La protection des créanciers en cas de fictivité dans la gestion ou la direction de la filiale

 La protection des créanciers en cas de fictivité dans la gestion ou la direction de la filiale

 La fictivité la plus constatée dans le cadre des groupes de sociétés produit ses effets sur la direction ou la gestion des filiales. Il arrive, en effet, que la société mère s’ingère dans les affaires particulières de ces dernières au point que l’action de leurs dirigeants perd de sa substance. C’est particulièrement le cas des groupes en difficulté, qui implique pour la société mère de prendre certaines mesures dérogatoires au processus normal des actes sociaux. C’est également le cas des groupes à caractère personnel où l’unité économique et de gestion repose sur une ou plusieurs personnes dirigeantes, détenant les postes-clés dans les différentes sociétés, et choisies à la diligence de la société mère, parmi ses dirigeants ou salariés. Dans de telles hypothèses, les tribunaux n’hésitent guère à rétablir la correspondance entre la réalité et le droit en cherchant la responsabilité de la personne derrière le dirigeant fictif, qui exerce la direction effective. Dès lors, il convient d’examiner dans un premier temps la possibilité de qualifier la société-mère ou une autre société membre du groupe de « dirigeant de fait », pour étudier ensuite les conséquences qui résultent de cette qualification. 

Sous-section I : La qualification de dirigeant de fait pour la société mère 

 Il est d’abord à souligner que la notion de  »dirigeant de fait » relève en droit français de plusieurs textes législatifs, surtout en matière de responsabilité pénale et civile des dirigeants sociaux. Des sanctions pénales identiques à celles prévues pour les dirigeants de droit peuvent être prononcées à l’encontre de toute personne qui, directement ou par personne interposée, a exercé pleinement la gestion de la société sous couvert ou aux lieu et place de ses dirigeants légaux. De même, l’incrimination du délit d’abus de crédit ou de biens sociaux s’applique de la même façon au dirigeant de droit et à celui de fait . En outre, le dirigeant de fait est intéressé par les règles relatives à l’extension de la procédure collective de la société à ses dirigeants. L’article L. 651-2 du Code de commerce dispose que les dirigeants de droit ou de fait peuvent être tenus de combler le passif social  lorsqu’ils ont contribué à l’insuffisance d’actif par leur faute de gestion. Cependant, l’établissement d’une définition précise pour le concept de  »dirigeant de fait » a fait l’objet de plusieurs tentatives doctrinales et jurisprudentielles. Rives-Lange a ainsi écrit qu’ « est un dirigeant de fait celui qui, en toute souveraineté et indépendance, exerce une activité positive de gestion et de direction d’une société1108». Selon J-P. Legros1109, « toute personne qui se substitue aux dirigeants de droit ou qui s’immisce dans la gestion de la société peut être qualifiée de dirigeant de fait ». Nze Ndong Dit Mbele (JR) 1110 a défini ce concept en écrivant : « le dirigeant de fait est la personne qui exerce la direction, la gestion ou l’administration de la société alors que ce pouvoir ne lui a pas été régulièrement attribué ». Pour M. Gibirila , la notion de dirigeant de fait suppose que « la personne concernée, physique ou morale dépourvue de mandat social, s’est effectivement ingérée dans l’administration, la gestion ou la direction de la société et a, en toute indépendance, exercé une activité positive de cette dernière ». N. Dedessus-LeMoustier a pu également souligner en ce sens que « le dirigeant de fait est celui qui dirige une société sans avoir été régulièrement investi par les organes de la société du pouvoir de la représenter  » Selon Y. Guyon , la direction de fait suppose « une activité positive et habituelle de haute gestion, entreprise en toute indépendance et liberté  ». Au regard de ces définitions, on s’aperçoit que le concept de  »dirigeant de fait » s’oppose à celui de  »dirigeant de droit » en ce que ce dernier a été expressément désigné par les statuts ou régulièrement nommé par les organes de la société, habilités à le faire  . 586. La juridiction de fond et celle de cassation ont eu de multiples opportunités pour se prononcer sur ce concept. Dans un arrêt daté du 17 juin 1987, la Cour d’appel de Paris a retenu que « la qualité de dirigeant de fait est caractérisée par l’immixtion dans les fonctions déterminantes pour la direction générale de l’entreprise, impliquant une participation continue à cette direction et un contrôle effectif et constant de la marche de la société en cause ». De son côté, la Cour d’appel de Lyon a défini le «dirigeant de fait» comme « celui qui exerce une activité positive et indépendante dans l’administration générale de la société et s’immisce dans la gestion, au besoin par personne interposée  ». La Cour de cassation s’est exprimée sur cette notion à propos de plusieurs affaires retentissantes. Dans un arrêt du 2 novembre 2005 , elle a affirmé que « le dirigeant de fait est celui qui s’est immiscé dans la gestion d’une société et qui a, en toute souveraineté et indépendance, exercé une activité positive de gestion et de direction de celle-ci ; qu’en se prononçant comme elle l’a fait, sans constater qu’en sa qualité de dirigeant de droit de la société-mère, la société Nord-Est s’était en fait immiscée dans la gestion des filiales et qu’elle avait, en toute souveraineté et indépendance, exercé une activité positive de gestion et de direction de celles-ci, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article 99 de la loi du 13 juillet 1967 du plus fort violé  ». Dans un autre arrêt plus récent, la même Cour a estimé que « peut seule être qualifiée de «dirigeant de fait» d’une société, la personne qui exerce, en toute souveraineté et en toute indépendance, une activité positive de gestion et de direction de l’entreprise ». Encore plus récemment , la Cour de cassation, s’inspirant des termes de sa décision du 26 juin 2001, a défini le dirigeant de fait comme celui « qui exerce, directement ou par personne interposée, une activité positive et indépendante d’administration générale d’une personne morale  ».

Sous-section II : Les conséquences de la qualification de dirigeant de fait

L’identification du vrai maître de l’entité sociale permet d’engager la responsabilité de la personne qui tente d’échapper aux sujétions du statut de dirigeant de droit. Comme un auteur1146 a pu le souligner à juste titre, il n’est pas question d’admettre qu’une personne puisse, même indirectement et sous couvert d’une personne physique, exercer un pouvoir de direction par personne interposée et échapper à toute responsabilité. Cependant, il faut rappeler que la qualité de dirigeant de fait ne produit pas toutes les conséquences liées à la qualité de dirigeant de droit, mais uniquement celles qui sont mises à la charge de ce dernier . Autrement dit, le dirigeant de fait « est assimilé au dirigeant de droit pour tout ce qui concerne les aspects contraignants, fiscalité et responsabilité notamment sans pouvoir se prévaloir des règles favorables inhérentes au statut de dirigeant de droit ». Une société-mère qualifiée de dirigeant de fait de sa filiale peut à ce titre être obligée de combler le passif de cette dernière  mais sans pour autant se prévaloir de cette qualité pour avoir droit de rémunération. 595. En outre, dès lors qu’il existe un dirigeant de droit et un dirigeant de fait, leur responsabilité peut se cumuler, l’une n’excluant pas l’autre . En effet, le statut de dirigeant de droit ne fait pas écran et n’empêche pas de rechercher la responsabilité du dirigeant de fait ; bien au contraire, en présence du dirigeant de fait, les juges vont engager la responsabilité du dirigeant de droit qui n’a pas su conserver ses pouvoirs. Toutes les fautes susceptibles de retenir la responsabilité du dirigeant de droit sont également imputables à un dirigeant de fait .Une société mère qui s’ingère dans la direction de sa filiale par le biais d’un dirigeant ou d’un salarié engage sa responsabilité à l’encontre des créanciers de cette dernière, de même que celui-ci ne peut se soustraire à sa responsabilité de dirigeant de droit. Toutefois, ce n’est pas seulement la logique ou les pratiques judiciaires qui justifient la poursuite du dirigeant de fait : la responsabilité retrouve aussi son fondement dans des textes législatifs afférents au droit des sociétés et au droit commun. En effet, il existe en droit français une assimilation manifeste du régime de la direction de fait à celui de la direction de droit . Les deux statuts entraînent les mêmes contraintes relatives à la responsabilité civile du dirigeant social, mais avec certaines nuances émanant de la situation financière de la société en cause. La similitude est notable lorsqu’il s’agit d’une société soumise à une procédure d’apurement de passif alors qu’elle est moins claire concernant une société in bonis.

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