La Légion étrangère en campagne sur le digital

La Légion étrangère en campagne sur le digital

L’investissement du digital par la Légion, une quête de modernité et de visibilité qui s’appuie sur des formats nouveaux Le changement des habitudes de consommation des Français vis-à-vis des médias oblige les institutions publiques à investir les réseaux sociaux et le numérique. Toutefois, les stratégies et les possibilités diffèrent selon ces mêmes institutions. Il s’agira ici d’analyser les choix de la Légion étrangère, originaux par certains aspects et d’étudier les apports et les effets de cette stratégie pour une institution habituée à rayonner par des moyens traditionnels.  

La Légion sur le numérique, une liberté de ton plus importante que beaucoup d’institutions publiques

 Nous nous intéresserons dans cette partie au contexte global de l’ensemble des institutions publiques. Les raisons qui les poussent à concevoir le digital comme une étape obligatoire dans leur stratégie et les freins qu’elles peuvent avoir par rapport à cet investissement de dispositifs nouveaux qui ne sont pas conçus pour elles. L’étude des différences fondamentales entre la Légion et ces autres institutions nous permettra par le négatif de mieux comprendre la liberté de ton de cette institution.

Le numérique, des espaces impossibles à délaisser pour exister 

Une évolution du contexte médiatique qui accentue la compétition pour les institutions publiques La digitalisation des institutions publiques est un phénomène déjà largement étudié. Nous nous appuierons tout d’abord sur le mémoire de Sébastien Valère sur la communication du Service d’information du gouvernement23 (SIG), une autre entité publique. S’appuyant sur les travaux de plusieurs chercheurs, il pose plusieurs points : · La généralisation des ordinateurs privés puis des smartphones (Cardon24) ont fait d’Internet et des réseaux sociaux le « premier canal d’information ». · La production de contenus est aujourd’hui très supérieure au temps d’attention disponible (Citton25). Dans le système de la « Timeline », l’ensemble des « contenus sont en concurrence, peu importe leur caractère ». · Les réseaux sociaux obligent à « un format identique peu importe l’émetteur ». · Les réseaux sociaux hébergent une culture qui « a développé ses propres codes de communication » et un fonctionnement où la visibilité qu’offre les algorithmes est conditionnée au « nombre d’interactions des publications ainsi que le nombre d’abonnés ».Ainsi, comme pour le SIG, l’investissement du digital est obligatoire pour la Légion étrangère pour ne pas passer à côté des 91% de Français connectés à Internet et des 76% utilisateurs des réseaux sociaux qui passent en moyenne 5h37 sur Internet et 1h41 sur les médias sociaux26 . D’autant que la Légion, même si son recrutement s’étale jusqu’à 39 ans, cible principalement un public jeune. Ce public de « digital natives » pour qui « l’expression « nouvelles technologies » n’a pas de sens […] puisqu’ils se sont appropriés en même temps tous les objets médiatiques ». Ces générations maintiennent une consommation des médias antérieurs mais « il n’en reste pas moins que la concurrence en termes de budget temps est rude et tourne en défaveur de ces médias anciens28 ». C’est accentué par le fait que « le numérique a opéré une disjonction entre contenus et supports qui favorise le numérique ». En effet, presque tous les programmes télévisés et radiophoniques sont accessibles sur le numérique, depuis un ordinateur ou un smartphone. Pour toucher ces publics, il est donc nécessaire de se tourner vers le digital. Cet investissement signifie une mise en concurrence face à l’ensemble des acteurs du Web qu’ils soient individuels ou collectifs, privés et publics. Concurrents qui ont une très grande variété de moyens et d’acculturation aux codes du numérique. 

Une variété de dispositifs numériques aux caractéristiques propres 

Dominique Cardon explique que cette « compétition pour la visibilité », arbitrée par les algorithmes est différente selon les dispositifs numériques. Le classement de Google pour les sites Internet est issu d’une « conception méritocratique » en raison des variables algorithmiques qui incluent « l’ensemble des liens hypertextes que lui adressent les autres documents du Web30 », sites qui participe eux-mêmes à ce système. Par essence, les sites institutionnels publics ont tendance à être des sites de références, souvent cités et donc mis en avant dans le PageRank des moteurs de recherche. Pour tous les contenus liés à elle, la Légion comme les autres institutions a donc une primauté et va facilement apparaître dans les premiers résultats. 30,55% des clics se font sur le premier résultat, 12,7% sur le second et 7,58% sur le troisième soit approximativement la moitié des clics. La visibilité sur les moteurs de recherche, particulièrement désirée par les entreprises à travers des stratégies SEO32 n’est donc pas une problématique réelle pour une institution publique. En revanche, le fonctionnement des réseaux sociaux inverse cette dynamique et c’est à l’institution de se rendre visible. Dominique Cardon33 indique qu’une « autre conception de la réputation se répand aujourd’hui sur la toile », mesurée par « l’effet des stratégies de promotion qu’un site ou une personne a déployées pour susciter l’attention de son environnement numérique, attention calculée par le nombre de like ou de retweets ». On passe donc d’un classement basé principalement sur une dimension « documentaire » à un système où la visibilité est conditionnée par l’adhésion et la réaction des personnes au contenu proposé. Cela entraîne des conséquences sur les stratégies de publications. L’article est par exemple un format privilégié sur un site car il pourra être cité et servir de référence. Au contraire, sa longueur et le temps d’attention demandé sont des obstacles sur les réseaux sociaux. Tandis qu’un visuel (photo, mème, infographie etc.) aura bien plus de succès à obtenir que le lecteur appuie sur le bouton « j’aime ». Certains contenus comme les jeux concours, les sondages ou les votes sont également spécifiquement conçus pour générer de l’interaction. Chacun des médias et des réseaux sociaux possède un dispositif propre, créé par des développeurs par le biais du langage informatique. Ces dispositifs permettent à leur tour d’écrire, ce qui en font des « architextes34 », selon le concept développé par Emmanuël Souchier et Yves Jeanneret. Les publications sur le numérique, qui construisent un récit, sont donc le fruit d’autres récits qui conditionnent leur forme et ne sont donc pas neutres. De plus, dans ce processus de « lettrure », c’est-à-dire de lecture et d’écriture simultanée, « un architexte comprend et se constitue nécessairement à partir des représentations que ses concepteurs se font du processus de communication, que ces représentations soient d’ordre imaginaire, idéologique ou théorique35 ». Les choix de privilégier telle ou telle plateforme ou format d’écriture numérique sont donc de fait non-neutres. Enfin, le nombre d’utilisateurs de ces plateformes et donc leur capacité d’audience n’est pas la même. De plus, ces audiences ne se recoupent pas forcément. Si certaines fonctionnalités comme les « stories36 » ont tendance à être copiées et se généraliser à l’ensemble, chaque réseau dominant possède ses propres caractéristiques, son ton, ses modes de publication et ses algorithmes. Nous nous intéresserons ici uniquement à ceux sur lesquels la Légion étrangère possède au moins un compte à savoir YouTube, Facebook, Instagram, Twitter et LinkedIn. Respectivement, 79,6%, 73,9%, 49,3%, 32,2% et 23,9% des internautes Français entre 16 et 64 ans ont utilisé ces plateformes au cours du mois 

Une stratégie digitale globale créée pour répondre à ces évolutions, qui comporte différents dispositifs 

La Légion étrangère définit elle-même sa politique digitale comme étant « résolument agressive » et ayant pour maîtres-mots « reconquête, instantanéité, dématérialisation »38. Le plus intéressant dans notre première partie est le premier. S’il existe un jeu de mots entre lui et l’activité de l’institution, il n’en demeure pas moins qu’il dresse le constat d’un déficit d’attention en 2017 et de la nécessité d’y remédier. La Légion pose également la question de la manière. Comme nous l’avons vu, le choix de ces « achitextes » n’est pas anodin. Ces choix ont « le pouvoir d’instituer les légitimités en construisant les postures d’auteur et de lecteur et en établissant les déterminants de l’autorité. » Autorité qui « s’établit dans la relation asymétrique entre les acteurs au sein des dispositifs  ». De fait, cela conteste ou minore l’idée d’un numérique totalement horizontal où les institutions publiques auraient totalement perdu leur promontoire. Ce rapport à l’horizontalité est aussi variable selon les dispositifs qu’investit la Légion, qui sont par ailleurs perçus par elle comme complémentaires. Elle voit son site internet comme une « plateforme d’information qui propose articles, reportages, photos, vidéos, interviews ou portraits »40. Facebook comme un « fil d’actualité au plus près des régiments », Twitter comme le relais de « l’information institutionnelle » et pour « l’interaction avec le monde institutionnel des médias, de l’histoire, du patrimoine ou des institutions politiques »41 . Enfin, LinkedIn peut obéir à une logique institutionnelle similaire à celle de Twitter mais sans l’anonymat, ce qui peut écarter un certain nombre de menaces. Et en tant que réseau 

Table des matières

Remerciements
Introduction
A. Genèse du mémoire
B. Intérêt de l’étude et enjeux
C. Délimitation de l’objet d’étude : communication institutionnelle et recrutement
D. Problématique et hypothèses
E. Délimitation du corpus
F. Méthodologie de recherche
G. Plan du mémoire
I. L’investissement du digital par la Légion, une quête de modernité et de visibilité qui s’appuie sur des formats nouveaux
1. La Légion sur le numérique, une liberté de ton plus importante que beaucoup d’institutions publiques
A. Le numérique, des espaces impossibles à délaisser pour exister
B. « Ratio », « dunking » et autres « mass-dislike », les dangers à investir le digital
C. Le rapport au politique comme condition des possibilités de ligne éditoriale sur ces nouveaux espaces numériques
Conclusion de la partie
2. Le Major Gérald, une stratégie originale adaptée au digital qui utilise les codes des « influenceurs »
A. Le Major Gérald, identifier et incarner la marque « Légion étrangère »
B. Influenceurs et communication publique, une association issue du monde digital
C. Mèmes, « neurchi » et « Chuck Norris facts » : une appropriation des codes du Web par la Légion
Conclusion de la partie
3. Les possibilités permises par le dispositif numérique : le cas de la Légion
A. Modernisation de l’image, création de réseaux sociaux et mise à jour du site : le passage obligé d’une stratégie digitale réussie
B. Le digital comme outil d’abolition des frontières
C. Communautés virtuelles et community management, construire un réseau de fidèles et interagir avec eux
Conclusion de la partie
Réponse à l’hypothèse
II. Le « Mythe Légion », le cœur de l’image de l’institution à cultiver et préserver
1. Valeurs, histoire, tradition et patrimoine, un invariable qui conditionne l’ensemble de la communication de la Légion
A. Quelles sont les valeurs de la Légion ?
B. L’inscription de la Légion dans une histoire, un patrimoine et une identité : un axe de communication majeur
C. L’événementiel de la Légion ou la manifestation à l’extrême de ses valeurs et de ses traditions
Conclusion de la partie
2. Le digital, de nouveaux moyens de diffuser un même discours
A. La Légion sur les réseaux sociaux, l’omniprésence de ses valeurs
B. Le Major Gérald, un « influenceur » avant tout légionnaire
C. Le numérique au service du patrimoine, l’audience comme facteur secondaire
Conclusion de la partie
3. La communication de la Légion, modèle à suivre ou à éviter pour les institutions publiques ?
A. L’organisation de la communication de la Légion, un modèle particulier éloigné des logiques civiles qui conditionne sa mise en œuvre
B. La stratégie digitale de la Légion, un modèle exportable ?
C. La communication de la Légion, une organisation singulière mais désenclavée qui se nourrit des innovations communicationnelles civiles et militaires
Conclusion de la partie
Réponse à l’hypothèse
Conclusion du mémoire
Bibliographie
Ouvrages
Mémoires
Articles Web
Revues
Corpus étudié
Légion étrangère
Corpus externe
Textes de loi
Rapports et études
Annexes

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