La médiation culturelle au service des apprentissages 

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La culture pour apprendre

La culture commune, culture du partage

La culture est un langage collectif commun, rassembleur, constituant l’identité collective et servant de fondement à une société explique Martine Tassin-Ghymers. Elle poursuit expliquant que dans nos sociétés multiculturelles un travail avec chacun sur l’identité culturelle reste fondamental : « réflexion d’autant plus nécessaire et urgente dans le contexte actuel de discriminations sociales et ethniques, d’exclusions voire de violences interculturelles »12 . On notera un changement d’orientation quant à l’importance de la culture dans les textes officiels. Le socle commun de connaissance et de compétence instauré par la loi du 23 avril 2005 s’est vu rajouter « et de culture »13 par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République en 2013, sous entendant que la culture est transversale dans les cinq domaines de compétences. Cet ajout est également accompagné d’un parcours d’éducation artistique et culturel qui s’inscrit « dans le cadre de la priorité gouvernementale donnée à l’éducation artistique et culturelle, et a pour but de développer les principes et les modalités de mise en œuvre des parcours d’éducation artistique et culturelle ».14
La culture est bien présente dans les directives, mais la manière dont elle se déploie à l’école est différente. Les élèves rencontrent la culture via les arts visuels, l’éducation musicale et, au cycle 3, l’histoire des arts. Ils se construisent également une culture commune littéraire. Au cycle 2, les programmes prévoient que « la fréquentation d’œuvres complètes (lectures offertes ou réalisées par les élèves eux-mêmes, en classe ou librement) permet de donner des repères autour de genres, de séries, d’auteurs… […] Ces textes sont empruntés à la littérature de jeunesse et à la littérature patrimoniale (albums, romans, contes, fables, poèmes, théâtre). » Le cycle 3, dans son préambule au programme de français annonce l’enjeu de la culture littéraire « La littérature est également une part essentielle de l’enseignement du français : elle développe l’imagination, enrichit la connaissance du monde et participe à la construction de soi. »
Le culture est présente dans les directives, dans les programmes, dans les enseignements car le contact culturel permet d’aborder des questions fondamentales que tout être humain se pose. C’est dans ce cadre officiel des programmes que vient s’insérer ce travail de médiation culturelle à partir d’une littérature universelle.
Dans sa réflexion sur Donner du sens aux savoirs scolaires en s’appuyant sur les questions fondatrices, Philippe Meirieu insiste sur l’importance d’une véritable exigence culturelle pour les « publics difficiles » (sic.), y compris en termes d’enjeux fondamentaux. Ainsi, il pense que la construction de l’universalité nécessite la prise en compte des cultures dans leur diversité : « l’universalité ce n’est pas le contraire de l’interculturalité. […] On n’arrache pas ici les cultures vernaculaires pour imposer “à” culture “universelle”, c’est-à-dire la culture française et académique. »15

La culture et le langage comme médiation

La culture permet une approche des grandes questions fondamentales quand le langage permet de structurer la pensée. S’il ne s’agit pas de faire parler les élèves de leurs centres d’intérêts, le travail de médiation culturelle se situe bien du côté de la transmission des connaissances, qu’il s’agisse de savoirs fondamentaux ou des contenus disciplinaires comme l’explique Serge Boimare.
Pour celui-ci, « la culture offre les moyens de traiter les questions les plus archaïques tout en donnant la possibilité de faire des ponts pour en revenir aux apprentissages les plus rigoureux ; là où la règle et la contrainte reprennent leurs places »16. Dans sa conférence Entre Homère et le rap, quelle culture enseigner à l’école ? Philippe Meirieu poursuit sur l’importance pour l’imaginaire qu’offre les « objets culturels » que nous transmettons aux élèves : « L’école devient alors le lieu où s’articulent l’objet et le point de vue, le lieu où s’articulent la réalité et ce que l’on peut dire sur la réalité, ce qui résiste à ma subjectivité et ce qui est ma subjectivité qui s’exprime sur ce qui résiste à ma subjectivité. » Il invoque le pédagogue Fernand Oury qui a lui aussi expliqué en quoi la médiation de l’objet venait précisément arbitrer entre les opinions et apporter une sorte de pacification et de sérénité qui rendaient les apprentissages possibles : « L’objet est ce qui peut pondérer la surenchère affective qui est en train de prendre la place de l’enseignement dans un certain nombre de classes. »
L’objet culturel sert donc de support et de matière à réflexion pour les élèves quand le langage va leur permettre de structurer leur pensée. Ainsi la culture va : « fournir les représentations nécessaires au monde interne pour étayer la réflexion et lui permettre de jouer ce rôle de relais entre le dedans et le dehors, un relais nécessaire à la pensée. »17
Le langage quant à lui est une fonction d’expression de la pensée. La phase de discussion après la lecture du texte va permettre aux élèves de donner leur avis, d’en réfuter, d’argumenter, de s’appuyer sur des exemples du texte ou de la vie en fonction de ce qu’ils ont compris ou ressenti. Il s’agit ici d’un travail de reformulation avec ses propres mots, de remise en forme de ce qui a été entendu. Cette étape est collective et donc sécurisante pour les élèves qui ensemble, vont retrouver la chronologie de l’histoire et s’assurer de leur bonne compréhension.
Jean-Jacques Rousseau, dans la première partie de son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) fait remarquer que, sans les mots, les hommes ne pourraient concevoir, et donc ne pourraient véritablement penser. Les mots dont on dispose ou dont on ne dispose pas pour s’exprimer est un véritable enjeu à l’école, souvent à l’origine de conflits lorsque des élèves ne savent pas comment exprimer ce qu’ils ressentent, se rabattant alors sur la violence physique.
Si la culture permet d’apprendre, sert de médiation pour entrer dans les apprentissages, quelles sont les caractéristiques de ces supports culturels ? Comment et pourquoi ont-ils cet effet là sur des élèves en difficultés d’apprentissage ?

Utiliser des textes fondateurs pour lutter contre l’échec scolaire

Certains universitaires et pédagogues reprochent à la perspective actionnelle, très utilisée dans la didactique des langues vivantes, mais plus généralement dans l’apprentissage par tâches qu’elle se fasse « au détriment des enjeux de savoirs censés résulter de la réalisation de ces tâches. Ce glissement de l’activité intellectuelle vers des activités à faible enjeu cognitif nuit en priorité à ceux qui n’ont pas d’autres endroits d’apprentissage que l’école. » explique Jean-Yves Rochex18. Dans la même idée mais plus nuancé, Philippe Meirieu, pense qu’il est très important de travailler à articuler les savoirs scolaires à ce qui est utile dans la vie quotidienne mais repère « que la réduction du sens à l’utile opère sans doute un appauvrissement, et, en particulier, que cela laisse de côté la dimension essentielle du symbolique ». Je n’ai pas la prétention de trancher ce débat mais ces positions font voir à quel point l’activité intellectuelle, la dimension symbolique est essentielle dans les apprentissages, ce que les textes fondateurs vont nous permettre de travailler : « L’école amène à privilégier les processus rationnels d’exploration du réel. Mais il ne faut pas oublier qu’imaginer est l’acte d’un être social. Sans imaginaire collectif et personnel, il n’y a pas de création possible. L’homme se définit par ses fonctions symboliques et créatrices. »19.

Des textes universels

Serge Boimare définit le texte fondamental ainsi : « pour qu’un texte mérite d’être dit fondamental, pour qu’il ait une chance de traverser les modes et les époques, il doit contenir en lui les questions premières car, au fil du temps, elles ont contribué à forger l’esprit humain. »20
Les mythes et les contes, parce qu’ils sont issus d’une tradition millénaire, parce que transmis initialement par l’oralité étaient porteurs de civilisation. Dans leur préface, France Lauley et Catherine Poret expliquent que les hommes se reconnaissent dans les peurs exprimées par ces textes, dans les angoisses de mort, dans la difficulté de grandir solitaire dans un monde hostile. Ces histoires éternelles trouvent toujours une résonance en nous : « L’ancien testament connaît bien la nature humaine, ses faiblesses, son aptitude à reproduire les mêmes erreurs. Les dieux grecs sont à notre image, querelleurs, injustes et parjures. »21. Ces textes sont universels car ils abordent des problèmes humains universels. Par leur structure, dans la richesse de leur schémas narratifs, dans leurs puissances dramatiques, voire tragiques ces textes vont permettre d’alimenter, de stimuler l’imaginaire et la curiosité tout en répondant aux différentes questions existentielles auxquelles sont confrontés les enfants. Pour Bruno Bettelheim : « Les mythes et les légendes religieuses […] présentaient à l’enfant un matériel qui lui permettait de former ses concepts sur l’origine et les fins du monde et sur les idéaux sociaux auxquels il pouvait se confronter »22. L’auteur prend alors l’exemple d’Achille, le héros invincible, du rusé Ulysse ou encore d’Hercule dont l’histoire montre que l’homme le plus fort peut nettoyer des étables sans perdre sa dignité. Selon Natha Caputo, dans Guide de la lecture de quatre à quinze ans23 ces textes font naitre dans l’esprit de l’enfant la perception des sentiments qui habitent l’homme et régissent ses actes : justice, générosité, amour, loyauté, droitures, courage… ou leur contraire. Ainsi les contes, les mythes apportent les premiers matériaux nécessaires à l’élaboration de la pensée, d’un jugement. D’après Bruno Bettelheim, ils permettent de répondre aux éternelles questions : à quoi le monde ressemble-t-il vraiment ? Comment vais-je y vivre et comment faire pour être vraiment moi-même ?
Philippe Meirieu explique que dans ces textes « à haute densité culturelle » comme il les nomme, les enjeux sont d’une très grande violence : « Ces textes-là sont des textes qui parlent aux élèves parce qu’ils renvoient à des éléments absolument centraux, que l’on pourrait appeler des « invariants anthropologiques ». On ressent bien dans le choix de ce terme l’aide à la construction de l’être humain qu’apportent ces textes. Pour Boimare, ces textes doivent universaliser les préoccupations, dégager du singulier pour aller vers le général. Il pense que les élèves qui buttent devant les savoirs n’arrivent pas à raccrocher leur histoire à celle des autres, « de se dégager de leurs préoccupations personnelles pour les inclure dans un regard plus universel. »24
Les philosophes ont bien sûr repéré le caractère universel et l’importance de ces textes. Si Platon proposait que les futurs citoyens de sa République idéale soient initiés à l’éducation littéraire par le récit des mythes, Aristote disait : « L’ami de la sagesse est également l’ami des mythes ». Les penseurs en psychologie et en philosophie contemporaines qui ont étudié les mythes parviennent aux mêmes conclusions sur l’apport de ceux-ci dans la construction de l’homme. Bruno Bettelheim reprend les propos de Mircea Eliade25 qui définit ces histoires comme « des modèles de comportement humain, ce qui leur permet de sonner, par le fait même, un sens et une valeur à la vie ».
L’universalité de ces textes les rend indispensables en terme d’étude de par leurs structures, leurs langages spécifiques, les émotions profondes qu’ils transmettent et de par leurs caractères philosophiques mais ils apportent également un aspect psychologique qui vient compléter cette démarche pédagogique de médiation culturelle.

L’apport psychologique de la démarche

Une relation a été constatée par des chercheurs entre mythe et psychisme de l’enfant. France Lauley et Catherine Poret26 expliquent que l’enfant, jusqu’à un certain âge donne vie à ce qu’il touche, c’est ce que l’on appelle l’animisme. « La frontière entre l’imaginaire et le réel est floue de même que celle qui définit son moi et son non-moi ». Les métamorphoses du conte et des mythes concluent-elles, vont donc provoquer chez les enfants une très grande attirance.
Dans la démarche de médiation culturelle le constat est fait par Serge Boimare que si des élèves intelligents ne mettent pas en marche leurs réflexions c’est parce que deux forces les en empêchent : « La première, c’est une faiblesse de la capacité imaginante, cette capacité à produire des images intérieures. La seconde, c’est l’arrivée quasi instantanée d’un fort sentiment de frustration dès la confrontation avec l’incertitude »27 . La solution est donc pour lui de sécuriser les élèves dans leur monde interne. Bruno Bettelheim se positionne en ce sens, il explique que comme la vie d’un enfant lui semble souvent déroutante, il a besoin de « se comprendre au sein du monde complexe qu’il doit affronter. Il faut donc l’aider à mettre un peu de cohérence dans le tumulte de ses sentiments »28. Les idées que l’enfant trouvera dans ces textes fondamentaux l’aideront à mettre de l’ordre « dans sa maison intérieure et, sur cette base dans sa vie également »29 et cela parce que les contes débutent là où se trouve en réalité l’enfant dans son être psychologique et affectif. Il continue expliquant que pour pouvoir régler les problèmes liés à la croissance comme les déceptions narcissiques, les problèmes œdipiens, les rivalités fraternelles,… « l’enfant a besoin de comprendre ce qu’il se passe dans son être conscient et grâce à cela faire face à ce qu’il se passe dans son être inconscient »30. Bettelheim explique que l’enfant peut acquérir cette compréhension en brodant des rêves éveillés, en ruminant des fantasmes issus des contes qui correspondent aux pressions de son inconscient : « la forme et la structure du conte de fée offrent [à l’enfant] des images qu’il peut incorporer à ses rêves éveillés et qui l’aident à mieux orienter sa vie »31.
Enfin Serge Boimare fait le pari qu’une fois le monde interne de l’enfant sécurisé et enrichi « ils accepteront enfin d’entrer dans l’activité réflexive, partie intégrante de l’apprentissage »32.

Des textes pour relancer la pensée

Dans la démarche pédagogique de médiation culturelle, ces textes vont être utilisés pour relancer la pensée. Serge Boimare a imaginé un travail en trois étapes, régulier.
La première étape concerne le choix du support pédagogique. Il explique que cette étape n’est possible qu’à partir de la culture et des textes fondamentaux dont nous avons parlé jusqu’ici car elle consiste à donner aux élèves les moyens de mettre des mots et des images sur leurs inquiétudes dès lors qu’ils sont confrontés à la démarche intellectuelle. Cette étape est un moment d’écoute pour les élèves qui va favoriser « le passage d’une pensée soumise aux sensations et aux émotions, à une pensée qui s’intéresse aux gens et aux règles organisant les savoirs ».33
La deuxième étape propose aux élèves, après chaque lecture une première phase de discussion pour s’assurer que la compréhension est acquise par tout le monde puis s’ensuit un temps pour échanger entre eux autour d’une question qui aura émergé de la lecture. Ce temps de discussion, de débat est indispensable pour prolonger l’effet médiateur de la culture explique-t-il. C’est aussi le moment où les élèves vont reformuler ce qu’ils ont entendu, vont échanger autour d’idées et donc construire leur pensée.
Enfin, la troisième étape est la rédaction individuelle d’un texte écrit de cinq à dix lignes pour reprendre la question qui a émergé du débat dans la phase précédente. « Ce passage à l’écrit est un bon moyen pour renforcer et entrainer les compétences psychiques et la capacité imaginante stimulée et mise en mouvement lors des deux premiers temps »34. Boimare conclut le développement de sa pédagogie en expliquant que l’objectif de ce travail est que « l’étude du récit aiguise la curiosité et stimule le désir de savoir, elle renforce la cohésion entre les enfants en mettant en valeur ce qui rapproche les différentes cultures, elle limite la violence en argumentant la verbalisation des conflits. »35
Ce travail en trois étapes permet également de travailler les différences langagières qui existent entre les élèves, sachant que l’apprentissage du lexique est un véritable enjeu à l’école. L’enfant de deux ans dont le répertoire compte environ 20 mots en comptera 2500 lorsqu’il aura six ans et entre 20 000 et 30 000 à l’âge adulte. A son entrée au cour préparatoire (CP), un enfant qui a un vocabulaire pauvre connait environ 500 mots alors que celui qui est bien pourvu en vocabulaire en connait 250036 : « Pour les élèves qui commencent leur apprentissage du français plus tard dans leur vie ou dans leur scolarité, ou qui sont moins exposés à la langue puisqu’ils viennent de familles où la langue d’usage est autre que le français, le fossé qui les sépare de leurs camarades du même âge est encore plus grand ».37

La médiation culturelle au service des apprentissages

Le procédé pédagogique mis en place dans la classe

Description

Les séances se déroulent de la manière suivante. L’enseignant lit un épisode du Feuilleton d’Hermès de manière expressive au groupe classe. Cette lecture peut durer dix à quinze minutes en fonction de la longueur de l’épisode. S’ensuit une phase de vérification de la compréhension des élèves. Les épisodes sont souvent denses avec beaucoup d’informations, de détails, de noms de dieux et de déesses difficiles à retenir. Lors de cette phase l’objectif est également de permettre à certains élèves qui auraient pu décrocher lors de la lecture de récupérer la compréhension et ainsi d’être au même niveau de compréhension que les autres. Une fois la compréhension vérifiée vient la discussion autour de la question qui sera identique lors du passage à l’écrit. L’objectif de cette phase est double. D’une part il est d’amener les élèves à prendre de la distance vis à vis de l’épisode qui vient d’être travaillé en répondant à une question universelle et d’autre part de permettre aux élèves les plus en difficultés d’avoir de la matière à rebrasser éventuellement pour leur production d’écrit.

Le choix des questions

Les textes sur lesquels il est conseillé de travailler dans cette démarche sont dits universels comme expliqué précédemment. Les questions posées sur les épisodes doivent permettre de faire le lien entre le récit et une question beaucoup plus large abordant des problèmes humains universels qui parasitent la pensée des élèves comme la mort, la vengeance, la violence la jalousie etc. Ainsi, à la question « Que fait Hermès lorsqu’il rassemble tout son courage pour parler aux Cyclopes ? » posée pour l’épisode 14, les élèves vont progressivement arriver à la notion de flatterie puis à se questionner si la flatterie peut être du mensonge pour enfin discuter du mensonge. Dans la discussion, certains penseront que flatter « peut provoquer des problèmes » ou encore qu’il faut « avoir une raison pour flatter ». La question de l’épisode 12 « Pourquoi Zeus refuse-t-il d’expliquer l’origine des volcans à Hermès ? » s’est transformée lors du débat en « faut-il cacher des choses aux enfants, peut-on tout leur dire ? ». Si certaines questions ont soulevé des réflexions plus profondes on peut remarquer que beaucoup d’entre elles commencent par « Pourquoi…? »39 ce qui produit souvent des réponses courtes. Avec du recul, il faudrait privilégier des questions commençant par « Comment sait-on que…? » afin que les élèves réalisent une recherche d’indices en profondeur dans le texte. Nous verrons un peu plus loin que certaines questions ont mieux fonctionné que d’autres ou que certaines étaient trop compliquées pour amener les élèves à la question universelle recherchée. Par exemple la question de l’épisode 18: « A ton avis, pourquoi la mort d’Ouranos a fait naitre à la fois des créatures de la vengeance (les Erinyes), et Aphrodite, la déesse de la beauté ? » devait mener les élèves à se questionner sur la jalousie. En pratique, le mot clé est arrivé bien trop tard dans la discussion pour permettre d’aborder et d’approfondir réellement cette question. Le choix de définir auparavant les questions est une assurance pour l’enseignant qui oriente les recherches des élèves mais la formulation ou la compréhension de celles-ci peuvent être trop abstraites ou trop compliquées. De la question dépendra le début de l’orientation du débat, elle doit donc être soignée et permettre de faire le lien entre le texte lu et le questionnement universel.

Limites de certaines adaptations du dispositif et améliorations

La disposition des élèves dans la classe pour la discussion
Pour des raisons d’organisation, de facilités je n’ai pas disposé en cercle les élèves pour la discussion qui suit la lecture, comme suggéré dans la démarche de Serge Boimare (2011) : « Le mieux est de disposer les tables en forme de U pour que tout le monde et chacun puisse se voir ». Ce que je remarque a posteriori, c’est qu’il est difficile voire très peu naturel de demander à des élèves de débattre entre eux, de s’adresser les uns aux autres s’ils ne peuvent pas se voir. Par ailleurs, la classe est disposée en ilots, il aurait donc été très facile de demander à certains élèves de se déplacer ou de tourner leurs chaises le temps du débat afin de favoriser les échanges.
Les questions du débat
Dans le dispositif de Serge Boimare, les questions ne sont pas définies préalablement par l’enseignant. C’est de la discussion entre élèves qu’elles émergent et c’est ensuite à partir de celles-ci qu’ils écrivent. Là encore, j’ai fait le choix d’adapter le dispositif. En effet, j’ai trouvé rassurant d’avoir préalablement pensé et anticipé la question dans la préparation de la séance. Se pose alors la difficulté pour l’enseignant de choisir une question explicite, compréhensible, capable d’évoluer dans une discussion en question universelle comme expliqué dans la précédente partie.
Aider encore plus les élèves pour anticiper leurs difficultés dans le passage à l’écrit
J’ai également pensé à une remédiation supplémentaire dans le dispositif. Au moment de la phase de compréhension et de discussion, j’ai remarqué que si l’enseignant arrive à s’effacer le plus possible laissant les élèves réguler eux-même le débat, il peut alors venir en soutien et écrire au tableau des éléments de l’épisode qui viennent dans la discussion. Cette trace permettrait aux élèves de ne pas saturer leur mémoire de travail avec des questionnements orthographiques et de faciliter l’entrée dans la production d’écrit. Cela pourrait également servir de différenciation et orienter certains élèves à partir de ces mots clés, les rassurer pour leurs productions d’écrit.

L’évolution de l’oral, l’écrit et des dessins chez les élèves

La démarche pédagogique de la médiation culturelle peut être segmentée en trois. Elle permet ainsi d’appréhender les évolutions de la participation à l’oral, de la production d’écrits et des dessins chez les élèves. Dans cette démarche, tous ne participent pas aussi activement aux trois étapes mais ils trouvent un mode d’expression privilégié afin d’aborder ces questions universelles et développer leur pensée.

La participation à l’oral dans le débat

Dans cette observation en classe, je n’ai pas noté les prises de parole lors de la phase de compréhension du texte, où tous les élèves participent, mais celles qui ont surgi à partir de la question posée. Je n’ai pas pris en compte le nombre total de prises de paroles par débat pour chaque élève mais si oui ou non ils prenaient au moins une fois la parole dans la discussion et si cela était pertinent. Des mesures plus précises m’auraient permis une analyse quantitative que je n’ai pas dans ce qui suit. Sur la méthode enfin, je pense également qu’enregistrer les débats m’aurait permis d’avoir une analyse encore plus fine des interventions des élèves plutôt que de remplir un tableau d’analyse en même temps que je menais les séances.
Sur six épisodes, on remarque que neuf élèves sur vingt-cinq n’ont jamais pris la parole en débat et que trois élèves l’ont prise lors de quatre débats sur six. Globalement la majorité des élèves a pris la parole dans les débats même si ces prises de paroles ne sont pas toujours pertinentes vis à vis de la question posée. Se pencher sur la pertinence des réponses fait émerger que seuls onze élèves sur dix-huit ont su s’extraire du texte, convoquer leurs ressentis, leurs émotions, pour répondre à la question donnée. C’est à partir des réflexions de ces élèves que le débat se crée dans l’épisode 15 qui narre le premier crime du monde : Héra, la femme de Zeus vient d’accoucher d’un bébé monstrueux et décide de le jeter par la fenêtre. Trois opinions vont s’affronter, Ana40 dira que « c’est la beauté intérieure qui compte, qu’il ne faut pas le tuer », Kenza abondera dans son sens en expliquant que « quand une maman a un enfant, même s’il est moche elle ne doit pas le laisser », Zyad dira que « normalement elle doit le protéger ». Tandis que Malik pense que « c’est bien fait pour lui, il n’avait pas qu’à pleurer » ce à quoi Ania répond « Même s’il n’avait pas crié, Héra l’aurait quand même jeté car il est trop moche ». Deux autres élèves, restant plus proche de l’histoire et de la fiction décideront qu’ « un monstre n’a rien à faire dans le palais des Dieux ». Cet épisode permet de traiter la violence et le lien entre la mère et son enfant qui touche directement les élèves mais également le rapport à la différence : un être moche mérite-t-il de mourir parce qu’il est différent des autres ? Les élèves n’ont pas traité les trois aspects dans leurs interventions mais, sans entrer dans une analyse psychologique, on ressent bien que dans les quelques prises de paroles retranscrites ci-dessus sont verbalisées des émotions liés à la protection, la sanction ou encore à l’empathie.
Le débat à partir de la question En quoi la vengeance d’Ouranos va-t-elle provoquer encore de la violence ? de l’épisode 17 a également été très riche. Il a commencé par une définition de ce qu’est la vengeance, Ana explique « La vengeance c’est faire la même chose qu’on nous a fait » ce qui entraine des interventions d’élèves en accord avec cette phrase. La définition posée par la classe, le débat s’est ouvert et deux opinions ont surgi. L’une va être de dire comme Kevin : « La vengeance, c’est bien dans cette histoire car il n’y a pas de parents pour aider Hermès ». Ici l’élève fait référence à la solitude, à l’abandon des parents et donc aux stratégies que doit développer un enfant seul pour se protéger. Deniz expliquera lui que la vengeance permet aussi de se défendre. L’autre opinion exprimée par Zyad est que : « la vengeance, ce n’est pas bien car quand tu grandis, tu vas être violent. On pourra le regretter car c’est pas bien de venger ». L’élève se projette dans l’avenir, imagine les conséquences d’actes au présent et leurs conséquences dans l’avenir et fait intervenir la notion de regret dans son argumentation. Ana intervient pour dire que « la vengeance n’arrange pas toujours les choses. Que c’est un cercle qui n’arrête pas de tourner », c’est alors que Renzo rebondit en disant que « la violence entraine la violence ».
Le débat de l’épisode 12 a provoqué un grand intérêt, huit élèves y ont participé activement, en réintervenant plusieurs fois, en précisant à chaque fois un peu plus leur pensée. A la fin de cet épisode, Hermès demande l’origine des volcans à son père qui refuse de lui répondre. La question initiale était Pourquoi Zeus refuse-t-il d’expliquer l’origine des volcans à Hermès ? Lors du débat, celle-ci s’est rapidement transformé en « faut-il cacher des choses aux enfants » car les élèves pensent que Zeus ne veut pas expliquer l’origine des volcans à Hermès car il est trop petit. Le verbe « cacher » fait référence à l’inconnu, à la protection des enfants pour leur dissimuler ce qui fait peur. Cette orientation du débat concernait directement les élèves qui se demandaient en même temps si leurs parents leur racontaient tout et s’ils devaient ou non le faire. On peut supposer que certains de leurs questionnements ont déjà butté sur une réponse d’adultes du type « on t’expliquera quand tu seras plus grand ». Les questions que peuvent alors se poser les élèves sont diverses : quand est-ce qu’être plus grand ? Pourquoi ne pourraient-ils pas être mis au courant de tout ? Ici aussi se pose la question du passage de l’âge enfant à l’âge adulte.
Le débat de l’épisode 14 portait sur le flatterie. Hermès, pour échapper à la mort utilise comme stratégie la flatterie afin que les Cyclopes ne le tuent pas. La question était : « Que fait Hermès lorsqu’il rassemble tout son courage pour parler aux Cyclopes ? ». Je n’ai pas en ma possession la retranscription de la discussion mais les grandes lignes de son orientation sont les suivantes. Les élèves se sont progressivement questionnés sur le lien entre la flatterie et le mensonge. Ainsi, progressivement la notion émerge. Ana pense que « quand on flatte ça peut provoquer des problèmes » ou encore « qu’il faut des raisons pour flatter » quand Deniz, conclut la discussion en disant que « parfois la flatterie peut être du mensonge ».
Ce que l’on peut remarquer globalement sur la participation des élèves dans la discussion, c’est un lien entre des sujets qui les touchent, qui les questionnent au delà du texte qui vient d’être lu. En effet, l’épisode 16 dont la question était Pourquoi Ouranos et Gaïa ne sont-ils pas d’accord ? n’a provoqué que très peu de réactions. Dans cet épisode Gaïa souhaite que ses monstrueux enfants qui semaient le chaos reviennent sur terre alors qu’Ouranos veut les laisser enfermer dans le ventre de la terre. Seuls trois élèves prennent la parole dans cette discussion pour expliquer que si leurs enfants reviennent sur terre ils sèmeront à nouveau le chaos, qu’ils couperont les arbres et arracheront les fleurs sans quoi on ne pourra plus vivre sur terre. La question posée ne permet pas aux élèves de répondre à une question universelle, elle reste trop près du texte. C’est une bonne question de compréhension qui permet de traiter un implicite de l’épisode mais elle ne touche pas de préoccupation particulière des élèves. Une question sur la dispute et sa résolution aurait été plus pertinente à mon sens par exemple : « Lorsque des personnes se disputent, comment peut-on parvenir à trouver un accord ». Cette nouvelle question aurait pu permettre de faire le lien entre le débat et l’argumentation qui ont ponctué tout ce début de quatrième période.
On remarque que le nombre d’élèves qui interviennent de manière pertinente est faible, nous verrons cependant par la suite que les autres utilisent d’autres modes d’expression permis par cette démarche, à savoir la production d’écrit ou les dessins.

Production d’écrit

Je me suis intéressée aux productions d’écrits d’élèves qui n’interviennent quasiment pas à l’oral dans le débat. Arizona est une élève brillante qui comprend très rapidement, c’est une élève pour qui les codes de l’école n’ont aucun secret. Cette élève n’est intervenue qu’une fois sur les six séances alors qu’elle est très à l’aise à l’oral et s’exprime très bien. En revanche, l’analyse de ses productions d’écrits est intéressante car elle montre un certain recul, une interprétation quant au sujet qui est traité. A la question de l’épisode 6 Pourquoi la musique réussit-elle à réunir les deux frères ? elle répond : « parce que la musique caresse les cœurs et amène la paix ». Ce genre de réponse nous montre qu’elle convoque des connaissances culturelles apprises à l’école ou ailleurs. Pour sa réponse à la question En quoi la vengeance d’Oursons va-t-elle provoquer encore de la violence ? de l’épisode 17, en plus de sa réponse écrite, elle schématise sa pensée comme on peut le voir dans le dessin ci-dessous.

Table des matières

1. Pourquoi faire appel à la médiation culturelle ? 
1.1. L’enfant face aux difficultés d’apprentissage
1.1.1. Comment apprend-on ?
1.1.2. Les difficultés d’apprentissage
1.2. La culture pour apprendre
1.2.1 La culture commune, culture du partage
1.2.2. La culture et le langage comme médiation
1.3. Utiliser des textes fondateurs pour lutter contre l’échec scolaire
1.3.1 Des textes universels
1.3.2. L’apport psychologique de la démarche
1.3.3. Des textes pour relancer la pensée
2. La médiation culturelle au service des apprentissages 
2.1. Le procédé pédagogique mis en place dans la classe
2.1.1. Description
2.1.2. Le choix des questions
2.1.3. Limites de certaines adaptations du dispositif et améliorations
2.2. L’évolution de l’oral, l’écrit et des dessins chez les élèves
2.2.1. La participation à l’oral dans le débat
2.2.2. Production d’écrit
2.2.3. Les dessins
2.3.4. Analyse d’une évolution : le cas de Karine
2.3.5. Conclusions

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