La régulation des agences d ’emploi privées pour l’instauration d ‘un service public

LA RÉGULATION DES APPT

Dans ce premIer chapitre, nous allons d’abord définir en qUOI consiste le travail intérimaire et ses caractéristiques. Notre objectif est donc, dans un premIer temps, d’ analyser l’origine des APPT, les premières formes de réglementation pour combattre les nombreux abus, jusqu’à leur forme moderne: « entreprise de service d’aide temporaire ». Nous analyserons ensuite les motifs qui ont poussé les gouvernements à déréglementer ce secteur grâce aux efforts de lobby des APPT et de leurs associations. Finalement, nous allons montrer que présentement toutes les recommandations ou suggestions en vue de réglementer à nouveau les APPT se butent à des efforts de lobby provenant des associations d’APPT. L’ OIT (Organisation internationale du travail) définit le travail intérimaire comme le fait: « d’ employer des travailleurs dans le but de les mettre à la disposition d’une tierce personne physique ou morale (ci-après désignée comme l’entreprise utilisatrice) qui fixe leurs tâches et en supervise l’exécution (OIT, C-18l , 1997, art lb) ). Dans cette forme de travail, il s’établit une relation de type triangulaire entre le ou (la) salarié(e), l’agence de placement qui définit les conditions du contrat de travail et verse le salaire et l’ entreprise cliente sous la supervision de laquelle s’ effectue le travail. Cette relation tripartite est de type locatif. L’intérimaire loue sa force de travail à l’APPT et cette dernière loue les services de l’intérimaire dans l’une de ses entreprises membres (Laflamme et Carrier, 1997, p.l78). La figure 1 ci-dessous illustre les liens de la relation tripartite: l’APPT, l’ intérimaire et l’entreprise cliente.

L’intérim est la période pendant laquelle une fonction laissée vacante par le titulaire est exercée par une autre personne, d’où la signification du mot intérimaire. Une mission d’ intérim fait référence à l’entente entre l’ intérimaire et l’APPT pour travailler chez une tierce partie, l’entreprise utilisatrice (Del bar, 2002, p.28). On utilise souvent l’appellation mission, parce que dans la majorité des cas, il n’ y a aucun contrat écrit entre l’intérimaire et l’APPT. Le contrat d’intérim repose uniquement sur une promesse verbale et non écrite (Laflamme et Carrier, 1997, p.173). Bien que l’entreprise cliente supervise l’ intérimaire et définisse parfois les conditions de travail, elle échappe complètement à la relation traditionnelle entre un employeur et un employé (Moore, 1965b, p.554; Tonnancour et Vallée, 2009). La raison en est que les APPT et leurs associations professionnelles ne se Une mission dure en moyenne trois semaines, bien qu’elle puisse varier entre quelques heures et plusieurs mois (ACSESS, 2005, p.3), voire des années.

En revanche, l’ agence de placement peut mettre un terme à l’affectation de l’intérimaire en tout temps. Normalement, l’ intérimaire ne défraie aucun coût pour faire partie du bassin d’employés de l’APPT (Laflamme et Carrier, 1997, p.177), mais il existe des exceptions. Les APPT n ‘ indiquent jamais le nom de l’entreprise cliente et souvent le chercheur d’emploi ignore S1. 1e tr·av1at est temporal. re ou permanent 10 . D’ autre part, il importe de distinguer le travail intérimaire des pratiques de sous-traitance (Caire, 1973, p.l 0; Forde et al. 2009, p.657). La sous-traitance implique qu’une fraction spécifique du processus de production de la firme mère est confiée au sous-traitant (Caire, 1973, p.IO) grâce à un contrat commercial (Forde et al. 2009, p.657). Le travailleur intérimaire, pour sa part, remplit des tâches de même nature que le travailleur permanent ou à temps partiel. Il ne faut pas non plus confondre le travail à temps partiel avec la notion d’ intérim. L’intérimaire n’ est pas considéré comme salarié de l’entreprise, mais bien de l’ APPT, malgré l’ambigüité juridique sur l’ identification de l’ employeur.

Les agences de placement pour soutenir l’immigration

La colonisation de l’Amérique du Nord a complètement révolutionné le monde du travail. À compter de 1863, les agences de placement ont augmenté aux États-Unis suite à l’arrivée de la célèbre American Emigrant Company (agence publique) et de ses nombreuses rivales (agences privées) créées pour envoyer des travailleurs immigrés dans des entreprises de toutes sortes (Marks et Richardson, 1984, p.47). À partir de cette date et un peu plus tard au Canada, le marché de l’immigration pouvant lui aussi devenir très rentable, plusieurs bureaux de placement privés se sont exclusivement consacrés à ce domaine (Peck, 2000, p.229; Vosko, 2000, ch.2). Au Canada, certaines de ces agences ont existé sous le nom de « bureau de la colonisation », ces dernières étant administrées par les départements gouvernementaux de l’agriculture des différentes provinces (Labour Gazette, 1904, p.261). Elles représentent, en quelque sorte, l’ancêtre éloigné des services d’emplois publics actuels, parce qu’elles étaient dirigées par les ministères de l’Agriculture 14. Les travailleurs immigrants venant majoritairement d’Europe, voulaient travailler le plus rapidement possible et étaient disposés à accepter tout type d’emploi (Martinez, 1976, p.19). Quelques agences de placement privées payaient le transport des immigrés vers les principales villes de l’est de l’Amérique du Nord et étaient ensuite remboursées via le travail effectué par les travailleurs dans les entreprises membres (Marks et Richardson, 1984, p.47). Des frais étaient demandés aux employeurs et il y avait également des frais d’inscription pour les travailleurs européens (Marks et Richardson, 1984, p.47). Ces ouvriers souvent naïfs ne connaissaient pas ou très peu le pays d’accueil, sa langue, ses coutumes et ses différentes lois (Abbott, 1908, p.289). Cette clientèle facilement manipulable et dépendante « becomes a great temptation to an honest agent and a great opportunity to an unscrupulous one» (Abbott, 1908, p.289).

La régulation des agences d’emploi privées pour l’instauration d’un service public

En 1913, le gouvernement fédéral canadien décide d’intervenir dans tout le dominion, dans le but de contrôler les agences de placement privées liées à l’immigration (Fric, 1975, p.35; Labour Gazette, 1926, p.331). Comme le mentionne le ministère du Travail fédéral en reportant la nouvelle loi au conseil: «cette loi est destinée à protéger les immigrants contre les impositions et injustices d’agents d’emploi peu scrupuleux qui profitent de leur ignorance des conditions dans ce pays» (Gazette du travail, 1913, p.1362)17. Deux catégories de bureaux publics coexistent durant cette période, la première relevant des provinces et la seconde, des municipalités (Fric, 1973, p.ll1)18. Cependant, ces bureaux d’emplois sans but lucratif relevant de la compétence directe des municipalités n’ont pas obtenu d’impact significatif sur les agences de placement privées (Fric, 1973, p.l11). Après les années 1920, le gouvernement fédéral adopte une approche plus neutre envers les agences de placement privées, prétextant que le travail relève de la compétence des différentes provinces (Vosko, 2000, p.66). Cette époque est marquée par une chute sérieuse du nombre d’ agences de placement privées au Canada, passant de 275 établissements à 35 en avril 1926 (Labour Gazette, 1916, p.1246; 1926, 331). Pour Lawrence Fric, cette diminution est provoquée par l’ intervention des agences publiques de l’emploi qui n’ exigeaient pas de frais aux travailleurs (Fric, 1973, p.111).

Les agences de placement privées connaissent une véritable diminution lorsque les différents gouvernements provinciaux du Canada donnent de l’ampleur à leurs propres agences de placement publiques pour trouver de l’emploi en priorité aux bénéficiaires d’ assurance-chômage (Fric, 1975, p.37). En 1906, l’Ontario devient la première province canadienne à consentir à l’ ouverture d’une agence de placement gouvernementale (Labour Gazette, 1926, p.331). Le Québec adopte une première loi en 1910 et autorise le gouvernement provincial à ouvrir des bureaux de placement publics l9. Sous l’autorité de cette loi, les premiers bureaux d’emplois publics ouvrent dès 1910 dans les villes de Québec et de Montréal, et l’année suivante dans la ville de Sherbrooke (Labour Gazette, 1926, p.331). Cette loi donne également le pouvoir au conseil des différentes municipalités de réguler les agences de placement privées et de les obliger à faire rapport de leurs activités (Vosko, 2000, p.64). De plus, elle oblige les bureaux de placement privés à obtenir un permis émis par le ministre des Travaux publics et du Travail et à faire rapport lorsque nécessaire. De l’autre côté de la frontière, les États-Unis intensifient également la régulation par l’État pour résoudre les abus perpétrés par les agences privées (Martinez, 1976, p.57; Gonos, 1994, p.178). En 1914, 24 états américains légifèrent en ce sens et 19 états utilisent une régulation indirecte en instaurant un service public de l’emploi pour concurrencer les agences de placement privées (Martinez, 1976, p.57). Contrairement au Canada, cette législation indirecte serait demeurée inefficace, n’ayant pas réussi à arrêter la croissance toujours régulière des bureaux de placement privés (Gonos, 1994, p.178). Les agences de placement privées se sont répandues rapidement, se localisant dans les quartiers les plus pauvres des grandes villes pour attirer les groupes les plus défavorisés tels que les femmes, les immigrés et les sans-abri (Marti nez, 1976, p.23; Van Arsdale, 2003, p.26; Anderson, 1993; Gonos, 1994, p.212)2o.

Table des matières

AVANT PROPOS
RÉSUMÉ
TABLES DES MATIÈRES
INTRODUCTION
PROBLÉMATIQUE
É TUDES SUR LES APPT
INVESTIGATION ET DÉMARCHE
CHAPITRE 1 : LA RÉGULATION DES APPT
1.1 D ÉFINITION
1.2 ORIGINE DES AGENCES DE PLACEMENT DE PERSONNEL
1.2.1 Les premières formes d ‘agences de placement privées
1.2.2 Les agences de placement pour soutenir l ‘immigration
1.2. 3 La régulation des agences d ’emploi privées pour l’instauration d ‘un service public
1. 2.4 Les motifs à la déréglementation.
1.2.4.1 Du rôle d’ intermédiaire à celui d’employeur
1.2.4.2 Un « service » sans frais
1.2.5 Le chien de garde de la dérégulation
CONCLUSION
2 CHAPITRE 2 : UN ENCADREMENT LÉGAL DÉFICIENT DES APPT
2.1 L E PROBLÈME DE LA DÉTERMINATION DE L’EMPLOYEUR
2.2 L E DÉBAT AUTOUR DU PERMIS D’ EXERCICE
2.3 LA RÉGLEMENTATION DES APPT EN E UROPE
CONCLUSION
3 CHAPITRE 3:LA DISCRIMINATION INSTITUTIONNALISÉE À L’ÉGARD DES TRAVAILLEURS INTÉRIMAIRES
3.1 L E RÔLE DES APPT DANS L’ ÉROSION DES CONDITIONS DE TRAVAIL
3.2 L ‘INIQUITÉ DANS LES SALAIRES ET DANS LES AVANTAGES SOCIAUX
3.3 L ES FRAIS PRÉLEVÉS PAR LES APPT
3.4 L A NÉGATION DES DROITS SYNDICAUX
3.5 A UCUNE SÉCURITÉ D’EMPLOI
3.6 D ES CLAUSES QUI MAINTIENNENT LA PRÉCARITÉ D’EMPLOI
3.7 INDIFFÉRENCE À L’ÉGARD DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ
CONCLUSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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