La malicieuse se cache sous les nénuphars

 » De tout ce que j’ai dit, je ne sais quoi retenir. Pourtant j’y étais. Plain-pied on m’attend, plein cœur je m’élance. S’ouvre alors l’odyssée. Maligne et tombeuse. Elle s’aperçoit au détour de ma présence. Son clin d’œil une flèche pique là où la plaie est fraîche d’hier. Je piétine mon désir qui monte et descend. La lenteur s’étend et tel un tapis se prélasse au soleil. Je m’y couche un instant, blottie sous son aisselle. Le bleu passe au doré. Puis, autour, la fresque écarlate dodue de fleurs. Le parfum remplit ma bouche de bonnes volontés. Il est riche et occupe mes pensées pendant que je reste tout à coup immobile, la tête suspendue par les yeux. Le sourire, tiré en amande, chauffe l’estomac. Combien de temps cela est bon? Lorsque j’ai touché la rive, c’était un radeau. La malicieuse se cache sous les nénuphars, épiant sous la jupe de mon élan. J’étire la main cherchant et je hais. C’est l’eau qui me mouille. C’est le coude qui se heurte. Mes cheveux l’emprisonnent dans son chatoiement. Désormais, elle se traîne à ma suite. Je gravis la croix tout en haut. Je m’y laisse choir et te berce. »

Je suis née sous le signe de la rêverie au milieu d’une famille joviale et enthousiaste d’artistes. Trimbalant leurs quatre enfants à travers leurs idéaux européens, mes parents nous ont inculqué une confiance en la vie d’aventurières où rien n’est impossible dans le pays des aspirations profondes.

De nature plutôt timide, calme et sensible, mon tempérament s’est développé autour de l’observation. Troisième dans la hiérarchie familiale, je suivais docilement la troupe dans les aventures des quatre filles du peintre Lussier. De pique-niques innombrables, au camping sauvage, aux expéditions périlleuses en passant par les multiples déménagements intercontinentaux, rien ne semblait arrêter le navire. Cela entrecoupé par des périodes de relative stabilité où nous étudions, recevions de la visite, allions aux musées ou posions pour le père peintre immergé dans son travail. Ces multiples conjugaisons au « nous » démontrent le lien tribal caractéristique d’une famille en constante migration.

De mon côté, je me reposais en partant loin dans mon imaginaire, le regard happé par ce qui m’entourait. On m’a toujours dit que je portais bien mon prénom Onira, qui signifie « rêves » en grec. J’observais mon environnement, ma famille, mes amis, le paysage, mais aussi des images. Des tonnes d’images. Avec du recul, il est possible de penser que cette fascination me permettait de retrouver une certaine bulle d’intimité, qui, dans le contexte, n’était pas toujours présente. N’ayant pas de télévision à la maison, je pouvais passer des heures à feuilleter des revues (mon intérêt se portait surtout sur le cinéma) ou des livres imagés, en particulier la collection de livres d’art de mon père. Je me souviens avoir été particulièrement attirée par les gravures de Dürer et d’Escher. Ces multiples lignes si parfaitement maîtrisées me captivaient.

Assez tôt, j’ai démontré un talent certain pour le dessin et la peinture. Heureux de constater mon intérêt, mon père s’est empressé de m’initier aux rudiments de l’art figuratif traditionnel. Par la copie de grands maîtres, je me suis tranquillement adonnée à la peinture à l’huile classique. Les amis de ma famille m’encourageaient en m’achetant des œuvres et les commandes suivirent tranquillement. Mais la nature portant avec elle ses révolutions, l’adolescence a tôt fait d’arriver, accompagnée de sa fameuse quête identitaire. Le cinéma est devenu mon point de mire, les pratiques plastiques qui me semblaient enfantines, ont alors été relayées au profit du théâtre et de la danse pour me diriger vers la carrière de comédienne.

Les voyages se sont souvent avérés pour moi source de décalages productifs et de retour aux sources. Comme si, les changements d’environnements et les événements toujours extra-ordinaires vécus nécessitaient expressément un exutoire créatif. La pause ne s’est donc pas éternisée puisque tout de suite après le Cégep, suivant le modèle parental, j’ai sauté dans l’avion afin de suivre une formation de flamenco en Andalousie. Cette fois, c’est sous forme d’aquarelle que mon parcours visuel s’est poursuivi. Très facile à transporter, je l’utilisais dans mes carnets de notes et pour des esquisses de motifs. Puis, vint le jour où la figuration et le mimétisme ne me dirent absolument plus rien. Je me sentais dans une impasse, incapable de faire autrement. Le théâtre et l’enseignement sont alors devenus mes principales activités.

« Chassez le naturel, il revient au galop… »

À nouveau, c’est lors d’un voyage au Pérou, qu’une phase d’aquarelles abstraites s’est affirmée. Je découvrais l’expression spontanée et intuitive du geste au moyen de techniques mixtes allant de pastels gras aux pastels secs, en passant par des pigments de couleur à l’encre, et ce, sur divers supports. En parallèle, je menais mes activités de comédienne et de codirectrice artistique dans ma compagnie de théâtre à vocation sociale Les vidanges en cavale et travaillais comme suppléante dans les écoles primaires de Montréal. Cinq années se sont déroulées durant lesquelles nos aspirations d’entreprise ont évolué à travers divers projets. L’un d’entre eux, une collaboration avec le Nunavik sur plusieurs années, a été particulièrement signifiant pour moi.

L’immensité du blanc, ces paysages majestueux, la candeur du peuple mêlés à une misère et une froideur des nuits et de l’hiver. Tant d’éléments contrastés et uniques qui ont eu un fort impact sur mon imaginaire. Pendant cette période, j’ai commencé à suivre des cours de sculpture à l’UQAM et d’arts visuels à Concordia.

Ma pratique s’est alors ouverte davantage. Mes projets se sont émancipés à travers la performance, la vidéo, l’installation et les grands formats. J’éprouvais énormément de plaisir à aller toujours au-delà de mes repères. Mais la carrière d’artiste en arts visuels ne représentait pas une option pour moi. La recherche personnelle d’artiste en atelier me semblait détachée de l’action avec et dans le monde .

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : RÉCIT D’ORIGINE
1.1 LA MALICIEUSE SE CACHE SOUS LES NÉNUPHARS
1.2 SAGUENAY
1.2.1 Une amorce en art relationnel
1.2.2 L’immensité de Bachelard
1.3 L’ORIGINE DE LA FORME
1.3.1 Le dessin dans l’acte graphique
1.3.2 L’origine de Walter Benjamin : le dessin et la manipulation numérique
1.3.3 Interruptions, coupures, plis et replis
CHAPITRE 2 : PROCESSUS ET RAPPROCHEMENTS ARTISTIQUES
2.1 AGNES MARTIN, LA LIGNE COMME PERSPECTIVE DU MONDE
2.1.1 Une production mature
2.1.2 Vers une esthétique singulière
2.1.3 Le rapport intime dans l’attention
2.2 LA RECHERCHE D’ESCHER
2.2.1 Un parcours autour de l’énigme et du défi technique
2.2.2 La limite de l’impossible : divisions de plans, images miroir, inversion,
relativité
2.2.3 De la vision mentale à la gravure
2.2.4 Le numérique
CHAPITRE 3 : MA PRATIQUE DU DESSIN
3.1 «LA DÉFORMATION COHÉRENTE» À L’OEUVRE
3.1.1 À la recherche du singulier
3.1.2 Le dessin performé
3.2 SAGAMIE ET LE NUMÉRIQUE
3.2.1 Les segments orphelins.
3.2.3 L’«auto-traduction»
3.3 EXPOSITION DE FIN DE MAÎTRISE : Métamorphoses – Traces
3.3.1 L’Atelier
3.3.1 Le retour au dessin performé
3.3.2 Retour sur l’exposition et son déroulement
CONCLUSION

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