La responsabilite contractuelle dans l’ordonnance du 10 fevrier 2016

« La science du législateur consiste à trouver, dans chaque matière, les principes les plus favorables au bien commun. » : c’est ce que déclarait Portalis à propos de la fonction du législateur, dans son discours préliminaire sur le projet de code civil de 1804 . Or il est légitime de se demander si un tel objectif a été atteint par la réforme du 10 février 2016 relative au droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Alors que depuis 1804 les dispositions du code civil n’avaient pas fait l’objet de modifications, la doctrine, sous l’impulsion européenne, n’a cessé de multiplier les projets dans le but de moderniser le droit commun des obligations. C’est dans ce cadre qu’est intervenue l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. En effet, à l’origine, avant d’aboutir à cette réforme d’envergure, plusieurs projets ont été proposés. A ce titre, on peut mentionner l’avant-projet Catala présenté au ministre de la Justice en 2005 , la proposition de réforme élaborée en 2010 par le groupe de travail dirigé par François Terré ou bien encore celle de la responsabilité civile déposée au Sénat par Laurent Béteille en 2010 . A la suite de l’habilitation accordée au Gouvernement pour procéder à cette réforme par voie d’ordonnance, ces travaux ont permis d’aboutir à un texte nouveau soumis à consultation publique qui a alors donné naissance à l’ordonnance du 10 février 2016.

Officiellement, cette ordonnance est censée répondre à plusieurs objectifs : d’abord, celui de sécurité juridique en rendant plus lisible et plus accessible le droit ; et ensuite, celui d’attractivité du droit, au plan politique, culturel, et économique . Pour remplir de tels objectifs, l’ordonnance s’est même offert le luxe d’être accompagnée d’un rapport remis au Président de la République, à défaut de réels travaux préparatoires . Ce rapport va nous servir de guide, tout le long de ce mémoire, pour comprendre la volonté réelle des rédacteurs de l’ordonnance qui n’est, pour le moins que l’on puisse dire, pas toujours claire.

En ce qui concerne la mise en œuvre de l’ordonnance, le nouveau texte est entré en vigueur le 1er octobre 2016 et s’applique donc, sauf exception, à tous les contrats conclus, renouvelés ou tacitement reconduits depuis cette date. Or l’application de l’ordonnance ne sera, a priori, que temporaire dans la mesure où peu de temps après son entrée en vigueur, le 29 avril 2016, le Garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas a lancé les travaux de la réforme du droit de la responsabilité civile. Celui-ci a soumis un avantprojet de loi à consultation publique jusqu’au 31 juillet 2016 , ce qui a abouti, très récemment, à un projet de loi en date du 13 mars 2017 . Ce projet de loi constitue alors une étape de plus sur le chemin de la réforme du droit de la responsabilité. Néanmoins, cette succession de textes aboutit à un morcellement regrettable de la réforme du droit des obligations. Au soutien de cette multiplication des textes, on peut avancer plusieurs justifications. D’abord, il a été évoqué la crainte de l’emploi de la procédure d’ordonnance qui pourrait choquer l’opinion publique étant donné que cette matière touche directement aux intérêts des victimes de dommages. De plus, on peut aussi mentionner la difficulté de la démarche qui s’avère plus importante que pour les autres aspects du droit des obligations .

En tout état de cause, l’état du droit positif tel qu’il résulte de l’ordonnance du 10 février 2016 incite davantage à procéder à une réforme du droit de la responsabilité civile. En effet, comme nous le verrons, les nouveaux textes relatifs à la responsabilité contractuelle laissent perplexe dans la mesure où ils semblent consacrer un régime très sévère pour le débiteur et laissent en suspens de nombreuses questions pourtant essentielles. Finalement, assez curieusement, comme le fait remarquer Monsieur le Professeur David Bakouche, le régime de la sanction de l’inexécution contractuelle issu de l’ordonnance diffère de celui qui existait jusqu’au 1er octobre 2016 et ne correspond pas non plus à celui du projet de loi du 13 mars 2017, c’est pourquoi la question suscite un intérêt. Il convient donc de distinguer trois types de régimes juridiques différents : d’abord, le régime classique applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016, ensuite, le régime nouveau issu de l’ordonnance applicable aux contrats conclus après le 1 er octobre 2016, et enfin, peut-être, l’éventuel régime tel qu’il résultera du projet de loi, assez proche du régime classique.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient d’aborder un point particulier relevant des effets du régime de la responsabilité contractuelle dans l’ordonnance, mais qui ne fera pas l’objet de développements supplémentaires dans le cadre de ce mémoire. Il est question du nouvel article 1171 selon lequel « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. ». Celui-ci constitue ainsi un nouvel instrument de lutte contre les clauses abusives en ce qu’il introduit le critère du « déséquilibre significatif » issu du droit de la consommation en droit commun. Dès lors, l’article visant « les clauses », son champ d’application est suffisamment large pour englober, d’une part, les clauses limitatives de responsabilité, et d’autre part, les clauses pénales.

En premier lieu, la systématisation des clauses abusives peut donc avoir une incidence sur la responsabilité contractuelle à travers les clauses limitatives de responsabilité. L’ordonnance reprend à droit constant les trois cas classiques de clauses réputées non écrites, à savoir le dol (C. civ., art. 1231-3), la faute lourde (C. civ., art. 1231-3), ainsi que le cas de la clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur (C. civ art. 1170). La nouveauté réside dans le fait que si ces clauses limitatives de responsabilité figurent dans un contrat d’adhésion, elles pourraient créer un déséquilibre significatif, et ainsi être réputées non écrites au sens du nouvel article 1171. Le premier enjeu de ce nouveau texte sera d’abord de déterminer son articulation avec le droit spécial, c’est à dire avec les mécanismes déjà existants en droit de la consommation et en droit du commerce. Le second enjeu consistera à façonner les contours du contrat d’adhésion car les parties seront tentées de simuler une négociation, par exemple par un échange de mails purement formels, le juge devra ainsi « faire le tri entre les vrais et faux contrats d’adhésion » . Dès lors, en dehors du champ d’application du code de la consommation et du code de commerce, la clause limitative de responsabilité contenue dans un contrat d’adhésion pourra donc également être réputée non écrite sur le fondement du droit commun au motif qu’il existe un déséquilibre significatif. Même s’il ne s’agit que d’une hypothèse limitée, il convient de mentionner cet apport de la réforme car il constituera une nouvelle source de contentieux.

En second lieu, la généralisation de la lutte contre les clauses abusives peut aussi jouer sur le régime de la responsabilité contractuelle par les clauses pénales. Comme on a pu s’interroger, une clause pénale pourra-t-elle alors tomber sous le coup du nouvel article 1171 et être réputée non écrite au lieu d’être simplement modérée ? En effet, aux vues du nouveau texte, plusieurs possibilités sont offertes au juge. D’abord, le juge dispose d’un pouvoir modérateur sur la clause pénale grâce à son pouvoir de révision (C. civ. article 1231-5 al. 2 à 4) : il s’agit là d’une solution classique sur laquelle il est inutile de revenir. En outre, a priori, en application du nouveau texte, en plus de la révision de la clause pénale, il sera possible de faire valoir le déséquilibre significatif de la clause pénale en droit commun. Ainsi le juge se verra reconnaitre la possibilité de réputer la clause pénale non écrite. En ce sens, l’article 1171 offre donc un régime de substitution.

Table des matières

Introduction
PARTIE 1 : Existence de la responsabilité contractuelle
CHAPITRE 1 : Incertitudes relatives à l’existence de la responsabilité contractuelle
Section 1 : Raisons des incertitudes dans l’ordonnance
I. Intitulés et place des textes
II. Conséquences pratiques
Section 2 : Débat doctrinal relatif à l’existence de la responsabilité contractuelle
I. Contenu du débat
II. Conséquences pratiques du débat
CHAPITRE 2 : Maintien justifié de la responsabilité contractuelle
Section 1 : Eléments de justification intrinsèques
I. Utilisation de l’expression « réparation du préjudice »
II. Maintien des spécificités relatives à la responsabilité contractuelle
III. Présentation similaire aux textes antérieurs
Section 2 : Eléments de justification extrinsèques
I. Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance
II. Projet de loi du 13 mars 2017
PARTIE 2 : Régime de la responsabilité contractuelle
CHAPITRE 1 : Charge et objet de la preuve
Section 1 : Incertitudes relatives au maintien de la distinction entre obligations de moyens et de résultat dans l’ordonnance
I. Raisons des incertitudes dans l’ordonnance
A. Distinction ancrée dans la tradition juridique
B. Distinction ignorée dans l’ordonnance
II. Sévérité inadaptée
Section 2 : Maintien avéré de la distinction entre obligation de moyens et de résultat
I. Interprétation des textes par le juge
A. Interprétation du silence des textes
B. Interprétation des articles 1197 et 1231-1
II. Projet de loi du 13 mars 2017
CHAPITRE 2 : Exonération du débiteur
Section 1 : Limitation des possibilités d’exonération du débiteur dans l’ordonnance
I. Exonération totale par la force majeure
II. Conséquences pratiques sur le régime applicable
A. Transposition de l’arrêt Desmares en matière contractuelle
B. Généralisation du régime applicable au transporteur ferroviaire
Section 2 : Maintien avéré des possibilités d’exonération du débiteur
I. Interprétation des textes
II. Possibilité de stipulation de clauses
III. Projet de loi du 13 mars 2017
Conclusion

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