La GIRE, un concept non affiné mis en œuvre par les acteurs du développement

La GIRE, un concept non affiné mis en œuvre par les acteurs du développement

La GIRE a émergé, sur le plan international, au début des années 1990. La gestion intégrée se positionne très vite, au niveau politique et scientifique, comme un instrument de régulation de la demande et de l’espace (les activités) dans un contexte de crises climatiques au Sahel. Aussi, cette section analyse l’origine du concept de GIRE. 1.1. La GIRE au cœur des stratégies de régulation anthropique de la demande La gestion intégrée des ressources en eau a émergé dans un double courant idéologique : les travaux de Garrett Hardin sur la la tragédie des biens communs et le rapport Brundtland sur le développement durable. 1.1.1. Biens communs et développement durable G. HARDIN (1968) a énoncé la théorie de la tragédie des biens communs en usant de l’image du berger qui essaie de maximiser son gain en utilisant au paroxysme la ressource et en augmentant constamment son troupeau. Ainsi, les effets négatifs du surpâturage qui en découlent (érosion, mauvaises herbes, etc.) sont ressentis par tous les acteurs et la conséquence est la destruction des ressources dont dépendent les activités humaines(Hardin, 1968). Ces travaux seront repris par Elinor OSTROM qui, sans nier la réalité de la métaphore d’Hardin, concède que la tragédie n’est pas inévitable, car si les usagers prennent des décisions individuelles conduisant à la tragédie de la surexploitation et à la destruction du potentiel naturel dans un régime de libre accès, de nouvelles règles permettront, par une approche globale, de remédier à cette situation en dépit de la complexité de la gestion des ressources naturelles (OSTROM et al., 1999). Ainsi, le groupe social, y compris les pasteurs qui constituent la base de la métaphore d’Hardin, crée des institutions autonomes pour lutter contre les problèmes de dégradation des ressources (OSTROM et al., 2003). Ceci est à la base de la création de la notion de gestion équilibrée et d’une gestion institutionnelle avec la mise en place des institutions de régulation de l’espace et de l’exploitation de ses ressources naturelles. Le rapport BRUNDTLAND (1987) tire la sonnette d’alarme sur la dégradation de l’environnement et les risques d’épuisement des ressources naturelles. Dans cette optique, la protection de l’environnement et une meilleure gestion des ressources naturelles sont devenues les conditions permettant aux pays pauvres de se développer, d’assurer leur autosuffisance alimentaire à long terme tout en préservant les ressources pour les générations futures. La durabilité du développement peut s’observer à travers trois éléments (DUBOIS, MAHIEU, 2002). D’abord, la durabilité économique qui se traduit par un développement économique et budgétaire. Il s’agit de léguer aux générations futures une situation macro-économique équilibrée, stable (sur le plan de l’endettement, de la croissance, etc.). Ensuite, la durabilité environnementale qui met l’accent sur la protection des ressources naturelles et la lutte contre les effets néfastes du développement industriel « classique » (pollution, augmentation de l’effet de serre, etc.). Enfin, la durabilité sociale qui a un lien étroit avec la durabilité économique et environnementale et qui en est la finalité. Il est important ici de mettre l’accent sur la lutte contre la pauvreté, les inégalités et l’exclusion sociales, bref l’atténuation des inégalités. Dans le cadre du rapport Brundtland et de l’émergence de la notion de développement durable, la gestion des ressources en eau est envisagée dans le cadre de la gestion patrimoniale. Les ressources naturelles sont alors considérées comme un héritage qui doit satisfaire les besoins des générations actuelles, mais aussi celles futures. La figure 148 montre qu’à partir de la théorie de la tragédie des biens communs, il a commencé à apparaître de véritables approches pour une gestion plus équilibrée des ressources naturelles. C’est ainsi que, tout à tour et sur le plan international, se met en place une approche durable et intégrée à travers les différentes conférences des Nations Unies (depuis 1992), les forums mondiaux sur l’eau (depuis 1997) et les décennies consacrées à la vulgarisation et à la mise en place de connaissances et d’outils sur les problématiques liées à l’eau et à sa gestion globale (décennie de l’eau potable et de l’assainissement de 1980 à 1990, décennie du développement durable de 1990 à 2000, décennie internationale d’action « l’eau source de vie de 2005 à 2015). Ces actions politiques sont posées par les Nations Unies et ses organes annexes (UNESCO, Programme des Nations Unies pour l’Environnement, etc.). En Afrique, ces actions sont relayées à partir de 2001 par le NEPAD (Nouveau Partenariat Pour le Développement de l’Afrique). Ce plan de financement du développement de l’Afrique place les approches intégrées de gestion des ressources naturelles au cœur du développement, de la sécurité alimentaire et de l’atteinte des objectifs d’autosuffisance alimentaire. Au Sénégal, successivement, les crises climatiques (sécheresse ; cf. chap. 3, pp.61-65), les crises économiques (ajustements structurels ; cf. Chap. 8, pp.231-239), les actions politicoéconomiques pour le redressement du pays (la décentralisation, la Stratégie de Croissance Accélérée mettant l’accent sur des investissements massifs dans les secteurs primaire, secondaire et tertiaire et la relance de la compétitivité économique du Sénégal) modifient le paysage institutionnel du delta du Sénégal. Les institutions de gestion se succèdent : les coopératives agricoles depuis 1960, les GIE à partir de 1987, le transfert des responsabilités de gestion de l’eau des périmètres irrigués aux Unions hydrauliques à partir de 1990 et de la terre aux communautés rurales à partir de 1987, la création de l’OLAG en 2010. 

La GIRE : définition

Le contexte d’apparition de la GIRE est marqué par le développement des ouvrages hydrauliques dans les pays sahéliens, l’émergence d’une sensibilité environnementale initiée en dans les années 1970, les crises de sécheresse et la désertification (crises de l’eau au Sahel). En toile de fond est apparue la possibilité de pénurie et de rareté de l’eau dans des perspectives historiques proches ; ces crises pouvant opposer les États autour d’une ressource, mais aussi les usagers de l’eau. Le mot en lui-même est créé en 1992 lors des conférences internationales sur l’environnement (Dublin et Rio de Janeiro). Il apparaît dans l’Agenda 21 (Plan d’Action du 21e siècle), dans son chapitre 18 intitulé : « protection des ressources en eau douce et de leur qualité : application d’approches intégrées de la mise en valeur, de la gestion et de l’utilisation des ressources en eau ». Elle prend en compte la dimension environnementale dans la gestion de l’eau. Plusieurs essais de définition ont été proposés (COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE, 1998 ; CALDER, 1998 ; HOFWEGEN, JASPERS, 1999 ; CAP-NET, 2008). Cependant, la définition du GWP (2006) est souvent considérée comme la plus complète : « La GIRE est un processus qui promeut le développement et la gestion coordonnée de l’eau, du territoire et des ressources connexes afin de maximiser, de manière équitable, le bien-être économique et social résultant, sans compromettre la durabilité des écosystèmes vitaux ». Cette définition reconsidère l’eau dans sa dimension globale, systémique par rapport à son environnement économique et social et les autres ressources naturelles (la terre, la forêt, etc.), reprenant partiellement la définition de CALDER (1998) qui considère la GIRE comme une gestion coordonnée de la terre, de l’eau et des autres ressources de l’environnement, et aux conditions écosystémiques. Le paradigme du développement intégré de l’espace impose une démarche systémique pour la durabilité des territoires. Cette vision intégrée de l’espace et des acteurs qui le modifient doit prendre en compte l’interaction d’un espace à un autre, sur différentes échelles spatiales. Entre le contenant (réservoir), le contenu (eau disponible), les conditions et les contraintes naturelles (morphologie, occupation du sol, habitats, etc.), les conditions de bord (zones amont, aval, etc.) et les autres contraintes (économiques, écologiques, sociologiques, etc.), on retrouve toute la complexité de la gestion de l’eau qui dépasse le cadre sectoriel et se meut dans un cadre général où l’eau est à la fois bien économique, social, culturel, politique. La gestion intégrée est une gestion d’un ensemble de biens communs naturels (l’eau, le sol, etc.) à usages multiples, transfrontaliers, etc. dont la maîtrise est assurée par un ensemble d’investissement coûteux (barrages, etc.) qui peut être à la base de conflits entre usagers ou entre les États. Implicitement, elle sous-tend une gestion patrimoniale (dimension durable de la ressource) d’une ressource considérée comme un bien commun et public. L’idée d’intégrer revient à assimiler un ensemble éparpillé comme un ensemble cohérent. Dans le domaine de la gestion de l’eau, l’intégration est plus complexe. Elle peut se traduire par la négociation entre les acteurs, leur participation dans les processus de prise de décision, la coordination des actions et des politiques autour de l’eau, l’articulation des différents niveaux de territoires et d’usagers, des échelles. Dans le cadre de la GIRE, elle se traduit par : – une intégration intersectorielle entre les différents usagers de la ressource (agriculture, industrie, loisir, navigation, écosystème, etc.) reconnaissant à l’eau son caractère multifonctionnel et multisectoriel ;

Le développement des approches de gestion intégrée au Sénégal et le contexte du delta

La question de la GIRE apparaît à partir de 1992 au Sénégal dans le cadre de l’opérationnalisation du barrage de Diama sur le delta. Les thèses de COLY (1996) et KANE (1997) qualifiaient alors la période post-barrage de Diama (1987-1995) d’une « gestion intermédiaire ». Cette gestion était construite sur le souci de stocker de l’eau pour l’agriculture et l’eau potable des centres urbains avant la mise en œuvre des volets énergie et navigation du programme de l’OMVS (effective depuis 1998) (COLY, NDAO, 1996). Mais les problèmes observés du fait du remplissage du fleuve en période d’étiage (inondation, destruction et pertes de cultures, inondations dans les villages) ont fait émerger une nouvelle approche qui prenait en compte le système d’utilisation de l’eau. L’argument de la compétition (programmes hydrauliques) pose le souci d’optimiser la gestion de l’eau, ce qui passait par une meilleure conceptualisation de la GIRE et une approche méthodologique plus rationnelle. Pour la recherche, se sont posées les questions du concept et de l’approche GIRE et ses implications dans la vallée du fleuve Sénégal. La recherche s’est orientée vers la clarification de concepts tels que ressource, demande, norme, mais également vers un développement méthodologique pour la compréhension des processus (hydrologique, spatiaux, sociaux, etc.) sous l’action d’une gestion intégrée. Ce travail a permis de passer à une étape théorique à la pratique avec le développement et le renforcement organisationnels qui ont permis la conception et l’implémentation d’outils tels que les PAGIRE qui ont connu le plus de succès dans les années 2000. Sur le delta, la GIRE se caractérise par les travaux d’étude et de recherche sur les différents sous-systèmes (réserve d’eau douce de Dakar-Bango, la plaine inondable du Gorom-Lampsar, etc.) et sur les différents aspects de la GIRE (ressource, qualité, sédiments, planification) qui sont à la base de la recomposition du delta perçu comme un territoire influencé par plusieurs facteurs à savoir les activités économiques, la gestion de l’eau, l’aménagement de l’espace, l’exploitation des ressources foncières, les décisions politiques, la qualité de l’eau, etc. Les travaux de COLY (1996), GILIF (2002) et TROPIS (2004) ont montré que, dans le delta, l’approche GIRE est fragmentée en l’absence d’une structure institutionnelle de coordination. Les travaux du PTGI (Plan Triennal de Gestion Intégrée) montrent, dans les Trois marigots, l’absence de l’intégration et, bien au-delà, des instruments de gestion. Dans la réserve de Bango, c’est l’absence d’intégration des institutions de gestion (SAED, Direction de l’hydraulique), malgré le leadership de la Société nationale des eaux du Sénégal (KAMARA, 2009) qui, depuis 2003, à des prérogatives sur la gestion des infrastructures et des ouvrages de distribution d’eau potable pour les zones urbaines. Ces questions institutionnelles se combinent aux dynamiques intrinsèques du delta du Sénégal. Dans le cadre de l’hydraulique moderne, la ressource en eau est un révélateur des structures foncières tant traditionnelles que dans le cadre des politiques de nationalisation des terres par les États (le Sénégal, mais aussi la Mauritanie). Il est apparu que la gestion de l’eau ne peut se faire sans la gestion des terres et vice versa. En effet, l’eau est au centre de la mise en valeur de la terre ; l’appropriation foncière dépendant de l’aptitude des sols (Fig. 149). La mise en valeur du delta se situe entre la dégradation des terres agricoles sous l’effet de la désertification et de la salinisation des terres et de la disponibilité en eau douce.

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