La nécessité de solutions particulières

 La nécessité de solutions particulières

L’arbitrage financier vient traduire la diversité des stratégies que peuvent adopter les actionnaires pendant les offres publiques. Il s’agit de comportements apparaissant comme étant particulièrement exagérés dans le sens où ils sont quasiment à l’extrême du désintéressement qu’un actionnaire peut porter à la société. Ils reflètent néanmoins parfaitement la grande diversité des pratiques que l’actionnaire, détenteur des titres de la société, peut appliquer en période d’offre publique. L’ensemble de ces comportements ont des motivations et des conséquences différentes. Elles traduisent une pluralité réelle de l’actionnariat. La notion d’actionnaire apparaît comme étant protéiforme et peut difficilement recouvrir un comportement qui soit identique à l’ensemble des parties. Ces comportements rentrent alors en contradiction avec un droit des offres publiques fondé sur l’égalité des actionnaires et ne faisant aucune distinction entre les différentes catégories d’investisseurs. Ce droit offre une protection identique à des investisseurs qui ont des attitudes totalement différentes vis-à-vis de la société. On peut clairement distinguer entre ces comportements, distinction qui vient bouleverser cette notion d’égalité qui est la pierre angulaire des offres publiques étant donné que certains actionnaires pourront apparaître comme abusant de la protection offerte par ce principe (§1). Ces constatations remettant en cause le principe de l’égalité des actionnaires pendant les offres publiques il nous faut envisager quelles évolutions seraient de nature à rééquilibrer le déroulement de ces dernières, surtout en cas d’offre hostile. Ces deux pistes peuvent être qualifiées d’options négatives car elles visent à porter atteinte aux droits de certains actionnaires. La première question porte sur la place des dirigeants lors des offres publiques. Il est soutenu que ces derniers doivent se voir redonner une plus grande marge de manœuvre pour pouvoir mettre en échec des offres pouvant porter préjudice à long terme à la société. Une telle évolution éviterait que les actionnaires arbitragistes favorisent le succès d’une offre qui ne serait pas pertinente pour la société cible. Une telle évolution semble peu probable même si des modifications intéressantes peuvent être envisagées, la neutralisation apparaissant souvent excessive. L’autre évolution envisagée est de priver certains actionnaires de droit de vote en assemblée générale, surtout pendant celle visant à l’approbation de mesures de défense, en fonction de leur durée de présence au capital. Cette réintroduction d’une certaine clause de stage semble être la solution préférable à l’heure actuelle, à défaut d’être la meilleure.

Egalité des actionnaires et diversité de l’actionnariat

Cette distinction entre les différentes stratégies actionnariales vient consacrer une thèse déjà développée en droit des sociétés par le Professeur François-Xavier Lucas selon laquelle on peut distinguer en fonction des différents actionnaires et de leur lien avec le contrat social, leur partage de l’affectio societatis propre au contrat de société. Cette nouvelle summa divisio se retrouve dans les offres publiques entre les actionnaires portant attention à l’avenir à long terme de la société et les autres, ne souhaitant réaliser qu’une opération financière, comme les arbitragistes (A). Ce constat vient bouleverser le droit des offres publiques. Ce dernier est fondé sur le principe cardinal de l’égalité des actionnaires dans les offres publiques. Tout actionnaire doit recevoir un traitement égal sauf si la situation est différente1906. Ce principe est même à la source des offres publiques et trouve de nombreuses conséquences dans ce droit. La constatation de la diversité des actionnaires et des stratégies actionnariales incite à se poser la question de la pertinence de ce principe. On peut se demander si l’ensemble des actionnaires doit bénéficier de la même protection alors que ceuxci adoptent des stratégies foncièrement différentes. Surtout, certains actionnaires utilisent ce principe et leur qualité d’actionnaire pour adopter des comportements qui sont à l’opposé de la vision du législateur. On peut dès lors se demander s’il n’y a pas une certaine forme d’abus de ce principe (B). A. La consécration d’une nouvelle summa divisio . Le professeur François-Xavier Lucas a émis une distinction entre les différents actionnaires selon leur participation à l’affectio societatis propre au contrat de société (1). Cette thèse, bien que ne concernant initialement pas ce domaine des offres publiques, y trouve néanmoins sa consécration avec les différentes stratégies et les différents comportements qui peuvent être adoptés par les investisseurs . La thèse de la distinction entre les actionnaires et les bailleurs de fonds. 630. La distinction entre les différents investisseurs selon leurs liens avec l’affectio societatis de la société a été développée par François-Xavier Lucas (a). Des critiques ont cependant été apportées à cette thèse, tout particulièrement sur la question du critère pouvant permettre une distinction entre les différents actionnaires et procéder ainsi à une summa divisio entre ces derniers (b). a. La thèse défendue par François-Xavier Lucas. 631. La distinction entre les actionnaires et les bailleurs de fonds. La question de savoir si les actionnaires forment un tout uniforme au capital d’une société sans qu’aucune distinction ne puisse être faite a déjà été prise en compte par la doctrine juridique. On peut tout d’abord estimer que l’actionnaire dans une société cotée est différent de l’actionnaire dans une société non cotée ou de l’associé d’une société de personnes1907. Il est dès lors évident que les actionnaires auront des comportements et des attitudes différents en fonction d’un nouveau critère qui est celui de l’admission, ou non, des titres de la société sur les marchés financiers. Selon François-Xavier Lucas, on peut prendre le critère de l’affectio societatis pour séparer entre ces deux catégories d’actionnaires. L’affectio societatis est un élément propre au contrat de société et est essentiel à la définition de l’associé. « Ce qui caractérise l’associé, c’est cet affectio societatis qui doit l’animer. Voilà un contrat, le contrat de société, pour lequel on ne se soucie pas seulement du consentement des parties, mais qui requiert de tous les contractants une foi partagée, une « volonté d’œuvrer ensemble au succès d’une entreprise commune ». La loi leur demande de mettre en commun le gain et le dommage et d’entretenir des rapports de fraternité qui vont bien au-delà de ce que l’on exige de cocontractants »1908 . Le Professeur Lucas propose dès lors d’utiliser ce critère pour catégoriser entre les actionnaires et les bailleurs de fonds, « La vérité est que l’affectio societatis de l’actionnaire d’une société dont les titres sont admis à la cote sur le marché boursier est presque toujours inexistant. Or, si l’affectio societatis constitue bien ce critère qui permet de distinguer le contrat de société d’autres contrats, on est tenté de se demander si l’actionnaire est encore un associé »1909. La thèse défendue est que certains actionnaires, techniquement définis comme tels car détenant ces titres, ne partagent pas le moindre affectio societatis et peuvent donc difficilement être analysés comme étant des actionnaires à part entière. 632. Les associés ne partageant pas l’affectio societatis seraient alors de simples bailleurs de fonds. « Certains financiers prennent la qualité d’actionnaire pour réaliser un apport de capitaux propres à une société, sans avoir, à aucun moment le souhait de participer au risque de l’entreprise commune » . Le Professeur Lucas citait l’exemple des conventions de portage par lesquelles le propriétaire des titres sera certain de les céder à un prix pré déterminé. Ce critère peut cependant être étendu et concerne d’autres actionnaires qui détiendraient des titres mais ne souhaiteraient absolument pas s’intéresser à la politique mise en place par la société. Cette évolution se trouve renforcée par l’évolution des titres financiers  même si ces derniers, nous le verrons, ne peuvent être un critère pertinent pour catégoriser les actionnaires. Il existait une ancienne summa divisio, qui était néanmoins de plus en plus brouillée, entre ceux qui sont actionnaires et ceux qui ne le sont pas, ceux qui sont propriétaires des titres et les autres. Ainsi, « Entre les divers bailleurs de fonds qui financent l’activité d’une société par actions, la summa divisio ne peut plus être établie entre ceux qui sont actionnaires et ceux qui ne le sont pas. Une distinction plus pertinente doit être proposée entre ceux qui sont de véritables associés et les autres ». 633. Les implications de cette thèse. L’implication majeure de la thèse développée par le Professeur Lucas est de refonder le droit des sociétés en distinguant parmi les investisseurs. « Il y a lieu de distinguer, parmi les actionnaires, entre ceux qui ont véritablement une âme d’associés et ceux qui se bornent à réaliser un investissement sans avoir une telle ambition. (…) Aujourd’hui il faut s’entendre sur cette idée élémentaire que tous les actionnaires ne sont pas du même bois. Certains sont de vrais associés, d’autres sont de purs investisseurs, c’est-à-dire des créanciers qui ne voient dans l’action que l’enrichissement qu’elle va leur procurer et négligent le pouvoir qu’elle pourrait leur conférer »1914. On aurait ainsi d’un côté les actionnaires s’impliquant pleinement dans la société et partageant cet affectio societatis et de l’autre de simples investisseurs financiers ne cherchant que la réalisation d’une plus-value et ne participant en rien au contrat de société. Cette séparation entre actionnaires et bailleurs de fonds pourrait conduire à des évolutions majeures en droit des sociétés. « Un véritable droit des sociétés s’appliquerait aux associés, un droit de l’investissement s’appliquerait aux investisseurs qui ne peuvent être regardés comme des associés »1915. On aurait alors à faire à une nouvelle summa divisio. Le droit des sociétés a déjà commencé à évoluer dans ce sens avec des règles spécifiques pour réglementer les sociétés cotées. Selon le Professeur Lucas, cette distinction permettrait de redonner un certain sens à certaines règles qui ne font sens que si l’actionnaire est réellement un actionnaire et non un simple bailleur de fonds (comme avec la réglementation sur les clauses léonines ou l’intangibilité du droit de vote). Conférer au droit de vote un caractère quasi-sacré n’a aucun intérêt si l’on est en présence d’un bailleur de fonds.

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