LA RESTAURATION DE L’ORDRE ET DE LA JUSTICE DANS LA SOCIÉTÉ ET LE MONDE

LA RESTAURATION DE L’ORDRE ET DE LA JUSTICE DANS LA SOCIÉTÉ ET LE MONDE

« Les causes du mal étant une fois connues, le remède, s’il existe, est suffisamment indiqué par elles. Chacun voit que toute société se forme par les intérêts communs ; que toute division naît des intérêts opposés »5 Or, depuis la sortie de l’état de nature, les intérêts humains, sociaux, internationaux se croisent et s’entrechoquent. Les intérêts particuliers sont agités par l’amour-propre : L’opinion, rendant l’univers entier nécessaire à chaque homme, les rend tous ennemis nés les uns des autres et fait que nul ne trouve son bien que dans le mal d’autrui, alors la conscience, plus faible que les passions exaltées, est étouffée par elles, et ne reste plus dans la bouche des hommes qu’un mot fait pour se tromper mutuellement. Chacun feint alors de vouloir sacrifier ses intérêts à ceux du public, et tous mentent. Nul ne veut le bien public que quand il s’accorde avec le sien [.]6 Les hommes sont unis par intérêt et sont divisés par les intérêts. Omniprésent dans l’œuvre de Rousseau « l’intérêt » apparaît comme un facteur d’union et de division. Autrement dit, Rousseau indique que les intérêts sont les causes et les remèdes du désordre humain, social et mondial à la fois. Le problème est de savoir ici comment s’y prendre pour empêcher l’ordre injuste ou pour restaurer l’ordre et la justice dans la société et dans le monde. Rousseau n’a « pas affirmé que dans l’ordre actuel la chose fût absolument possible ; mais [il a] bien affirmé et [il] affirme encore, qu’il n’y a pour venir à bout d’autres moyens que ceux qu’ [il a] proposés. »7 Il a proposé aux vrais hommes politiques d’affronter franchement, honnêtement la question de l’intérêt, c’est-à-dire d’accorder les intérêts particuliers à l’intérêt général : « aussi cet accord est-il l’objet du vrai politique qui cherche à rendre les peuples heureux et bons. »8 Le bonheur et la bonté des peuples sont les conséquences de cette conciliation entre les biens privés et le bien public à l’échelle nationale et internationale.

L’ORDRE JUSTE DÉFINI PAR LE CONTRAT SOCIAL

 Selon la théorie classique de la loi de nature, il existe indépendamment de toute convention humaine, de tout ordre sociopolitique, une justice naturelle, universelle, transcendante et immanente pour les hommes. Parlant « au cœur et à la raison » humains, la loi naturelle interdit les ordres arbitraires et indique aux hommes les actions droites, leur vocation morale. Certes, ces principes naturels, universels transcendants et immanents de justice sont des guides pour les hommes, mais ils ne sont pas toujours suivis. « En prenant les hommes tels qu’ils sont, et les loix telles qu’elles peuvent l’être » dans sa recherche des règles d’une administration légitime et sûre, Rousseau remarque que la justice transcendante n’est pas respectée par tous les hommes : « toute justice vient de Dieu, lui seul en est la source ; mais si nous savions la recevoir de si haut nous n’aurions besoin ni de gouvernement ni de loix. Sans doute il est une justice universelle émanée de la raison seule : mais cette justice pour être admise entre nous doit être réciproque. A considérer humainement les choses, faute de sanction naturelle les loix de la justice sont vaines parmi les hommes ; elles ne font que le bien du méchant et le mal du juste. » 1 Une fois qu’ils ont reçu de la part de Dieu l’idée de justice, les hommes ressentent sa nécessité dès qu’ils vivent en société. Cette justice divine serait admise par les hommes si elle était réciproque, si pendant que l’individu l’observe scrupuleusement envers les autres, il était sûr qu’ils l’observeront également envers lui. Toutefois, la liberté humaine détourne les hommes de l’origine divine de la justice. Même si une justice universelle émanée de la droite raison est incontestable, tous les hommes ne la suivent pas. La justice divine ne comporte pas une sanction naturelle ou immédiate : les lois de la justice de Dieu sont vaines ici-bas. En société selon Rousseau, elles ne font que le bien du méchant qui les méprise et le mal du juste qui les observe devant les hommes indifférents. Le gouvernement, les lois civiles sont par conséquent nécessaires pour établir la justice entre les hommes dans la société : « c’est à la loi seule que les hommes doivent la justice. » 2 Si Rousseau affirme que « la loi est antérieure à la justice, et non pas la justice à la loi » 3, c’est non seulement parce qu’il pense que les termes de droit et devoir n’ont réellement de sens qu’après l’établissement de l’ordre social, mais aussi « parce qu’il est contre la nature qu’on veuille se nuire à soi-même », qu’on contredise sa propre volonté, qu’on viole sa propre loi, qu’on soit injuste envers soi-même. Cette injustice est abolie dans le Contrat social, puisque la loi positive transforme moralement l’individu et le sanctionne en cas d’infraction à la volonté générale. En d’autres termes, l’ordre défini par le Contrat social est juste, car condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres. De plus, l’aliénation se faisant sans réserve, l’union est aussi parfaite qu’elle ne peut l’être et nul associé n’a plus rien à réclamer ». 5 La clause centrale du contrat social est tellement paradoxale que l’idée d’aliénation totale a été souvent l’objet de la critique des commentateurs rousseauistes6. Et pourtant, Rousseau précise que l’aliénation totale est l’unique condition de l’égalité des membres d’une association politique. Après avoir noté le paradoxe de l’aliénation totale qui apparaît comme un non-échange, Louis Althusser souligne que celle-ci produit un « échange avantageux » en raison du« mécanisme d’autorégulation, d’autolimitation de l’aliénation » 7. Deux arguments solidaires expliquent cette idée : l’égalité et l’intérêt. Étant donné que chaque contractant donne entièrement à la communauté politique ce qu’il est (sa sécurité, sa force, sa liberté) et ce qu’il possède (ses biens matériels) 8, les contractants sont égaux dans l’aliénation. Cette clause formelle nous rappelle selon Althusser, l’inégalité des possessions dans le Second Discours, qui instaure un état de guerre : l’échange est avantageux pour le riche, puisqu’il risque de perdre davantage. Celui-ci a l’intérêt d’insister sur la clause formelle de l’égalité : « la condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres », dans ce sens que l’individu qui souhaiterait la « rendre onéreuse aux autres », la rendrait naturellement onéreuse à lui-même eu égard à l’égalité formelle impliquée dans l’aliénation totale. « C’est donc bien insiste Althusser, l’égalité qui joue le rôle régulateur-limitatif au sein même de l’aliénation totale. ».

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