La pratique de l’assistance judiciaire et les contraintes du système

La pratique de l’assistance judiciaire et les contraintes du système

Les perceptions qu’ont les principaux acteurs de leurs missions respectives permettent de dégager quelque peu le modèle de justice auquel se prête l’assistance judiciaire aux mineurs en conflit avec la loi au Burkina Faso. Les interactions entre acteurs n’échappent pas à des contraintes de différents ordres. 

Le point de vue des acteurs

En rappel, l’observation générale n°10 du Comité des droits de l’enfant, qui donne des interprétations aux dispositions de la CDE, relatives au système de justice pour mineurs, fait de l’assistance judiciaire aux mineurs aux prises avec la justice un impératif. Le texte qui y renvoie est formulé de la manière suivante: L’enfant doit bénéficier d’une assistance juridique ou de toute autre assistance appropriée pour la préparation et la présentation de sa défense. La convention exige que l’enfant bénéficie d’une assistance qui, si elle n’est pas forcément juridique, doit être appropriée. Les modalités de fourniture de l’assistance sont laissées à l’appréciation des États parties, mais en tout état de cause, l’assistance doit être gratuite. Le Comité recommande aux États parties de fournir autant que possible une assistance juridique adaptée, notamment par l’intermédiaire d’avocats ou d’auxiliaires juridiques dûment formés. Une assistance appropriée peut aussi être apportée par d’autres personnes (par exemple un travailleur social), mais ces personnes doivent alors avoir une connaissance et une compréhension suffisante des différents aspects juridiques du processus de justice pour mineurs et être formés pour travailler avec les enfants en conflit avec la loi… (Art.40 2b) ii)) On peut retenir en substance que c’est la disposition centrale de la CDE qui encadre l’assistance judiciaire aux mineurs en conflit avec la loi. Le Burkina Faso avait certes un cadre légal (loi sur l’enfance délinquante ou en danger) qui régissait déjà cet aspect de la protection pénale du mineur en conflit avec la loi, mais cette obligation faite aux États par la CDE vient renforcer les ressources juridiques dont dispose le juge pour connaître des infractions commises par les mineurs. 49 De façon inconsciente, l’assistance judiciaire vue par les acteurs clefs (magistrats, avocats et travailleurs sociaux) se rapporte aux modèles classiques de justice juvénile. En effet, le stage effectué dans l’enceinte du juge des enfants conjugué avec les interviews réalisées auprès de ces acteurs nous ont permis de classer ces acteurs en deux catégories. D’une part, les magistrats et les travailleurs sociaux ont une approche protectrice de la justice juvénile. De ce fait, ils résument l’assistance judiciaire aux tâches et missions qu’ils exercent. Un magistrat du juge des enfants résume cette pensée en ces termes: …Au regard du statut particulier qu’ont les mineurs, je veux dire leur manque de maturité aussi bien du point de vue physique que mental, nous travaillons à leur apporter toute l’attention nécessaire. De sorte que dans ces conditions, il est difficile que ces droits fondamentaux soient bafoués… (M. Ouattara, communication personnelle, 3 février 2014). Ces propos sont appuyés par une assistante sociale, qui pense que: Le travail qui est fait par les magistrats et les travailleurs sociaux est à ce jour très satisfaisant en termes de garanties des droits des enfants. Notre travail en tant qu’assistants sociaux est régi par des textes. En plus de cela, l’éthique professionnelle nous oblige à travailler correctement. Car si nous sabotons le travail, nous sommes conscients que cela aura des répercussions sur le dossier de l’enfant; et son avenir peut en être affecté. De toutes les façons, les juges exercent aussi un contrôle sur ce que nous faisons… (S. Coulidiati, communication personnelle, 5 mars 2014) D’autre part, les avocats, du fait de leur mission de représentation et de défense, semblent plus portés vers un modèle de justice. Les garanties en matière de procédures sont le substrat de l’approche qu’ils ont de l’assistance judiciaire en ce sens que: Pour assurer un procès équitable à l’enfant, mais surtout pour éviter que l’enfant ne soit victime de certaines règles de procédure, telle que celles contenues dans la loi sur l’enfance délinquante, la présence d’un avocat s’avère nécessaire. Car, elle permet de discuter l’opportunité de l’application de certaines règles de procédure à l’enfant et d’amener le juge à l’interpréter dans le sens des Conventions internationales c’est-à-dire de mettre en avant l’intérêt de l’enfant. Donc, la présence d’un avocat qui s’y connaît permet d’assurer une meilleure application de 50 la loi, en essayant d’éclairer le juge dans sa démarche. Cela me paraît important, car; les enfants qui se retrouvent devant les barreaux sont très souvent des enfants dont les parents sont pauvres, voire même indigents. Dans les rares cas où des enfants de personnes aisées ont été attraits devant les juridictions, on voit automatiquement la constitution de plusieurs avocats. Donc, instituer l’avocat pour tous les enfants à toutes les étapes de la procédure me paraît approprié, si l’on veut être en phase avec nos engagements internationaux… (G.H. Kam, communication personnelle, 5 mars 2014) Maître Oumarou B. Ouédraogo abonde dans le même sens que son confrère. Selon lui, L’assistance judiciaire d’un avocat est fondamentale car elle permet d’ « éviter beaucoup de dérapages que l’on constate en début de procédure (violences physiques et verbales, détention arbitraire, détermination de l’âge du mineur etc.). Ce d’autant plus que les instruments internationaux le prévoient » (O.B.Ouedraogo, communication personnelle, 25 février 2014). De la pratique de l’assistance judiciaire aux mineurs en conflit avec la loi au Burkina Faso, il ressort un certain nombre de problèmes qui contrarient son efficacité. Il s’agit essentiellement des contraintes juridiques, matérielles et budgétaires.

Les interactions entre les principaux animateurs des juridictions pour mineurs

Au Burkina Faso, les principaux acteurs de la justice pénale des mineurs sont constitués par les magistrats, les travailleurs sociaux, les OPJ et dans une moindre mesure les avocats. Les magistrats, maîtres du processus judiciaire sont amenés à collaborer avec les services de police et de gendarmerie qui sont en amont du processus judiciaire. En effet, ce sont les OPJ qui appréhendent ou interpellent le mineur en conflit avec la loi. Ensuite après les formalités d’auditions et de saisine du parquet, s’il y’a des raisons de poursuivre la procédure, le mineur est déféré au parquet. Dans cette œuvre, en plus d’être sous l’autorité hiérarchique du magistrat dont il reçoit les instructions, les OPJ constituent un  » partenaire » important de l’appareil juridictionnel. En agissant en début de procédure, ils parviennent à donner au magistrat une idée plus ou moins exacte de la personnalité du mineur, ce qui aide à une meilleure prise en charge au tribunal. C’est ce que nous confirme le commandant de la brigade régionale de protection de l’enfant lorsqu’il soutient que: 51 Nous sommes la porte d’entrée du mineur en conflit avec la loi dans le système de justice. Ce faisant, nous avons au-delà de l’obligation hiérarchique que nous avons de rendre compte de notre travail, intérêt à bien collaborer avec le juge. Si le travail est bien fait ici, nous sommes bien côtés et c’est aussi important pour notre image. Donc, nous sommes toujours prêts à exécuter les ordres qui viennent d’en haut… (W. Ouédraogo, communication personnelle, 13 février 2014) Les rapports de travail sont aussi cordiaux entre le juge et les travailleurs sociaux. Contrairement aux OPJ, ceux-ci ne sont pas statutairement sous l’autorité du juge. Ils relèvent du ministère de l’action sociale et de la solidarité nationale. Mais du fait de leur attachement géographique au ministère de la justice, il semble exister une sorte de relation de pouvoir au profit du juge. Car, « le juge est le pivot à partir duquel s’organise l’ensemble des activités de prise en charge des mineurs délinquants et en danger » (Bastard et Mouhanna, 2010). Dans la conduite du processus judiciaire, notamment à l’audience, il est des moments où le juge donne la parole aux travailleurs sociaux afin que ceux-ci se prononcent sur les mesures à prendre à l’endroit du mineur. Mais, en pratique cela répond plus à la satisfaction d’un impératif procédural qu’à la volonté de recueillir l’avis d’un collaborateur. Étant donné, qu’au juge des enfants, c’est le système de juge unique qui est appliqué. Dans sa mission, après avoir « assimilé les données proposées par les services sociaux, le juge rencontre les enfants et les familles en direct, sans intermédiaire, et il décide, tranche le cas échéant » (Bastar et Mouhanna, 2010). Cette situation ne manque pas de frustrer les travailleurs sociaux, qui selon eux font une grande partie du travail. C’est ce que tente d’exprimer une travailleuse sociale lorsqu’elle affirme que: …C’est nous qui faisons une bonne partie du travail de récolte des données sur la personnalité du mineur. Aussi, quand, il s’agit de l’application des mesures, nous sommes en premier plan, mais malheureusement, la plupart du temps, nous avons l’impression que les décisions sont déjà connues avant qu’on nous consulte… (Anonymat requis, communication personnelle, 13 mars 2014). Quant aux avocats, ils ont des relations d’une nature différente. Certes, tous les acteurs reconnaissent quasiment l’éminent rôle de celui-ci, mais en même temps, on peut noter une forme de méfiance vis-à-vis de cet autre acteur. Lorsqu’on pose la question aux policiers et gendarmes d’une part, et d’autre part aux magistrats et travailleurs sociaux, leurs réponses sont presqu’unanimes sur l’importance de l’avocat 52 à toutes les étapes de la procédure pénale impliquant le mineur. Mais à l’épreuve de la pratique, on se rend vite compte qu’il y’a une sorte de crainte à voir les avocats s’investir véritablement dans le processus. Nous avons tenté de comprendre cette situation de très près. L’expérience du stage que nous avons réalisé au juge des enfants nous a permis de comprendre que les OPJ (policiers et gendarmes) craignent le regard extérieur de l’avocat sur leurs pratiques très souvent peu respectueuses des droits de l’homme. Pour ce qui est des magistrats et les travailleurs sociaux, ils se « perçoivent comme les défenseurs naturels du mineur » (Bailleau, 1996, cité par Benech et Leroux, 2006). Donc, la présence de l’avocat dans la sphère de la justice juvénile est vue comme une intrusion dans un champ qui lui échappe.

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