LA MOBILITÉ RÉSIDENTIELLE MESURE, DYNAMIQUES ET DÉTERMINANTS

LA MOBILITÉ RÉSIDENTIELLE MESURE,DYNAMIQUES ET DÉTERMINANTS

Si l’on s’intéresse à la manière dont les habitants d’une ville exploitent leur espace quotidien pour mieux comprendre leur comportement, et être apte à proposer des aménagements adaptés aux besoins et aux souhaits les plus fréquents, il est indispensable de pouvoir traduire en termes d’indicateurs la cognition spatiale des individus. Pour parvenir à cette fin, les équipes de recherche mettent de plus en plus en avant les atouts du travail collaboratif et pluridisciplinaire. Ainsi, psychologues, démographes, économistes, géographes, sociologues, philosophes se penchent davantage sur des thématiques socio-spatiales [Levy, 2002] afin d’uniformiser leurs méthodes et outils d’analyse pour mieux comprendre comment les hommes s’adaptent aux différents changements à l’œuvre dans la société contemporaine, qu’il s’agisse de l’activité économique, la vie privée, le progrès technique, ou encore les formes d’urbanisation. L’étude de la mobilité résidentielle, que l’on ne peut dissocier de celle des autres formes de mobilité, notamment la mobilité quotidienne, se révèle être un bon “indicateur” (on l’a vu dans le chapitre précédent) des transformations sociales, démographiques, politiques, économiques qui traversent le monde urbain. En effet, la mobilité n’est « jamais seulement un déplacement, mais toujours une action au cœur des processus sociaux de fonctionnement et de changement » [Bassand et Brulhardt, 1980]. Aussi, pour une meilleure appréhension des logiques comportementales qui coordonnent les mobilités résidentielles des ménages et/ou des individus, la prise en compte simultanée de nombre de facteurs s’imposent : aspects socioculturels, affects psychologiques, paramètres démographiques, qualités environnementales, contraintes économiques etc. La question du choix et des besoins en matière de logement ne résulte plus d’une simple et seule évaluation des avantages et des inconvénients faite par les acteurs eux-mêmes à chaque étape de leur cycle de vie. Elle incorpore également des effets induits plus qualitatifs que quantitatifs, émanant de divers systèmes exogènes (la sphère affective par exemple) dont l’influence sur les pratiques de mobilité résidentielle est non négligeable. Après une présentation sommaire de l’état des lieux de la recherche en matière de mobilité résidentielle, nous analyserons les diverses dynamiques (structurelles, contextuelles et temporelles) de la mobilité résidentielle à partir des interactions entre les sous-systèmes “habitat” et “habitants”. Une description de l’ensemble des déterminants nous permettra de mieux cerner les logiques de localisation résidentielle en vue de la construction d’un modèle de simulation.  

Mesures et évolution des connaissances sur la mobilité résidentielle 

Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, la situation du logement était dramatique en Europe. En France, le déficit de construction de la période de l’entre-deux-guerres, ajouté aux destructions de la seconde guerre (500 000 logements détruits, 1 400 000 logements endommagés)1 , se traduit par une pénurie de logement sans précédent. Dès 1946, A. Sauvy publia un article « Logement et population » [Sauvy, 1946] dans lequel il explique, entre autres, la raison principale de la pénurie de logement et du marasme de l’industrie du bâtiment. Naturellement, s’imposa alors la mise en œuvre d’une politique de logement. Afin de produire les données devant alimenter les débats relatifs aux choix politique en matière de logement, l’INED (Institut National d’Etudes Démographiques) a élaboré des sources d’informations sur les migrations résidentielles.

Les sources de données pour mesurer la mobilité résidentielle

Outre les enquêtes ponctuelles réalisées par diverses institutions dans le but d’affiner une étude thématique bien précise, ou de calibrer un modèle particulier, il existe principalement trois sources de données, à l’échelle nationale, permettant de mesurer la mobilité résidentielle. Il s’agit du recensement, de l’Enquête-Logement et des fichiers relatifs au logement communal (FILOCOM : FIchier du LOgement COMmunal). 

Le recensement et ses limites 

Le recensement constitue une source essentielle de données sur la mobilité. Avant la seconde guerre mondiale, les réponses aux questions sur le lieu de naissance, croisées avec les questions sur le lieu de résidence, fournissaient des éléments d’information sur les déplacements individuels. Depuis la période d’après guerre, cette approche est apparue très insuffisante pour étudier la mobilité dans toute sa complexité. Ainsi, à compter du recensement de 1962 en France, grâce à une question sur le lieu de résidence de l’année du précédent recensement, il est devenu possible de calculer la proportion des personnes ayant changé de logement entre deux recensements à l’aide des matrices de migration, ou, 1 Ces chiffres sont tirés des cahiers du PIR Villes (Programmes interdisciplinaires de recherche sur la ville). En l’occurrence, il s’agit du volume « Logement, mobilité et populations urbaines » édité sous la direction de pour éviter l’inconvénient de l’inégalité des intervalles entre deux recensements, des taux annuels de mobilité à différentes échelles spatiales. On peut alors suivre l’évolution de la mobilité au niveau de la commune, du département, de la région ou même au niveau national. La situation ne peut que s’améliorer avec la nouvelle fréquence (annuelle) du recensement en France même s’il est basé sur un échantillonnage, d’autant que les enquêtes annuelles sur l’emploi menées par l’INSEE fournissent le même type de renseignement rétrospectif, puisqu’elles s’accompagnent d’une question sur la commune de résidence des individus un an auparavant. Toutefois, ces “enquêtes-emplois” portant sur un échantillon au 1/100ème de la population active ne permettent pas des études à un degré plus fin de mobilité. Mais elles offrent un suivi annuel du phénomène et aident ainsi à percevoir les tendances les plus récentes. 

Les Enquêtes-Logement 

Hormis le recensement général de la population, l’Enquête-Logement est l’une des principales enquêtes de l’INSEE de par son ancienneté (1955, date de sa première réalisation), sa fréquence (elle est réalisée environ tous les 4 ans mais une période de 5 ans sépare les 2 dernières enquêtes) et la taille de son échantillon (47 500 logements en 2002 dont 32 000 ménages répondants). Au niveau national, c’est la source statistique majeure pour décrire le parc de logements et les conditions d’occupation par les ménages de leur résidence principale. Sur ces thèmes, les enquêtes Logement sont en particulier beaucoup plus précises et plus complètes que les recensements. Les principaux thèmes abordés sont les suivants : ♦ les caractéristiques physiques du parc de logements (taille, confort sanitaire, chauffage, dépendances) ; ♦ une approche multicritères de la “qualité de l’habitat” : état du logement et de l’immeuble, fonctionnement de leurs équipements, bruit, exposition, localisation, environnement, voisinage, sécurité, etc. ; ♦ les modalités juridiques d’occupation du logement (forme et origine de la propriété, législation sur les loyers, aides de l’Etat) ; ♦ les difficultés d’accès au logement, la solvabilité des ménages, le fonctionnement des rapports locatifs ; ♦ les dépenses associées au logement (loyers, charges locatives ou de copropriété, prix et financement des logements achetés récemment, remboursements d’emprunt des accédants à la propriété, travaux, etc.) et les aides dont bénéficient les occupants ; ♦ les ressources perçues par les différents membres du ménage sous différentes formes : revenus d’activité, prestations sociales, revenus de placement, etc. ; ♦ le patrimoine en logements des ménages, l’utilisation de logements autres que la résidence principale ; ♦ l’opinion des ménages à l’égard de leur logement et de leur désir éventuel d’en changer ; ♦ le nombre d’enfants de la personne de référence et/ou de son conjoint (thème spécifique à l’enquête de 2002). En ce qui concerne l’étude des conditions de logement des ménages à faible et très faible revenu, l’enquête logement comporte cependant trois limites importantes : Â c’est une enquête auprès des ménages, c’est-à-dire auprès des personnes de référence vivant dans une résidence principale. Celles vivant dans d’autres types d’habitat (foyers, maisons de retraite, centre d’hébergement, résidence secondaire, etc.) sont en dehors du champ de l’enquête, de même que les personnes sans domicile fixe; Â c’est une enquête à caractère national qui n’a pas vocation de fournir des résultats très fins, ce qui réduit les possibilités d’analyses géographiques des conditions de logement des ménages. Tout juste peut-on les approcher avec la notion de tranches d’unités urbaines; Â c’est une enquête dont l’échantillon, pourtant de grande dimension, s’avère parfois insuffisant dès lors que l’on cherche à préciser les conditions de logement de ménages connaissant des situations très minoritaires. 

Les fichiers de logement communal

 Issu d’une exploitation des données fiscales relatives à la taxe d’habitation, l’IRPP (Impôts sur le Revenu des Personnes Physiques) et la taxe foncière, ce fichier est disponible depuis 1995 pour le compte du Ministère de l’Équipement. Il est mis à jour tous les deux ans. En ce qui concerne le logement, les données du FILOCOM sont en général assez fiables en raison du caractère quasi exhaustif des données, et aux aspects non déclaratifs de certaines variables [CERTU, 2002]. Dans un récent rapport d’étude sur la répartition spatiale des logements, réalisé par le Programme ACTEUR (Analyse Concertée des Transformations et des Equilibres Urbains) [CERTU, 2002, op. cit.], ce fichier a été utilisé comme source principale pour calculer des indicateurs de répartition spatiale des logements pour trois raisons. Primo, ce fichier permet d’effectuer des croisements entre des données caractéristiques du logement et d’autres relatives à la situation de leurs occupants. Secundo, les données sont disponibles à la section cadastrale et autorisent des exploitations infra-communales sous réserve du respect du secret statistique et de la disponibilité d’un cadastre numérisé sur le périmètre d’étude. Tertio, la valorisation de données peu connues ou peu utilisées comme celles issues du FILOCOM fait partie des objectifs du programme ACTEUR. Toutes ces sources permettent d’analyser les principales caractéristiques des personnes mobiles et immobiles. Elles fournissent par ailleurs des informations essentielles sur les raisons des déménagements. Elles seront modélisées lors de la réalisation de notre modèle de simulation de la mobilité résidentielle.

Les différents angles d’analyse de la mobilité résidentielle 

Les modes de vie évoluent à tous les niveaux. On peut noter, selon des observations parallèles, des changements dans les structures de l’économie et de l’emploi, dans les structures du parc de logement (notamment avec l’essor de la maison individuelle dans l’espace périurbain). Il en est de même de la structure des ménages avec la diminution des couples et l’accroissement des familles monoparentales [Bonvalet et Brun, 2002, op. cit.]. L’évolution des recherches sur la mobilité résidentielle reflète ces changements. Ainsi, on peut distinguer quatre façons d’aborder la question de la mobilité résidentielle [Bonvalet et Brun 2002, op. cit. ; Vidberg et Tannier, 1999 ; Dureau et al., 2000], qui correspondent à la fois à des préoccupations des disciplines et à des courants de pensée. En effet, certains travaux rendent comptent des choix de migration, de localisation, et de statut d’occupation à l’aide de modèles économétriques alors que d’autres analysent la mobilité en fonction des évènements familiaux et professionnels. Une troisième catégorie de travaux étudie la mobilité à partir de l’évolution de la structure du parc de logement et de la structure socioprofessionnelle et démographique de ses occupants. Une dernière catégorie accorde une place essentielle aux liens qui se tissent entre les individus, les familles et les lieux. Ces différentes approches sont développées ci-après.  

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