La guerre de l’eau de Soweto 

La guerre de l’eau de Soweto 

Dès ses débuts, le projet OGA a été l’objet de mobilisations collectives diverses caractérisées dans un premier temps par des activités de désobéissance civile, de vandalisme et plus généralement « d’illégalismes » (Mouchard, 2003). Le mécontentement exprimé ici s’inscrit, on l’a vu, dans un cycle de protestations plus large à l’échelle du pays et Soweto. Dans ce cadre, certains mouvements sociaux comme le Soweto Electricity Crisis Committee (SECC) ou l’Anti Privatisation Forum (APF), à l’initiative de nombreuses mobilisations collectives contre les conditions d’accès à l’électricité au début des années 2000, sont également des acteurs centraux de l’opposition contre le projet OGA. De la même manière, la campagne menée contre le projet d’eau s’inspire des luttes précédentes contre l’installation de compteurs à prépaiement dans le secteur de l’électricité. Plutôt que de considérer les mobilisations collectives contre le projet OGA comme un élément isolé, il s’agit de montrer que les dynamiques protestataires s’inscrivent dans un paysage plus large de mécontentement contre la qualité des services. Penser l’action collective dans ce cas spécifique doit donc permettre une réflexion plus générale sur les mobilisations contemporaines dont l’Afrique du Sud est le théâtre. Dans ce chapitre, nous questionnerons l’émergence de l’action collective. Certains mouvements sociaux, notamment APF et SECC, ont été l’objet d’un intérêt sans cesse renouvelé dans les sphères universitaires ces dernières années. Il ne s’agit donc pas de revenir en détail sur ces collectifs militants mais d’en donner un aperçu afin de saisir leur agencement dans le cadre de l’émergence des contestations contre le projet OGA et de comprendre comment les revendications de certains résidents ont été formalisées et sont devenues qualifiables « d’action collective ». L’analyse s’appuie sur nos enquêtes de terrain, d’une part, la bibliographie, d’autre part. Par ailleurs, au-delà des revendications directement liées au projet OGA, nous étudierons la vision des services d’eau développée par ces mouvements sociaux. Nous montrerons que celle-ci, avant tout nourrie d’arguments idéologiques et d’une opposition farouche à l’ANC, est pourtant moins homogène qu’il y paraît si l’on s’intéresse à l’ensemble du corps militant.

L’émergence de la contestation collective

Retracer l’histoire des mobilisations contre le projet OGA questionne la définition de l’action collective. En effet, que signifie cette notion apparemment simple? Elle peut se définir comme « l’action concertée en faveur d’une cause » (Neveu, 2005, p. 9), autrement dit, elle correspond à une action liée à une revendication pour laquelle des individus s’organisent et se coordonnent. La notion renvoie donc à deux éléments essentiels : un « agir-ensemble intentionnel » caractérisé par le « projet explicite des protagonistes de se mobiliser de concert » qui se développerait dans « une logique de revendication, de défense d’un intérêt matériel ou d’une « cause » » (Neveu, 2005, p. 9). Il s’agit dans cette section de voir comment l’action collective a émergé contre le projet OGA et d’étudier les acteurs, ou les « formes organisationnelles » (Céfaï, 2007, p. 10) (ici, les organisations suivantes : PCRF, SECC, APF, CAWP), à l’origine des contestations ainsi que leurs revendications. 1.1. Formation du PCRF à Phiri ou les prémices de l’action collective Le projet OGA, au départ initié dans le quartier de Phiri, Soweto, a été rapidement étendu à d’autres quartiers. Pourtant, la mobilisation collective contre le projet a été initiée à Phiri et est restée la plus forte dans ce périmètre. Les prémices de l’action collective sont à chercher dans des initiatives isolées de certains ménages. En effet, les mobilisations initiales des membres de la communauté, notamment dans le quartier connu sous l’appellation « Old Phiri », se concentraient à l’échelle des ménages et n’avaient pas de dimension collective (Matlala, 2009). Il s’agissait pour les ménages de contester individuellement l’installation des compteurs à prépaiement et de dénoncer le manque de consultation et d’information sur le projet au travers, par exemple, de rencontres ponctuelles avec le councillor. En se référant à la manière dont Singh (2001)57 définit l’action collective, à ce stade, les mobilisations contre le projet OGA ne peuvent pas être caractérisées d’action collective mais de « crowd action » du  fait de leur manque d’institutionnalisation, d’organisation, de structure et de l’éruption soudaine des mobilisations autour d’un évènement conflictuel. Les initiatives individuelles basculent dans « l’agir-ensemble intentionnel » en août 2003, lorsque les résidents constituent en un groupe organisé: le Phiri Concerned Residents Forum (PCRF). L’une des membres actifs explique les conditions de formation de ce collectif : « Les tranchées de canalisation ont commencé à être creusées. Ils ont modifié les compteurs électriques et l’électricité a été coupée pendant deux jours. Nous sommes allés les voir et ils ont dit qu’ils ne faisaient que leur travail – que nous devions adresser nos plaintes au conseiller municipal. Donc nous sommes allés à la mairie [pour nous plaindre]. Le conseiller nous a dit que les employés étaient en train de changer l’infrastructure pour installer des compteurs d’eau à prépaiement. Quand nous sommes sortis du bureau de l’administration, nous avons dit aux gens d’arrêter parce que nous n’avions pas été consultés. Ensuite, [en protestation], nous avons rebouché les tranchées.

 

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *