est la répartition des tâches qui assure le succès de la fête.Il importe en effet de pourvoir au bien-être de ses participants. A déjà été relevée la loge pour protéger des intempéries et garantir un minimum de confort. Le logement et la nourriture ne sont pas de reste. Effectivement « on nourrit et loge les ouvriers tout le temps de la vendange » (11). Si le logement n’est pas autrement décrit, probablement parce qu’il ne s’agit pas d’une période de farniente et que l’important est le temps passé dehors à travailler, la nourriture est plus détaillée. Par deux fois, Saint-Preux mentionne l’heure du repas : le dîner et le souper (10 et 12). Ce dernier se prend en commun dans une salle que M. de Wolmar a songé à éclairer tout comme il a fait « ajouter des capuchons de fer-blanc pour intercepter la fumée et réfléchir la lumière ». (12) Ce qui suppose une amélioration suite à une vendange précédente où le confort était moindre. Le travail aiguisant l’appétit, « on mange… leur soupe un peu grossière, mais bonne, saine, et chargée d’excellents légumes » (10). Les adjectifs valorisants ne manquent pas et traduisent le plaisir éprouvé à la consommation ; on peut même raisonnablement croire que cette soupe diffère quelque peu de l’ordinaire dans la mesure où elle est chargée de légumes. Une fête se caractérise en effet par un moment d’abondance où l’économie n’est pas de mise (même si ici on est en droit de penser qu’il s’agit aussi et surtout de donner des forces à ses ouvriers en vue de la tâche à accomplir). Quant à la boisson, elle est présente à plusieurs reprises. Et c’est avant tout de vin qu’il s’agit. En effet Saint-Preux confesse s’être remis à boire « assez souvent du vin pur » (12), les autres personnages ont le droit de boire « à discrétion » (11), mention qui laisse supposer qu’en cette période consacrée à Bacchus on ne regarde pas à la dépense et qu’on remplace l’eau que l’on boit habituellement par le vin. Bref, une fête est un temps d’exception où l’abondance et la qualité des mets sont de mise. Saint-Preux donne même à entendre que l’on peut parler de « festins ».
Les divertissements ne sont pas oubliés car ils font partie des plaisirs qu’on attend d’une fête. Pendant la journée, la bonne humeur est une constante puisque l’on rivalise pour trouver « les meilleures chansons… les meilleurs contes…les meilleurs traits » (10). Le pluriel, la répétition aux allures hyperboliques et la diversité des domaines concernés montrent qu’il n’y a pas de temps mort dans les plaisirs, et que ces journées de travail sont autant de journées de plaisir. Les plaisanteries n’y manquent pas, qu’il s’agisse des « traits » qu’on vient de relever ou des querelles qui sont toujours folâtres (l’adjectif annule la notion même de querelle) ou même des instants où « l’on s’agace mutuellement » par pure amitié.(10) Qui plus est, même la journée de travail s’achève par une assemblée où « l’on danse jusqu’au souper » (11). Celui-ci est suivi d’une veillée en commun où hommes et femmes (le paragraphe 14 dit en effet chacun ) chantent soit seuls soit en chœur de « vieilles romances » dont les paroles font leur effet sur l’assistance. Chaque soir se clôt par un temps fort qui est le feu d’artifice qui se déroule avec une certaine cérémonie et autour duquel « on saute, on rit… chacun boit » (16).

 A quoi sert cette fête ?

Nous l’avons déjà laissé entrevoir : cette fête n’est pas narrée rien que pour le plaisir de briller par une variation supplémentaire sur un thème souvent abordé en littérature. En fait, il s’agit pour Rousseau de recréer un monde selon ses vœux. Saint-Preux écrit en effet à son ami Milord Edouard dans cette même lettre : « On oublie son siècle et ses contemporains ; on se transporte au temps des patriarches » (4). C’est cette phrase qui nous permet de saisir la véritable portée de cette fête aux yeux de Rousseau. En effet, cette dernière permet de recréer une société idéale, loin du monde et du bruit de la vie urbaine, tant il est vrai que le bonheur ne saurait se trouver dans les villes. Les citadins eux-mêmes pourtant amateurs de plaisirs champêtres ne sont pas capables d’être pleinement heureux à la campagne dans le mesure où ils ne font qu’y transporter leurs mœurs citadines (2). La conclusion s’impose : pour être heureux, il faut opérer une rupture radicale avec le monde et revenir à ce qui était l’état originel de l’humanité, « la simplicité de la vie pastorale et champêtre » (3) des premiers temps. Voilà à quoi servent dès lors les références tant historiques que bibliques : le passé est un modèle dans la quête du bonheur. Ce n’est pas pour rien que l’on ne chante que des « vieilles romances » (14) aux veillées, que les soupers se déroulent dans « une salle à l’antique » (12). Ces renvois au passé sont autant de critiques d’une civilisation que Rousseau estime trop raffinée et corrompue. Il propose donc un autre modèle.

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