La perspective théorique retenue et sa pertinence scientifique

Le préformage des renforts à fibres naturelles

La majorité des travaux sur le préformage 3D des renforts 2D à fibres naturelles concerne les tissus. Généralement, le renfort est préformé sur un dispositif externe ayant la même géométrie que le moule d’injection mais permettant d’imposer des forces de déformation plus importantes que lors de la fermeture du moule d’injection. Les déformations qui se produisent durant le préformage d’un renfort multicouche sont une combinaison de plusieurs phénomènes complexes (traction biaxiale, cisaillement intraplis, compaction, flexion). Selon l’architecture et l’orientation du renfort par rapport au poinçon, le nombre de plis et la complexité géométrique du poinçon, certains défauts apparaissent. Moothoo et coll. [64] ont étudié le préformage d’un renfort de lin de type taffetas sur un dispositif de formage muni d’un poinçon tétraédrique et d’une matrice (moule femelle) ouverte permettant la prise d’images par caméra. Les auteurs observent la présence de certains défauts comme des surépaisseurs et des replis sur certaines faces de la préforme et en dehors de la zone utile (Figure 2.2). Ces replis s’expliquent par le fait que sous l’effet des déformations imposées par le dispositif, les mèches viennent en contact les unes avec les autres au fur et à mesure que le cisaillement intraplis augmente. L’augmentation progressive et continue de ce contact se traduit par une augmentation des phénomènes de compression latérale entre les mèches, une augmentation de la rigidité de cisaillement et une diminution de l’angle entre les fils de trame et les fils de chaîne.

En-dessous d’un certain angle, dit angle de blocage, les fils commencent à onduler, ce qui se traduit par l’apparition de replis. Cette étude montre que certains paramètres comme la constitution des mèches, le nombre de fibres par fils, l’alignement des fibres ainsi que l’architecture (taffetas, toile, sergé) du renfort ont une influence significative sur sa déformabilité et la qualité fmale de la préforme. Les auteurs observent aussi qu’il est possible de réduire l’amplitude des replis ou du moins de limiter leur apparition en augmentant localement la tension dans les fils des renforts grâce à un serreflan. La Figure 2.3a présente les courbes de cisaillement obtenues dans le test de cisaillement intraplis (cisaillement treillis). On y distingue trois zones caractéristiques du cisaillement des tissus et les angles correspondants. Au début de la zone l, l’effort mesuré est faible car il y n’a pas encore de contact entre les mèches de même direction et les seuls efforts sont causés par le frottement entre fils de chaine et fils de trame. Dans la zone 2, les mèches commencent à se toucher et l’angle de blocage (Figure 2.3b) est atteint. Ce contact entre mèches voisines s’accompagne d’un début de compaction latérale. Cette dernière est d’abord partielle dans la zone 2 puis s’intensifie dans la zone 3; ce qui se traduit par l’augmentation nette de l’ effort de cisaillement. À partir de la zone 3, on commence observer la formation de replis [60,90]. La Figure 2.3b, décrit l’angle de blocage et les deux manières de le calculer en fonction de la rotation des fils de trame ( en rouge) [63].

Les politiques éducatives, le NMP et l’assurance qualité

L’ infléchissement des politiques éducatives depuis les années 90 prend ses sources, comme nous l’avons évoqué plus haut, dans l’ application du NMP et de l’assurance qualité. Et cette arrivée du NMP dans les services publics s’est accompagnée de la réduction des dépenses publiques. Dans un contexte de crise économique, l’ intervention de l’État est contestée, du fait des supposées inefficacité, inadéquation et inefficience des services publics centralisés (Dupriez et Franquet, 2013). Le but est donc d’accroître l’ efficacité dans le fonctionnement des services publics, tout en réduisant leurs coûts (St-Germain, 200]). Ainsi, de nouvelles pratiques, tout au moins perçues comme telles, sont prônées en même temps que sont procédées des compressions financières. Tout en se gardant d’une vision simpliste, car il n’ y a pas de consensus ni sur la définition sur les formes que prend le NMP, quelques caractéristiques peuvent en être dressées: « participation décisionnelle accrue des usagers vus comme consommateurs et électeurs, obligation de résultats quantifiables, décentralisation, imputabilité accrue, mise en place de cadres de contrôle » (St-Germain, 2001). Le NMP s’apparente à une extension de la pensée comptable dans l’ action publique et en redessine les contours. L’ État adopte le vocabulaire et les instruments gestionnaires issus du secteur privé, tout en exerçant un contrôle accru (Broadfoot, 2000; Hassenteufel, 2011). L’ idée fondatrice de base est la conduite du gouvernement comme une entreprise (Osborne et Gaebler, 1992) en s’appuyant sur des concepts et des approches comme: la recherche de la performance, l’ évaluation des résultats, la standardisation des opérations, la redevabilité, l’ évaluation des opérateurs et la mise en place de mécanismes de sanction avec un accroissement du contrôle (car on ne peut acheter, comme dans le secteur privé, la loyauté à l’ entreprise) (St-Germain, 2001 , p.17).

Avec le NMP, se déploie une nouvelle façon de piloter et d’ évaluer les services publics et les politiques publiques. Outre les éléments déjà listés, les établissements sont mis en compétition, afin de stimuler leur performance et le degré de satisfaction des usagers, plutôt désignés comme clientèle. L’ évaluation de l’ action publique n’ est pas nouvelle et son développement est lié à celui de la recherche appliquée en sciences sociales (Aubin, de Visscher et Trosch, 2016) et à la rationalisation de l’ intervention publique (Hassenteufel, 2011). Avec l’évolution de l’action publique, les instruments d’évaluation changent (Lascoumes et Le Galès, 2012). L’ histoire de l’évaluation peut être figurée, notamment aux États-Unis, en deux grandes vagues: celle des années 1960, puis celle des années 1980 (Aubin, de Visscher et Trosch, 2016). Dans les années 1960, l’évaluation devient un outil de gestion publique, insérée dans les politiques publiques, en suivant une approche expérimentale (Aubin, de Visscher et Trosch, 2016). C’est avec la deuxième vague que s’ imposent les pratiques d’ assurance qualité dans une logique de calcul de coûts (Aubin, de Visscher et Trosch, 2016; Gorga, 2012). Les indicateurs de performance et tableaux de bord deviennent les instruments de contrôle. Certes, la qualité était évaluée auparavant: cette visée d ‘améliorer l’enseignement et l’apprentissage afin d’ accroître les qualifications nécessaires de la population au regard de l’économie n’est pas nouvelle (Maassen, 1997). Par exemple, aux États-Unis, dès le XlXe siècle, les programmes sont évalués et les établissements universitaires sont accrédités par des organisations régionales et professionnelles. Avec l’ expansion de l’enseignement supérieur dans les années 60, l’État fédéral développe de nouvelles structures, les SHEEO (State Higher Education Executive Officers), qui ont pour rôle d’ accréditer les établissements et de porter un regard sur leur financement, qui est, par ailleurs, cadré par des mécanismes per capita (Gorga, 2012; Hillman, Tandberg et Sponsler, 2015). Cependant, la qualité change d’ acception. Dans les années 80, face aux doutes sur la qualité de l’ enseignement supérieur au moment où l’économie connaît des faiblesses, l’assurance qualité est mise en oeuvre autant « comme instrument d’action à part entière, à la fois dans les stratégies de gestion des universités et dans les politiques gouvernementales » (Gorga, 2012, p.219). Le développement d’ indicateurs de performance et d’ efficacité va dans ce sens (Gorga, 2012).

Les effets des changements induits par une politique éducative

Comment savoir si les apprentissages se sont améliorés à la suite d’un changement des pratiques d’enseignement consécutives à la mise en oeuvre des changements de curriculum et de mode de régulation? Selon les études réalisées, rien ne permet vraiment d’établir ce lien et encore moins de l’ expliquer: les effets positifs, quand il y en a (Martin, 2019), ne sont pas durables dans le temps (Dupriez, 2015). Cette difficulté à expliquer et comprendre le lien entre changement des pratiques d’enseignement et amélioration des apprentissages provient essentiellement de la complexité des situations et des contextes d’enseignement-apprentissage (Dupriez, 2015 ; Maroy, 2009). Le nouveau mode de régulation et de gestion qui semble partagé par les pays industriels, même si chacun d’eux le fait à sa façon, repose sur l’assurance qualité et une gestion axée sur les résultats (Chartier, Croché et Lec\ercq, 2012; Lessard et Carpentier, 2015), le but étant de favoriser une amélioration de la qualité de l’ enseignement et des apprentissages (Martin, 2019). Or, selon des études (Dupriez, 2015; Harvey, 2008), il est difficile d’ établir un lien entre mode de régulation et de gestion, qualité de l’ enseignement et amélioration des apprentissages, car, in fine , ce dernier dépend de multiples facteurs difficiles à établir et cerner. Comme le signale Harvey (2008), il est admis et pris comme allant de soi que, malgré le peu d’études faites sur la question, le nouveau mode de régulation et de gestion a des effets positifs sur l’apprentissage, alors que l’on ne sait pas. Comme le souligne Emery (2005), « l’interactivité entre différents domaines de politiques publiques rend la « traçabilité » des résultats problématique » (p.8).

Cependant des effets, positifs ou négatifs, ont été pointés pour d’ autres domaines que l’apprentissage. Ainsi, le nouveau mode de gestion semble accroître la sensibilité des acteurs sociaux envers les questions financières et d’efficience (Diefenbach, 2009). De même, le nouveau mode de gestion a favorisé les approches fondées sur les preuves dans le processus de décision, ce qui est préjugé de façon positive par les auteurs (Liu, Tan et Meng, 2015). Enfin, une attention plus grande est portée à l’enseignement et à l’apprentissage afin de les améliorer (Martin, 2019) et a conduit à une explicitation des règles entraînant une coopération accrue entre enseignants -on peut prendre comme exemple la PIEA (Liu, Tan et Meng, 2015). Mais ce sont surtout les effets négatifs qui sont mis en avant: accent mis sur ce qui est mesurable alors que tout ne l’est pas (De jours, 2016; Diefenbach, 2009; Jorro, 2014), perte de professionnalisme des enseignants (Bali, 2003; Maroy, 2009 et 2012), défiance accrue envers les enseignants et le personnel (Maroy, 2012; Vinokur, 2008), augmentation des tâches bureaucratiques standardisées (Liu, Tan et Meng, 2015), qui poussent les acteurs sociaux à produire des rapports et évaluations, même si c’ est juste de façon formelle: « il faut nourrir la bête » (Newton, 2000). Ce qui conduit à produire de documents « auditables4 » et visibles (Power, 1996; Shore et Wright, 2000); autrement dit, il s ‘agit de « prouver » d’ abord, le « faire » n’étant pas toujours apparent (Vacher, 2001). Or l’ application de l’assurance qualité pour appréhender les aspects relationnels des services présentent des limites, tant la relation humaine est difficilement standardisable quand elle implique du temps passé avec les bénéficiaires ou clients de services (Campinos-Dubernet et Jougleux, 2003). Benamouzig et Robelet (2014) ont montré comment l’ application de l’assurance qualité dans les établissements hospitaliers conduit à ce qu ‘ ils nomment une « intégration bureaucratique », caractérisée par une structuration verticale et hiérarchique, par une plus grande formalisation en liens avec l’ utilisation d’ indicateurs, par une redistribution des pouvoirs du fait de l’ importance prise par des niveaux intermédiaires : le caractère bureaucratique du déploiement des indicateurs qualité se caractérise, en termes sociologiques, par une diffusion à dominante hiérarchique et verticale, un degré important de formalisation des usages des indicateurs, et enfin la constitution de nouvelles strates d’ expertise intermédiaire, situées entre les espaces de direction et de gestion, et les espaces professionnels du soin (Benamouzig et Rodelet, 2014, p.25-26).

Table des matières

LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES ABRÉVIATIONS, DES SIGLES ET DES ACRONYMES
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 PROBLÉMA TIQUE
1.1. Les politiques éducatives, le NMP et l’ assurance qualité
1.2. Freins et facteurs
1.3. Les effets des changements induits par une politique éducative
1.4. Poser les questions différemment
1.5. La nécessité d’une autre approche
1.5.1 . Question de recherche
1.5.2. La perspective théorique retenue et sa pertinence scientifique
1.5.3. Pertinence sociale
CHAPITRE Il CADRE DE RÉFÉRENCE
2.1. Précisions sur la démarche suivie pour élaborer la revue de littérature
2.1.1. Rappel de la question de recherche
2.1.2. « Sur les épaules des géants »
2.1.3. La démarche suivie pour élaborer notre revue de littérature
2.2. De la qualité à l’assurance qualité: une managérialisation ou industrialisation
de l’ éducation?
2.2.1. Les différentes classifications de la qualité
2.2.2. L’origine industrielle des classifications de la qualité
2.2.3. L’ assurance qualité
2.3. Organisation et rationalisation de l’ action sociale
2.3.1. Max Weber et la rationalisation de l’action sociale
2.3.2. Rationalité bureaucratique et rationalité managériale
2.3.3. Bureaucratie, institution et organisation
2.3.4. L’éducation: institution ou organisation?
2.4. Les politiques publiques et éducatives
2.4.1. Définir les politiques publiques et éducatives
2.4.2. La mise en oeuvre des politiques publiques
2.4.3. Régulation, politiques publiques et rationalités
2.4.4. Éducation fondée sur les preuves et recherche en éducation
2.5. L’ ethnométhodologie et la respécification des théories
2.5.1. Un bref historique de l’ ethnométhodologie
2.5.2. Idées-clés de l’ ethnométhodologie
2.5.3. Respécification des théories sociologiques formelles
2.5.4. Ethnométhodologie et politiques éducatives
2.6. Objectifs
CHAPITRE III MÉTHODOLOGIE
3.1. Les approches méthodologiques retenues dans les travaux
3.2. Les travaux sur la mise en oeuvre des politiques éducatives
3.2.1. Les travaux axés sur les acteurs individuels
3.2.2. Les travaux centrés sur les interactions
3.2.3. Les travaux centrés sur les organisations
3.3. Nos choix méthodologiques
3.3.1. Démarche retenue
3.3.2. Spécificité de l’approche retenue : la filature ethnographique
3.3.3. L’ analyse des données par la catégorisation conceptualisante
3.3.4. Les critères de scientificité
3.3.5. Les limites de notre approche méthodologique
3.3.6. Déontologie et éthique de la recherche
CHAPITRE IV RÉSULTATS
4.1. Rappel des éléments conceptuels et objectifs de recherche
4.2. Contextes et productions textuelles
4.2.1. Les productions textuelles
4.2.2. Le productivisme textuel institutionnel et organisationnel
4.2.3. La boucle de production textuelle
4.2.4. Centre de production textuelle
4.2.5. Standardisation de la production textuelle
4.3. Les allants de soi et ethnométhodes des membres
4.3.1. Allants de soi institutionnels et organisationnels
4.3.2. Allants de soi des enseignants
4.3.3. Allants de soi de la Direction des études et conseillers pédagogiques
4.4. Analyser ce qui résulte des interactions entre les différents membres participant
à la mise en oeuvre des politiques éducatives en matière d’ enseignement de qualité
4.4.1. Deux mondes à part
4.4.2. Procéduriatisation du fonctionnement.
4.4.3. Dissensus et non-dits
CHAPITRE V INTERPRÉTATION ET DISCUSSION
5.1. L’ enseignement collégial pris dans l’étau de la rationalité instrumentale
5.1 .1. L’assurance qualité: une tâche bureaucratique
5.1.2. L’enseignement collégial en vOIe de désinstitutionnalisation ou
« d’ organisationalisation »
5.1.3. La dépolitisation de la question éducative
5.1.4. Le cégep, une bureaucratie quasi-professionnelle
5.1.5. Deux éléments pour concJure
5.2. L’ethnométhodologie : une approche sociologique intégrale
5.2.1. L’ intégration de la production textuelle dans la compréhension du
fonctionnement d’une organisation
5.2.2. Retour sur le « faire une recherche ethnométhodologique »
CONCLUSION
APPENDICE A CLASSIFICATION DE LA QUALITÉ EN ÉDUCATION
APPENDICE B LAQUALITÉ PAR REEVES ET BEDNAR (1994)
APPENDICE C CLASSIFICATIONS DES THÉORIES DES ORGANISATIONS
APPENDICE D GUIDE D’ENTREVUE (EXEMPLE)
APPENDICE EIJGURE]3 P.]97
APPENDICE F FIGURE 14 P.202
APPENDICE G FORMULAIRE DE CONSENTEMENT
RÉFÉRENCES

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