La soumission des établissements publics au droit privé par leur qualification à caractère marchand

La soumission des établissements publics au droit privé par leur qualification à caractère marchand

Si l’un des objectifs du mouvement général de libéralisation depuis les années 1980, en réaction au processus de nationalisation d’après-guerre, est de diminuer les interventions publiques suspectes par leur nature même de ne pas respecter la loi du marché, l’autre consiste à soumettre les activités économiques des personnes publiques au droit de la concurrence. Gilles J. Guglielmi et Geneviève Koubi, dans leur ouvrage sur le droit du service public, résument la problématique en deux questions qui se posent autour de la notion de service public : l’une sur la définition du domaine d’intervention de l’État dans lequel les personnes publiques créent des entreprises de service public ce qui engendre l’opposition entre État-gendarme et État-providence, État réglementaire et État prestataire, enfin, libéralisme et socialisme ; l’autre sur le régime juridique applicable aux activités de service public et sur la compétence juridictionnelle pour les contentieux qui en ressortent, cette question soulevant quant à elle l’opposition entre soumission la plus large possible des services publics au droit commun et maintien d’un régime juridique exorbitant du droit commun. La politique de « modernisation », prônée également en France et en Chine à partir de la fin des années 1980, révèle en réalité une substitution progressive du modèle de l’État-régulateur à celui de l’État-providence ou de l’État socialiste que la IVème République de France et la République Populaire de Chine avaient respectivement bâti. Une fois identifié le domaine dans lequel l’État agit comme un commerçant normal (I), ce domaine peut être élargi soit pour étendre l’intervention publique, soit, en ce qui concerne l’évolution actuelle, pour réduire le domaine des activités à caractère administratif (II). 

La notion de service public à caractère marchand

 Au niveau juridique, l’une des conséquences de la confrontation entre l’interventionnisme et le libéralisme en France et en Chine est d’avoir entraîné une hétérogénéité de qualification des établissements publics. Cette division, fondée sur la nature du service que l’établissement assure (A), est largement controversée par les évolutions socio-économiques remettant en cause le lien entre la nature des missions et celle de l’établissement public qui les assure (B). La soumission des établissements publics au droit privé par leur qualification à caractère marchand A. Le critère de la nature du service Quelle que soit la divergence entre les régimes français et chinois des activités de l’administration, celles-ci font objet d’une distinction fonctionnelle (1). Pour cette raison, la question de l’application du régime juridique nécessite une recherche de critères d’identification (2).

L’origine de la distinction

 Les auteurs de Droit des services publics rappellent que « la distinction SPA / SPIC est née d’une scission au sein d’une catégorie unique, celle des services publics et que la catégorie des SPIC a été constituée, dans un premier temps, par un prélèvement sur le stock des services publics existant » . la reconnaissance jurisprudentielle des SPIC s’attache à l’arrêt du Tribunal des conflits Société commerciale de l’Ouest africain qui a suivi les raisonnements du commissaire du gouvernement Matter, constatant deux catégories de service : ceux qui « entrent dans les fonctions normales de l’État » et « ceux entrepris à titre privé » ; seuls les premiers constituent des « services publics proprement dits » tandis que les seconds s’assimilent aux activités privées. À ce titre, il convient de reproduire ces quelques lignes célèbres des conclusions du commissaire du gouvernement Matter : « Certains services sont de la nature, de l’essence même de l’État ou de l’administration publique ; il est nécessaire que le principe de la séparation des pouvoirs en garantisse le plein exercice, et leur contentieux sera de la compétence administrative. D’autres services, au contraire, sont de nature privée, et s’ils sont entrepris par l’État, ce n’est qu’occasionnellement, accidentellement, parce que nul particulier ne s’en est chargé, et […] il importe de les assurer dans un intérêt général ; les contestations que soulève leur exploitation ressortissent naturellement de la juridiction de droit commun. » 180 Ainsi, la jurisprudence Société commerciale de l’Ouest africain confirme et prolonge la distinction entre la fonction de régulation et la fonction de commercialisation au sein des activités de l’État, distinction déjà esquissée par le commissaire du gouvernement David dans ses conclusions sur l’arrêt Blanco, entre « l’État puissance publique » et « l’État personne civile » , puis théorisée par les conclusions du commissaire du gouvernement Romieu sous la décision Terrier. Selon les termes des conclusions Romieu, la distinction des activités des personnes publiques se fonde sur la « gestion publique » et la « gestion privée », « soit à raison de la nature du service qui est en cause, soit à raison de l’acte qu’il s’agit d’apprécier ». Non seulement il peut exister, au sein d’une personne publique, un « domaine privé » dont la gestion ne doit pas impliquer l’utilisation de procédés exorbitants du droit commun, mais une personne publique peut en outre agir, même dans « l’intérêt d’un service public proprement dit », comme une personne privée avec les procédés du droit commun. Dans ce cas, les personnes publiques « empruntent la forme de la gestion privée et entendent se maintenir exclusivement sur le terrain des rapports de particulier à particulier, dans les conditions du droit privé ». La « gestion privée » des personnes publiques, qui se présentait comme une exception au sens des conclusions Romieu184, est élargie et confortée par l’arrêt Société commerciale de l’Ouest africain sous la forme du service public industriel et commercial qui se distingue de la fonction administrative proprement dite du service public. Si, en France, cette distinction a été impulsée par les tendances libérales qui cherchaient un compromis entre la libre concurrence et le développement inévitable de l’intervention publique dans un contexte particulier, nous ne saurons transposer ce raisonnement en Chine au début de la République Populaire de Chine où la montée du socialisme étatique ne rencontrait aucun obstacle idéologique. Or, si l’État et ses administrations avaient vocation à assurer toutes les fonctions, administratives, économiques et sociales, et les entreprises privées devaient théoriquement disparaître un jour, quel était l’intérêt de distinguer les deux types d’établissements publics, établissements administratifs et USP ? Certes, à cette époque, la distinction était plutôt formelle que substantielle, car, d’une part, les USP étaient entièrement subordonnées à leurs établissements administratifs créateurs, d’autre part, elles étaient gérées de la même manière que les établissements administratifs. Néanmoins, c’est précisément cette distinction formelle qui a ultérieurement permis « Il peut se faire que l’administration, tout en agissant, non comme personne privée, mais comme personne publique, dans l’intérêt d’un service public proprement dit, n’invoque pas le bénéfice de sa situation de personne publique et se place volontairement dans les conditions d’un particulier ― soit en passant un de ces contrats de droit commun, d’un type nettement déterminé par le Code civil (location d’un immeuble, par exemple, pour y installer les bureaux d’une administration), qui ne suppose par lui-même l’application d’aucune règle spéciale au fonctionnement des services publics, ― soit en effectuant une de ces opérations courantes que les particuliers font journellement, qui supposent des rapports contractuels de droit commun, et pour lesquelles l’administration est réputée entendre agir comme un simple particulier (commande verbale chez un fournisseur, salaire à un journalier, expédition par chemin de fer aux tarifs du public, etc.). » le détachement des USP de leurs établissements administratifs créateurs. Il s’agit bien d’une distinction de nature entre les activités de l’État. Depuis la fondation de la République Populaire, l’image d’un État socialiste, fort et providentiel, est imprégnée dans la mémoire collective. Dans la construction du système de service public, l’État est légitimement le moteur principal. Il réalise sa mission d’intérêt public à travers les établissements de son administration d’une part, et à travers ses USP d’autre part. Mais en même temps, le souffle libéral depuis la Réforme de 1978 donne sans cesse des impulsions à la politique consistant à restreindre l’intervention de l’État dans les prestations de service et, à défaut, de la soumettre aux conditions identiques à celles des activités privées. Si, désormais, les établissements administratifs et les USP assurent tous des missions d’intérêt public, ils ne sont pas régis par le même droit. Celles-ci sont soumises au droit commun comme les personnes privées tandis que ceux-là ont leurs règles propres à suivre. Il s’avère que le gouvernement chinois, au moment de la réforme de l’administration entamée depuis les années 1980, a été confronté à un choix similaire à celui posé au Tribunal des conflits français en 1921, en ce qui concerne le régime juridique des USP : ― Soit doter les USP de la qualité de sujet administratif, c’est-à-dire soumettre leur gestion au régime exorbitant du droit commun ce qui pouvait conduire à aller à l’encontre de la politique de la réforme en élargissant le corps de l’administration et en renforçant l’interventionnisme étatique ; ― Soit considérer que les activités des USP de l’État ne diffèrent pas de celles des personnes privées et, par conséquent, doivent être soumises au droit privé. Cette dernière solution triomphe sans pour autant éclaircir la notion de la personnalité morale des USP ; elle ne résout pas le paradoxe entre la tutelle de l’État et la personnalité morale indépendante des USP. Celles-ci assument leurs responsabilités civiles, en tant que personnes privées, dans leurs relations avec les autres personnes privées ; cependant, leur gestions internes des biens publics et des personnels publics par exemple, sont souvent soumises aux actes généraux et impersonnels du pouvoir réglementaire. Ce dualisme marque l’hésitation de l’autorité politique dans la construction du système de service public entre le procédé libéral du marché et le procédé socialiste de l’interventionnisme étatique. Or, il est tout de même certain que les USP, par le biais de l’acquisition de la personnel morale indépendante, sont dorénavant séparées de leurs établissements administratifs créateurs. 70 À la suite de l’acte de séparation entre les établissements administratifs et les USP, l’État procède à une catégorisation des USP dont l’objet va au-delà d’une simple restructuration administrative . Aux termes de l’avis du Comité central du PCC et du Conseil des affaire d’État du 23 mars 2011 « promouvant la catégorisation des unités de service public » , « les unités de service public sont, selon la nature de leurs fonctions sociales, classées en trois catégories : celles chargées de missions administratives, celles exerçant des activités de production et de commercialisation et celles chargées de services d’intérêt public. Les unités chargées de missions administratives seront transformées en établissements administratifs ou séparées de leurs missions administratives ; celles exerçant des activités de production et de commercialisation seront progressivement transformées en sociétés commerciales ; celles chargées de services d’intérêt public seront conservées et leur caractère d’intérêt public sera renforcé. Dès lors il est interdit d’autoriser la création d’unités chargées de missions administratives et d’unités exerçant des activités de production et de commercialisation » 187. L’un des objectifs de cette démarche est de sauver le système des USP, mis en cause par la confusion sur la nature de leurs activités. Force est de constater que cette politique de catégorisation annonce la disparition des USP exerçant des activités de production et de commercialisation. Envisage-t-elle la fin des services publics à caractère marchand ? Il convient dès lors d’interroger la méthode d’identification de ce type de service public. 2. L’identification des services publics à caractère marchand Si la reconnaissance récente de la catégorie d’USP à caractère marchand rencontre une difficulté quant à leur identification faute de qualification automatique par les textes, la qualification des SPIC en France est aussi tributaire de cette même difficulté. De surcroît, non seulement la qualification textuelle est aléatoire et peut être incertaine , mais encore la qualification réglementaire est soumise au contrôle du juge administratif qui applique ses propres critères de qualification. La qualification de la jurisprudence administrative française repose sur une présomption d’administrativité. Autrement dit c’est aux SPIC de démontrer leur existence et non aux SPA. Cela étant, la qualification de SPIC se fonde sur trois critères, en principe, cumulatifs : objet du service, modalités de gestion et mode de financement du service190 . L’objet du service n’est pas toujours aisé à déterminer, bien qu’il offre un premier indice pour le renversement de la présomption d’administrativité du service public. Dans le silence des textes, le juge administratif examine au cas par cas l’objet du service en cause afin de savoir s’il constitue ou non un obstacle au renversement de la présomption d’administrativité191 . Quant aux modalités de gestion du service, elles doivent être adaptées à la « fonction de production ou d’échanges »  , c’est-à-dire proches de celles utilisées par les entreprises privées. Les principaux indices sont : le recours aux techniques de la comptabilité privée , le caractère commercial des contrats passés avec les usagers et notamment le financement par la rémunération perçue sur l’usager mais non par l’impôt , les modalités de fonctionnement « marquées par la pluralité des intervenants publics ou privés »  , etc.196 . Parmi ces trois critères, celui du mode de financement paraît le plus fiable et le plus opérationnel. Le service serait qualifié de SPIC lorsque son financement ne provient pas de l’impôt mais de la rémunération perçue sur l’usager. Le Conseil d’État précise, dans un décision du 17 octobre 2003, dite « Bompard », que « les tarifs qui servent de base à la détermination des redevances demandées aux usagers d’un service public à caractère industriel et commercial en vue de couvrir les dépenses d’investissement et de fonctionnement relatives à la fourniture de ce service ― y compris les dépenses correspondant à son renouvellement et à sa modernisation ―, doivent trouver leur contrepartie directe dans le service rendu aux usagers » .Ce critère constitue aussi un indice de base pour les deux autres. C’est pourquoi le Conseil d’État a fait prévaloir le critère du mode de financement lorsque l’objet du service ne peut pas répondre à la question de la distinction. Ainsi, dans un avis du 10 avril 1992, le Conseil d’État estime que « lorsqu’une commune décide de financer son service d’enlèvement des ordures ménagères par la redevance mentionnée à l’article L. 233-78 du code des communes et calculée en fonction de l’importance du service rendu, ce service municipal, qu’il soit géré en régie ou par voie de concession, doit être regardé comme ayant un caractère industriel et commercial » . Il y a eu, certes, quelques incertitudes quant à la place prépondérante du critère du mode de financement, comme l’illustre la décision du Tribunal des conflits Hôtel-restaurant de la Mense épiscopale de Strasbourg . Mais, in fine, le mode de financement peut être vu comme un corollaire du fonctionnement du service  . Le caractère opérationnel du critère du mode de financement est aussi bien pris en considération par les autorités chinoises dans leur politique de catégorisation des USP. Comme les SPIC en France, le coût d’une USP à caractère marchand devrait être supporté par les usagers mais non pas par les contribuables. Ainsi, s’établit une distinction entre les usagers effectifs et les contribuables qui sont susceptibles de devenir usagers du service public. Le service public en question reste certes toujours universel ; toutefois, l’accentuation de son caractère marchand par son mode de financement l’assimile davantage à une marchandise ou un service dans le secteur privé. Or, la question se pose non seulement de la survie de cette catégorie de services publics mais aussi de son lien avec les établissements publics qui réalisent de telles missions. 

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