La formation Praxis comme condition probatoire

Des stratégies de prévention contre la problématique de l’abandon

Ce dernier thème a pour objectif d’explorer des pistes de solutions proposées par les différents professionnels interrogés afin de prévenir la problématique d’abandon de la formation Praxis comme condition de probation. Certaines de celles-ci existent déjà et d’autres peuvent être envisagées dans le futur. Tout d’abord, le premier intervenant, qui est un membre de la Commission de probation de Verviers, propose une meilleure effectivité des peines de prison. Il constate que les justiciables sont au courant que s’ils ne respectent par leur probation, ils risquent une peine subsidiaire d’emprisonnement, mais que cette dernière est souvent transformée en surveillance électronique à domicile. Les justiciables ne considèrent pas cette surveillance comme effrayante et effectivement « les gens finissent par s’en foutre ». L’avocat de la commission pense que si une peine d’emprisonnement avec la durée initialement prévue risque réellement de leur être infligée, cela pourrait en motiver plus d’un à respecter le dispositif probatoire jusqu’au bout. Ensuite, il estime également que la commission de probation et le juge du fond donnent trop de possibilités au justiciable pour se reprendre en main au niveau du respect de ses conditions. La commission a déjà pour principe de laisser au moins une chance, mais en réalité, cela peut aller au-delà de deux chances.

De plus, si la personne doit tout de même comparaître devant le juge correctionnel pour une proposition de révocation, le juge a parfois également tendance à accorder une ultime chance. Selon lui, tout ceci enlève pas mal de crédibilité au système répressif et n’avantage certainement pas le respect du dispositif probatoire dès le commencement. Ensuite, le membre de la Commission de probation de Liège propose une meilleure formation des juges du fond afin qu’ils disposent d’une meilleure connaissance des conditions d’entrée de Praxis. En effet, comme déjà exposé précédemment dans cette recherche, les juges du fond ont énormément tendance à imposer une condition Praxis lorsqu’ils sont face à des dossiers de violences conjugales. Toutefois, cette formation n’est pas faite pour tout le monde. La première condition qui fait souvent défaut est la reconnaissance des faits. Ensuite, il y a ceux qui ne parlent pas français ou qui ne peuvent pas parler devant un groupe. Le juge va alors envoyer ces types de profils chez Praxis, mais cette dernière sera dans l’obligation de les refuser pour le bien du groupe et du travail. Tout ceci entraîne une grande perte de temps et de nombreux abandons qui finalement auraient pu être évités si les juges étaient davantage tenus au courant. De même, de cette manière, des groupes avec une plus grande chance de succès pourraient être constitués dès le début.

Le membre de la Commission de probation de Huy soumet la même proposition, mais cette fois à l’égard des avocats. En effet, ces derniers plaident régulièrement des probations, car cela permet à leur client d’éviter la privation de liberté. Pour cette même raison, le justiciable aura toujours tendance à donner son consentement pour ce type de dispositif et les conditions que cela implique, « mettez-moi tout ce que vous voudrez, je suis d’accord ». Toutefois, une fois que l’assistant de justice explique concrètement en quoi cela consiste, l’auteur de violences conjugales déchante souvent rapidement lorsqu’il voit tout ce que cela implique. Il serait alors préférable de mieux informer les justiciables en amont sur ce que sont une probation et les conditions possibles avant qu’ils ne donnent leur accord au juge correctionnel. Les membres de commissions de probation tentent également tous les trois de prévenir les abandons en étant toujours très clairs sur les conséquences que peut avoir une révocation pour nonrespect des conditions. Il s’agit de jouer sur ce levier qui est parfois la seule motivation pour le justiciable de maintenir la formation. Ensuite, une assistante de justice de Liège explique qu’elle tente d’éviter les arrêts prématurés en préparant les futurs participants au préalable. Elle connaît les exigences de Praxis et elle travaille alors sur ces aspects avec l’auteur avant que le travail ne commence.

Elle identifie des comportements et des attitudes qui pourraient poser problèmes à l’ASBL et essaye de conscientiser la personne à propos de cela. Parfois c’est concluant et parfois c’est perdu d’avance. À côté de cela, elle organise également des entretiens tripartites lorsque des absences commencent à se présenter. Cet entretien entre justiciable, formateur et assistant de justice permet de discuter sur ce qui pose problème et d’éventuellement trouver des solutions. « Les difficultés et ressentis peuvent être relayés ». Enfin, elle propose une meilleure collaboration entre les maisons de justice et Praxis qui selon elle n’est pas suffisante. Des réunions plus régulières devraient prendre place afin de prévenir cette problématique. Un deuxième assistant de justice, lui, estime que les entretiens préparatoires où les formateurs expliquent le cadre, les conditions, les obligations, etc., ainsi que les entretiens tripartites et l’exposition des conséquences négatives en cas de non-respect de la formation Praxis, permettent d’assurer une persévérance. Au niveau de ceux qui ne respectent pas leurs rendez-vous à l’ASBL avec l’espoir d’obtenir un suivi individuel à la place, il n’hésite alors pas à expliquer que ce suivi sera payant, contrairement à Praxis et qu’il peut être bien plus long que 21 semaines. En bref, la communication et le dialogue sont selon lui primordiaux dans la prévention du phénomène d’abandon.

Un troisième assistant de justice propose, quant à lui, davantage d’entretiens individuels préparatoires afin de mieux trier les profils réceptifs ou non. Ensuite, une évaluation tripartite à michemin pourrait également être utile, que ce soit pour les personnes avec des difficultés ou pour ceux pour qui tout se passe à merveille. Cela permettrait de prévenir des difficultés à venir, de constater s’il n’y a pas de petites hésitations et ainsi d’éviter un abandon futur. Il se peut effectivement qu’une personne ait l’air de se porter bien de l’extérieur, et que certains problèmes qui pourraient causer un abandon se trament néanmoins. Cet entretien pourrait alors libérer la parole en dehors du groupe. Il s’agit d’un parcours de formation de cinq mois, ce qui est tout de même long, et faire le point à michemin ne fera de mal à personne, même si, certes, cela engendre un travail supplémentaire. De même, une formatrice conseille également davantage d’évaluations, que ce soit au début, en cours, à la fin ou quelques mois et années après la formation, afin de favoriser un travail profond et sur le long terme. Elle préconise également une phase d’entretiens préalables plus longue avec plus d’entretiens motivationnels, mais avec un délai plus court pour rentrer dans un groupe. Elle souhaiterait également qu’il existe d’autres structures qui prennent spécifiquement en charge les auteurs de violences conjugales afin de répartir au mieux les dossiers et de disposer de plus de temps par usager. Le dernier intervenant, qui est également un formateur Praxis, propose plusieurs pistes d’action. Tout d’abord, la mise en place d’une structure où à la fois une prise en charge collective et une prise en charge individuelle, davantage concentrées sur les besoins criminogènes, peuvent se compléter.

De meilleurs résultats pourraient effectivement en découler. Ensuite, il prône une articulation entre la prise en charge thérapeutique et les services sociaux. En effet, pour les personnes qui vivent dans la précarité, sans logement, sans travail et donc dans une situation très instable, il est très difficile pour elles de suivre une formation Praxis en plus de ce qu’elles doivent déjà gérer au quotidien. Si un assistant social pouvait au préalable les accompagner pour trouver des solutions à cette instabilité, notamment les inscrire dans une commune, puis au CPAS, etc, cela rendrait une éventuelle prise en charge possible par la suite puisque ces personnes auraient alors moins de problèmes à gérer simultanément. Parfois, c’est effectivement juste le timing qui est mauvais. À cette fin, les justiciables devraient être mieux informés et accompagnés par l’aide sociale. Par rapport à ce qui est déjà mis en place, il explique que Praxis se déplace dans les arrondissements et cela représente un grand plus. En effet, cela rend la formation plus accessible, même pour ceux qui habitent dans des coins très reculés. Cette proximité permet aussi de diminuer le coût des transports. « On s’adapte à la réalité des conditions de vie des justiciables ». Puis de nouveau, il met en avant la grande importance des entretiens individuels préalables lors desquels ils préparent l’installation du cadre et exposent les règles de fonctionnement, de ponctualité et de régularité. L’accueil à la première séance de groupe va également jouer un grand rôle pour la suite. Ils y accordent donc beaucoup de soin. Et pour finir, les entretiens individuels ou tripartites permettent de trouver des solutions lorsque des difficultés se présentent et par conséquent de maintenir la persévérance. Nous pouvons donc, pour conclure, constater que les intervenants professionnels ont pas mal d’idées pour appréhender cette problématique d’abandon de la formation Praxis malgré le fait qu’il existe déjà quelques stratégies à ce propos.

DISCUSSION

L’objectif de la présente recherche était d’analyser comment différents acteurs intervenant dans le contrôle et l’exécution de la formation Praxis comme condition probatoire, percevaient le phénomène d’abandon par les auteurs de violences conjugales et se représentaient tout ce que cela englobait. Ultérieurement, ils ont proposé des pistes d’amélioration pour prévenir cette problématique. Suite à la présentation des résultats de cette recherche, il semble désormais opportun de résumer et d’interpréter ceux-ci tout en les mettant en perspective avec la littérature scientifique présentée au début de ce travail de fin d’études.

La formation Praxis comme condition probatoire: Premièrement, nous avons soulevé que la formation Praxis est énormément sollicitée dans le cadre de violences conjugales. En effet, une intervenante l’appelait la « condition tarte à la crème » et les autres professionnels étaient également d’accord de dire que, dans une probation, les juges passaient rarement à côté de Praxis. Cela peut s’expliquer par le fait qu’en dehors de l’ASBL Praxis, aucune autre structure n’est spécialisée dans la prise en charge en cette matière spécifique. Il existe effectivement d’autres formations de responsabilisation telles que Arpège-Prélude ou Triangle par exemple, mais aucune n’est spécialisée dans la prise en charge d’auteurs de violences conjugales. Toutefois, des suivis individuels sont également possibles, l’inconvénient est qu’ils sont payants et que rien ne garantit la focalisation sur les actes de violence posés sur la compagne. Praxis est donc le service spécialisé de référence (Di Piazza & al, 2020). La popularité de la mesure dans la communauté Praxis peut également s’expliquer par sa prise en charge groupale. En effet, ce sont les prises en charge en groupe qui répondent le mieux à cette problématique de violences conjugales et qui ont une grande efficacité dans la modification des comportements et représentations chez ces hommes. Il s’agit d’un véritable apprentissage par interaction (Swartz & Waldo, 2003 ; Carney & Buttel, 2006). Les interrogés ont unanimement mis cette dynamique de groupe en avant en tant que plus-value de la formation Praxis pour les mêmes raisons que la littérature scientifique.

Nous pouvons alors nous demander si un processus de changement est réellement possible chez des personnes qui sont contraintes de participer à des séances et qui ont donc initialement une motivation très restreinte, voire inexistante. En effet, il a été prouvé en 2019 que la réceptivité du processus est bien plus grande chez les participants volontaires et que le remaniement psychique est davantage important en fin de course chez ces derniers (Di Piazza & al. 2020). Néanmoins, la contrainte judiciaire permet d’obliger les justiciables à suivre et à maintenir la formation avec l’objectif d’éviter des peines plus importantes. Certains vont porter la contrainte jusqu’au bout, d’autres vont voir une utilité se dégager de la formation et pourront se projeter dans un travail de changement à long terme (Puglia & al., 2019). En outre, en comparaison avec les participants volontaires, les judiciarisés persistent davantage dans le suivi de la formation Praxis. En effet, le taux d’abandon chez les usagers qui viennent sur base volontaire est aux alentours des 80% alors que ceux qui sont sous la contrainte de la justice connaissent d’un taux d’attrition aux alentours de 65% (Lambert-Carabin, 2020). Dans les résultats de cette recherche, nous avons remarqué que sept des huit intervenants considéraient que la contrainte probatoire avait un effet bénéfique dans la réalisation de la formation et que c’est celle-ci qui les pousserait à respecter cette obligation. Ceci est donc en concordance avec la littérature scientifique.

La complexité du phénomène d’abandon

Les résultats obtenus ont démontré que les perceptions quant au taux d’attrition étaient très divergentes. D’abord, les membres des commissions de probation estiment que la plus grande majorité des participants judiciarisés abandonnent. Néanmoins, ceci est à nuancer sachant que ces membres ne rencontrent que les justiciables qui ont des difficultés dans l’exécution de leur probation. Il est alors logique que ces magistrats et avocats aient plus de mal à imaginer le taux de réussite de la formation Praxis. Pour ce qui est des autres intervenants, les avis sont également partagés. Toutefois, comme énoncé dans l’introduction, 65% des justiciables avaient abandonné la formation de manière précipitée selon une étude menée en 2018 chez Praxis (Lambert-Carabin, 2020). De plus, la majorité des abandons ont lieu durant la phase préliminaire, c’est-à-dire avant l’entrée dans le groupe (Rondeau & al., 2001 ; Hodiaumont, 2012 ; Askeland, 2013). Ce dernier élément avait également sauté aux yeux de certains intervenants. La problématique avec ce taux d’attrition, c’est qu’il est dépendant de la définition donnée à l’abandon et qu’au jour d’aujourd’hui, il n’y a pas de consensus concernant cette définition.

Lors de nos entretiens, la majorité des personnes faisaient référence à l’exclusion faite chez Praxis après X absences. Mais pour ce qui est de l’abandon de la part de l’usager, rien n’en est ressorti. Seuls les formateurs parvenaient à donner différents sens à la notion de l’abandon volontaire, mais à nouveau, aucun n’était identifié comme plus pertinent que les autres. Ceci rejoint la littérature scientifique concernant le manque de consensus sur la définition de l’abandon. En effet, Barrett & al, explique dans une recherche de 2008 qu’il existe de nombreuses études sur les problèmes d’abandons de thérapies, mais qu’elles n’utilisent pas toutes la même définition. Tout comme nos intervenants, la plupart des études définissent le décrochage selon le nombre de séances manquées de manière consécutive, mais certaines recherches utilisent d’autres repères tels que le non-retour après une évaluation, le non-retour après une séance nonjustifiée, l’arrêt durant les trois premiers mois ou encore la résiliation sans l’accord du thérapeute. Ceci peut mener à des résultats très divergents dans les études. Ainsi, dans notre recherche, nous constatons également qu’il manque une définition claire au sujet de cette problématique. Celle qui est la plus utilisée concerne les quatre absences permises, à la cinquième c’est l’arrêt imposé par Praxis, mais de nouveau, en dehors des formateurs, aucun intervenant ne sait réellement ce qu’il en est du nombre d’absences permis.

Table des matières

ABSTRACT
INTRODUCTION
QUESTION DE RECHERCHE
MÉTHODOLOGIE
Participants
Outil de récolte
Procédure
Aspects éthiques
Stratégie d’analyse
RÉSULTATS
La formation Praxis comme condition probatoire
La complexité du phénomène d’abandon
Les facteurs prédicteurs de l’abandon
Des stratégies de prévention contre la problématique de l’abandon
DISCUSSION
La formation Praxis comme condition probatoire
La complexité du phénomène d’abandon
Les facteurs prédicteurs de l’abandon
Des stratégies de prévention contre la problématique de l’abandon
Hypothèses
Forces et limites de la recherche
Perspectives futures
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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