La lèpre à l’époque biblique

 La lèpre à l’époque biblique

La lèpre dont parle la Bible correspond-elle vraiment à l’affection que nous désignons par ce mot ? En d’autres termes, les lésions élémentaires décrites dans Lévitique 13 peuventelles correspondre à celles de la maladie de Hansen, telles qu’elles ont été présentées au chapitre précédent ? Maintenant que les connaissances sur la lèpre sont devenues plus précises, peut-on tenter de répondre à cette question plus de 3500 ans après l’écriture des textes ? Les obstacles sont nombreux devant une telle étude. Les difficultés linguistiques, d’autant plus importantes qu’il s’agit de textes anciens et que la Bible n’est pas un traité médical, les imprécisions des descriptions cliniques liées à l’ignorance médicale de leurs auteurs font que nous n’essaierons pas de résoudre ce problème sur lequel d’autres se sont penchés avec beaucoup de talent et de rigueur scientifique  . Par contre, jusqu’à une époque récente, il était admis que l’Egypte avait été un foyer de lèpre depuis la plus haute Antiquité et, qu’une des raisons de l’exode des Hébreux hors d’Egypte, avait été leur expulsion par le Pharaon pour empêcher la souillure et la contamination de son peuple par la lèpre  . Le problème de la lèpre et des Hébreux a occupé une place importante dans les écrits des historiens de l’Antiquité, certaines de leurs thèses se sont transmises pendant des siècles et étaient encore admises, comme nous le verrons, il y a seulement quelques années.Nous allons donc essayer de comprendre, à partir de données linguistiques, historiques et archéologiques, pourquoi on a associé lèpre et Hébreux, puis nous poserons le problème de la présence même des Hébreux en Egypte. 1 – Données linguistiques Le premier problème posé par la « lèpre » biblique est celui de la traduction du mot ṣara‛at (תַ עָ רָ צ .(En effet, ce mot apparaît pour la première fois dans Lévitique 13, 2 et a été interprété de diverses façons. Nous essaierons d’en trouver l’étymologie dans le chapitre suivant et nous nous contenterons, ici, d’en passer en revue les différentes traductions. Historiquement, la première traduction de la Bible hébraïque est celle de la Septante20 où l’on peut lire la traduction grecque de Lévitique 13, 2 : Ἀνθρώπῳ ἐάν τινι γένηται ἐν δέρματι χρωτὸς αὐτοῦ οὐλὴ σημασίας τηλαυγὴς καὶ γένηται ἐν δέρματι χρωτὸς αὐτοῦ ἁφὴ λέπρας, καὶ ἀχθήσεται πρὸς Ααρων τὸν ἱερέα ἢ ἕνα τῶν υἱῶν αὐτοῦ τῶν ἱερέων  . On peut constater que les rédacteurs de la Septante ont traduit ṣara‛at par le mot grec lépra. Or, la Septante a servi de base à tous les traducteurs non juifs de la Bible. Ainsi, la Vulgate  a utilisé le calque latin du mot grec : lepra. Les différents traducteurs, utilisant la Septante ou la Vulgate, ne se doutaient probablement pas de la confusion et des conséquences que l’emploi de ce terme allait entraîner. De nos jours encore, le mot lèpre est employé dans pratiquement toutes les traductions de la Bible : celle de Dhorme pour la Bible catholique ; Segond emploie l’expression « plaie de lèpre » pour la Bible protestante ; la traduction œcuménique de la Bible est plus prudente et utilise « maladie de peau du genre lèpre » ; enfin la Bible de Jérusalem parle de « lèpre de la peau ». Même les traducteurs juifs continuent à employer l’expression « affection lépreuse » comme on peut le lire encore dans les traductions récentes de la Bible du Grand Rabbinat de France. La question qui se pose alors, est celle de la signification du mot grec lépra par lequel les Sages de la Septante ont traduit ṣara‛at et pourquoi ils l’ont utilisé, alors qu’ils en avaient un autre à leur disposition. En effet, comme nous allons le voir, la maladie de Hansen était déjà présente dans le bassin méditerranéen (IIIème siècle avant notre ère) et était appelée éléphantiasis par les grecs. Les traducteurs de la Septante, excellents hellénisants ne pouvaient pas l’ignorer. Le mot lépra est un terme très courant dans la littérature médicale de l’Antiquité grecque et on le trouve déjà chez Hippocrate23 environ deux siècles auparavant. Dans l’Encyclopédie des Sciences Médicales24, sous la rubrique « lèpre », on peut lire : « Parmi les dénominations dont l’emploi vague et indéterminé a jeté une confusion pour ainsi dire inextricable dans l’histoire des maladies de la peau il faut mettre en première ligne le mot lèpre. Employé d’abord par les médecins grecs pour désigner d’une manière précise un genre d’éruption bien caractérisé, le mot lèpre a été bientôt détourné de son acception première et appliqué à des maladies bien différentes et aux affections les plus diverses. Hippocrate et les médecins grecs se sont servis du mot lèpre pour désigner d’une façon générique, avec le terme psora, les affections squameuses de la peau. » D’ailleurs Hippocrate considère la lépra comme une affection bénigne, par exemple : »Toutes les maladies surviennent dans toutes les saisons ; toutefois certaines maladies naissent ou s’exaspèrent plutôt dans certaines saisons. En effet, au printemps : les manies, les mélancolies, les épilepsies, les flux de sang, les esquinancies, les coryzas, les enrouements, les toux, les lèpres [léprai], les lichens, les dartres farineuses, les exanthèmes ulcéreux en grand nombre, les abcès et les arthrites. » Un autre exemple : « Ceux qui ont des hémorroïdes ne sont pris ni de pleurésie, ni de péripneumonie, ni d’ulcère phagédénique, ni de boutons, ni d’ecthyma, ni peut-être de lèpre [léprêsin], ni peut-être d’autres affections. » C’est Arétée de Cappadoce , « qui a donné la première bonne description de l’Eléphantiasis ou Léontiasis, c’est-à-dire la lèpre qui avait fait son apparition en Europe depuis peu de temps. » On peut lire dans son ouvrage : « Il parait sur la peau des boutons ou tubercules épais, pleins d’aspérités, assez près les uns des autres, sans cependant se toucher ; l’espace intermédiaire est rempli de scissures comme sur la peau de l’éléphant ; les veines deviennent saillantes, non par l’abondance du sang, mais à cause de l’épaisseur de la peau.[…] la face se couvre de gros boutons durs, terminés en pointe, blancs à leur sommet et un peu jaunâtres à leur base. »

– Données historiques 

L’histoire des Juifs lépreux relève, comme nous allons le voir, de la légende et de la judéophobie grecque40. Cette légende s’est perpétuée jusqu’à un passé récent où elle a continué d’être alimentée par des auteurs modernes : « La question est de savoir si les Israélites prirent la lèpre des Egyptiens et si par conséquent la lèpre existait déjà en Egypte avant l’arrivée du peuple hébreux, ou si elle se développa chez ce peuple avant ou pendant son esclavage. » La « lèpre » biblique a toujours intéressé les médecins qui ont considéré pendant longtemps qu’il s’agissait de la maladie de Hansen. Certains ont même insisté sur le fait que la lèpre frappait plus particulièrement les Juifs. Ainsi, à la fin du XIXème siècle, on pouvait lire l’affirmation suivante42 : « La lèpre dont les Israélites étaient souvent atteints en Égypte avait donc été suivant nos trois historiens (Manéthon, Chéremon et Lysimaque) la cause de leur expulsion de ce pays. » Au début du XXème siècle, un médecin parle de « l’hérédité ethnique de la lèpre chez les Juifs du Moyen-Orient. » Il ajoute un peu plus loin que les seuls lépreux de Constantinople sont juifs et il explique : « Voici d’où nos juifs tiennent leur lèpre. Il y a quatre cents ans, les juifs d’Espagne, persécutés par l’inquisition de Torquemada, sous le règne de Ferdinand le Catholique, se sont réfugiés en Turquie. Ces juifs spaniotes sont des descendants des vrais hébreux de l’Exode.[…] Or, nos juifs spaniotes, ayant vécu isolés dans des ghettos, en Ibérie, avaient la lèpre de leurs ancêtres de l’Exode, et la conservent toujours. Arrivés en Orient, ces juifs ont continué à se marier entre eux et conservèrent la pureté de leur race et leur héritage ancestral, la lèpre du temps de Moïse. » Et l’auteur ajoute que la Bible elle-même confirme que la lèpre est héréditaire45 . En 1928, au Congrès international de médecine tropicale qui s’est tenu au Caire, trois communications ont été faites, dont nous allons donner quelques extraits. Le docteur Gerald Garry46 s’exprime ainsi : « Athotis, fils de Menès, premier roi historique, est réputé pour avoir écrit un livre médical contenant plusieurs prescriptions pour la guérison des maladies, surtout la lèpre ». Il ajoute un peu plus loin : « Il y a un passage dans le manuscrit d’Ebers47, d’après lequel une partie de ce manuscrit dû au cinquième roi des Tables d’Abydos48 expose : ceci est le commencement d’une collection de prescriptions destinées à guérir la lèpre. » Un autre intervenant, le docteur El Dalgamoni, est moins affirmatif : « Les documents historiques égyptiens ne parlent nullement de l’existence de la lèpre ni des moyens employés pour la combattre. Quelques historiens, pourtant, racontent que les Hébreux furent chassés de l’Egypte parce que la lèpre existait parmi eux. » Mais le docteur Naguib Scandar51 va beaucoup plus loin : « La lèpre, cette maladie affreuse, existait dans ce pays [l’Egypte] du temps des pharaons. Brugsch Pacha [traducteur du papyrus du même nom] est d’avis que la lèpre existait en Egypte au temps d’Usapti V, roi d’Egypte [2400 avant notre ère]. Dans le papyrus d’Ebers se trouve une description qui s’applique à la lèpre. En ce qui concerne la lutte contre la lèpre, dans les temps anciens, il faut citer Manéthon52. D’après lui, la lèpre a été la cause de l’expulsion des Hébreux du centre de l’Egypte par les Pharaons. L’isolement a été la mesure entreprise par l’autorité pharaonique dans la lutte contre cette maladie. »

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