La notion de « gestion collective »

REPRENDRE PRISE. Faire surgir, enquêter, calculer : les ayants droit comme public

Les Sociétés de Perception et de Répartition des Droits d’auteur et droits voisins (SPRD)

En février 2000, l’Inspection générale de l’administration des affaires culturelles remettait à son ministre de tutelle le premier rapport sur les Sociétés de perception et de répartition des droits d’auteur et droits voisins (SPRD). Vu la fragilité structurelle des emplois du secteur culturel, le système de rémunération indirecte constitué par le mécanisme du droit d’auteur est déterminant pour le revenu global de ce secteur économique. Les pouvoirs publics pressentent-ils l’impact du basculement numérique sur ce système hyper-complexe, opaque et très fermé ? Toujours est-il que ce rapport confirmera des lacunes dans la transparence de ces sociétés civiles et donnera lieu à la mise en place d’une commission permanente de la Cour des comptes chargée de remettre un rapport annuel sur l’activité des SPRD. En évitant de nous perdre à notre tour dans la nébuleuse de la « gestion collective », nous allons tenter de souligner combien ces multiples sociétés sont parvenues à construire un tissu d’acteurs particulièrement robuste, qui permettra, le moment venu, d’obtenir du législateur un nouveau pouvoir : celui d’enquêter sur les réseaux pair-à-pair. Origines, périmètres et fonctions de représentation L’édifice du droit d’auteur se confond dès ses origines avec l’histoire des sociétés chargées de percevoir, de répartir et de contrôler – en un mot de gérer – les flux économiques produits par les conséquences des textes législatifs. À tel point que l’on peut considérer que c’est autant le dispositif légal du droit de propriété littéraire et artistique qui a produit les SPRD que l’inverse. Avant l’adoption du décret du 13 118 janvier 1791 qui instaure « la liberté des théâtres et confère à l’auteur, pendant sa vie, le droit d’autoriser ou d’interdire la représentation de ses œuvres, sur tout le territoire de la République », les auteurs dramatiques s’étaient organisés en société autour du célèbre Pierre-Auguste Caron de Beaumarchais qui prit la tête de la bataille contre les comédiens du roi. Le 3 juillet 1777, se constitua ainsi le premier « Bureau de la législation dramatique », premier collectif civil d’auteurs au monde à s’organiser de la sorte. Immédiatement, les sociétaires, bien que confortés par la loi, se heurtent à la difficulté de son application : comment, en effet, concilier ce nouveau droit individuel de l’auteur d’être en capacité théorique d’autoriser ou d’interdire toute représentation de son œuvre sur l’ensemble du territoire national avec l’impossibilité matérielle pour chacun d’eux de vérifier personnellement l’effectivité de ce droit que l’État s’est bien gardé d’assumer et de garantir directement et en propre. Le problème de la représentation est au cœur de la création du premier mouvement des sociétés d’auteurs. Le partage des privilèges juridiques dont bénéficiait la Comédie française est revendiqué par des citoyens ordinaires, profanes du droit mais particulièrement attachés et concernés par le sujet en tant qu’auteurs des œuvres. Face à cette controverse un public va émerger, se mobiliser et s’organiser empiriquement sur le long terme. Afin de cadrer les conséquences indirectes – sous la forme d’un manque à gagner – de la situation juridique antérieure de privilège royal, un nouvel instrument – le droit d’auteur – va être instauré par la loi. Mais, et c’est peut-être là le plus important, des dispositifs empiriques de construction de la représentativité des auteurs, de coordination des droits et de surveillance de leur respect par des pouvoirs d’enquête, vont être immédiatement érigés. Ainsi, pour coordonner une action nécessairement collective de contrôle de la représentation des œuvres, le Bureau de la législation dramatique s’est doté d’une agence de perception mandatée par les sociétaires pour assurer la perception, la répartition et le contrôle de leurs droits sur le territoire français. Par voie d’annonce dans la Gazette nationale et le Mercure de France, les auteurs sont invités dès 1792, « à déposer chez un notaire une procuration habilitant le sieur Framery à assurer la perception de leurs droits ». Ainsi naquit la fameuse « gestion collective » qui permit de traduire dans les faits les principes légaux du droit de propriété littéraire et artistique en autorisant une réduction des coûts de transaction entre auteurs et diffuseurs, sans laquelle les coûts de contrôle des ayants droit seraient devenus trop élevés par rapport au bénéfice de la cession des droits. Symétriquement, les coûts de recherche pour les diffuseurs auraient été prohibitifs s’ils avaient dû, par eux mêmes, prendre en 119 charge les coûts de recherche des ayants droit pour sécuriser leurs propres revenus. Certes, organiser une représentativité démocratique des auteurs s’inscrit toujours dans une béance entre les représentés – qui ne savent pas toujours ce qu’ils veulent – et leurs représentants, conférant à la démocratie représentative une imperfection originelle irréductible selon Callon, Lascoumes et Barthe (2001: 163). Près de deux cent cinquante ans après l’établissement de ces grands principes de coordination, le paysage des SPRD s’est considérablement élargi en raison de la multiplication des technologies de distribution de l’information. Parallèlement, les associations entre ayants droit se sont fortement renforcées, complexifiées et rigidifiées au point de représenter une force politique essentielle de l’économie de la culture, tant sur le plan national qu’international.

Régime juridique

La notion de « gestion collective » qui est au cœur du dispositif opératoire du droit d’auteur ne présente pas une définition univoque, que l’on se place sur le plan des usages ou sur le plan du droit. Certes, dans le langage courant on peut considérer que la gestion collective s’exerce dès qu’un même opérateur tient les comptes, perçoit et rémunère en droits d’auteur ou droits voisins, plusieurs ayants droit. Ainsi, dans le domaine littéraire, les éditeurs jouent pour partie ce rôle, de même que les producteurs pour l’audiovisuel. Au sens du droit, tel qu’exposé dans le Code de propriété intellectuelle, la gestion collective caractérise plutôt, de manière volontaire ou obligatoire par décision législative, des groupements d’ayants droit en fonction des secteurs culturels (musique, audio-visuel, littérature…) et des catégories de droits évoqués plus haut (droits exclusifs, droits voisins, rémunération équitable, copie privée…). Fidèles à l’origine personnaliste du droit d’auteur, les SPRD cumulent ou associent d’une part une gestion collective volontairement décidée sous cette forme par les ayants droit et de l’autre une gestion collective rendue obligatoire sous cette forme par la loi. Si les SPRD sont des sociétés civiles d’une forme particulière régies par le code de propriété intellectuelle, elles sont néanmoins soumises à d’autres droits comme celui de la concurrence au regard duquel elles présentent aussi de nombreuses singularités tant au niveau national qu’européen ou international. Comme l’a indiqué le Conseil de la concurrence (avis n° 93-A-05 du 20 avril 1993), les activités des SPRD sont pour l’essentiel des prestations de service. Dans la mesure où leur fonction principale réside, tant pour les ayants droit que pour les diffuseurs, à faciliter la coordination et ainsi réduire les coûts de transaction et sécuriser les activités économiques, le fait que chaque SPRD soit en situation de monopole de fait sur un territoire est une dimension essentielle de l’efficacité de son modèle socio-économique. Ayants droit et utilisateurs ont un intérêt réciproque à une simplicité maximale et une concentration des répertoires afin d’éviter leur émiettement qui serait un obstacle et à une contradiction à l’efficacité de l’exploitation économique des œuvres. Cette position de monopole de fait au regard des règles européennes de libre circulation des biens, des personnes et des services a été contestée tant par la Cour de justice européenne que par le Conseil français de la concurrence. Position dominante sur un territoire national accentuée par le fait que chaque SPRD nationale a tissé un vaste réseau d’accords de réciprocité pour chaque catégorie de droits et d’ayants droit avec les sociétés homologues des autres États. Ainsi, le degré d’intrication déjà très élevé au niveau national s’est renforcé par l’établissement de dizaines d’accords de réciprocité entre sociétés sœurs afin de cadrer rigoureusement les flux de biens culturels transfrontaliers. 

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