La moralité administrative et la théorie des actes dits de gouvernement

La moralité administrative et la théorie des actes
dits de gouvernement

Nous savons dans quelle mesure les solutions jurisprudentielles intervenues sur recours pour excès de pouvoir, de même que dans le domaine du contentieux ordinaire, peuvent être considérées, d’une façon plus ou moins directe, comme des cas d’application du contrôle juridictionnel de La moralité administrative. Pour nous rendre un compte exact des tenants et aboutissants de Ia théorie de ce contrôle, il convient, dans un aperçu sommaire et en négligeant les détails qui n’intéressent pas notre sujet, de préciser l’évolution et le sens d’une thèse par laquel l’autorité juridictionnelle a consacré l’intangibilité absolue de certains actes accomplis par le gouvernement ou par ses agents directs. C’ est que si les actes discrétionnaires ont disparu, il existe encore aujourd’hui une certaine catégorie d’actes qualifiés communément d’actes de gouvernement que le juge s’interdit d’une manière absolue d’assujettir à son contrôle.   Ou ne peut, ensuite, se dissimuler, quoi qu’on ait dit, que certains actes présentent réellement quelques particularités de fait qui leur assignent une place à part dans l’ensemble des arêtes remplis par le pouvoir exécutif. Pour leur détermination, il importe, tout d’abord, d’écarter comme absolument inadmissible la conception qui, s’attachant exclusivement à la forme des actes, voit des autres de gouvernement dans toutes les décisions de l’autorité publique délibérées en conseil des ministres, dans les actes approuvés par un vote des Chambres, etc., théorie peu sérieuse à laquelle nous pouvons nous dispenser de nous arrêter (cf. Hauriou, op. cit., p. 396). Cette élimination faite, nous estimons qu’il y a des actes de gouvernement qui se distinguent, en fait, des actes administration ordinaires en  qu’ils exonèrent le règlement des grands intérêts nationaux et qu’ils ne sont pas remplis pour assurer directement la satisfaction des besoins courants du publie. Ces actes concernent généralement l’organisation de l’Etat et l’aménagement de la chose publique considérée en elle-même (I). On a contesté la légitimité de cette conception, fondée, cependant, sur l’observation des faits, en soutenant que les prétendus actes de gouvernement ne se distinguaient en rien des actes administratifs ordinaires et qu’ils devraient, par conséquent, avoir. tous points, suivre, à quelques exceptions près, le sort de ces derniers. Si, en la forme, il n’y a certainement aucune différence marquée entre les deux catégories d’actes, s’ils émanent des mêmes organes et qu’apparemment il n’existe pas de fonction gouvernementale indépendante de la fonction administrative, il faut, néanmoins, reconnaître que lorsque l’ on s’ attache à l’ objet concret et précis des divers actes remplis par le pouvoir exécutif, on ne peut que constater une différence certaine entre les deux groupes d’arêtes. 

Théorie du mobile politique

 II est regrettable que, jusqu’à la fin du siècle dernier, sous l’influence des idées politiques de l’époque, le Conseil d’Etat n’ait pas su imposer une théorie restrictive de l’action gouvernementale soustraite à la prise du juge. La jurisprudence de cette époque, en matière d’actes de gouvernement, consacrait nettement l’immoralité administrative la plus flagrante. Sous Ia pression politique et alors qu’il ne jouissait encore d’aucun pouvoir propre, le haut tribunal administratif avait . admis, en effet, comme critère de l’acte de gouvernement, la théorie étrange du mobile politique qui enlevait à son examen un grand nombre d’actes qui, par Leur nature intrinsèque, ne se distinguaient en rien des actes administratifs ordinaires. De ce fait, tout acte administratif inspiré par des motifs de haute police prenait Le caractère d’ acte de gouvernement. C’était le régime de la raison d’Etat. On peut croire que c’est cette théorie qu’avait surtout en vue M. Vivien lorsqu’il déclara, au cours des débats ayant précédé le vote de la loi du 3 mai 1849, qu’ « il est. .. des (( droits dont la violation ne donne pas lieu à un recours cc par voie contentieuse » et que cc dans un gouvernement c( représentatif, sous le principe de la responsabilité, il est « des circonstances ou, en vue d’une grande nécessité « publique, les ministres prennent des mesures qui blessent « des droits privés » ct dont ils ne sauraient répondre que devant Ie pouvoir politique, parce que ]le contrôle contentieux serait de nature à paralyser une action qui s’ exerce en vue de l’intérêt commun et à créer dans l’Etat un pouvoir nouveau qui menacerait tous les autres. « Ce qui fait (( l’acte de gouvernement, disait, d’autre part, Dufour à (( cette époque, c’est le but que se propose ,son auteur. L’acte (( qui a pour but de défendre la société prise en elle-même (( ou personnifiée dans Ie gouvernement, contre ses ennemis cc intérieurs ou extérieurs, avoués ou cachés, présents ou cc à venir, voilà l’acte de gouvernement (I). Le Conseil d’Etat a eu l’occasion d’exposer cette théorie du but, caractérisée par le mobile politique, dans plusieurs arrêts. Dans une affaire de cession du droit aux arrérages d’une rente concédée par Napoléon à la princesse Borghese, i1 opposa à la réclamation du banquier cessionnaire l’ argument politique, écartant le recours, sous prétexte c( que la réclamation … tenait à une question politique, dont la décision « appartient exclusivement au gouvernement )) (Cons. d’Et. le mai 1822 Laffitte). En 1838, à propos de réclamations élevées par des membres de la famille Bonaparte en vertu du traité de Fontainebleau du 11 avril 1814, le Conseil d’Etat opposa également une fin de non-recevoir en déclarant « que les questions que « présentaient à résoudre les requêtes se rattachent, soit « à des traités et conventions diplomatiques, soit à des actes « de gouvernement ayant Le caractère essentiellement politique, dont l’interprétation et l’exécution ne pouvaient lui « être déférées par la voie contentieuse )) (Cons. d’Ét. 5 décembre 1838 duchesse de Saint-Leu S. 39.2.552). Par arrêt du 18 juin 1852 Famille d’Orléans (S. 52.3.307), le Conseil décide que « c’est au gouvernement, à l’exclusion « des tribunaux, qu’il appartient d’apprécier et de connaitre « de l’exécution des décrets ou actes du gouvernement ayant (\ le caractere de mesures de haute administration, alors ({ même que l’on prétendrait que ces actes portent atteinte ({ à des droits de propriété privés; que dans cette catégorie ~( rentre le décret du 22 juin 1852 qui ordonne la restitution {( au domaine de I’Etat des biens faisant l’ objet de la dona- {( tion du 7 aout 1830 par le roi Louis-Philippe à sei « enfants )). ‘ Une affaire souvent citée est celle dans laquelle le Conseil d’Etat fut appelé à statuer SUl’ la régularité d’une saisie administrative d’un livre publié par le duc d’ Aumale, saisic motivée par la raison d’Etat. Par décision du 9 mai 1867 duc d’Aumale et Lévy (S. 67-.2.124 avec les conclusions de M. Aucoc), le Conseil, considérant, à titre subsidiaire, « que la mesure par laquelle le préfet de police avait prescrit. .. la saisie des exemplaires et la décision du ministre de l’Intérieur … qui avait confirmé cette mesure, étaient « des actes politiques qui ne sont pas de nature à être déférés « au juge, pour excès de pouvoir, par la voie contentieuse )), opposa au recours formé par les intéressés une fin de non recevoir, alors, d’ailleurs, que les tribunaux judiciaires  avaient déjà admis, dans cette affaire, le déclinatoire de compétence proposé par le gouvernement (I) (2). 

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