LA THEORIE DE L’ETAT CIVIL CHEZ JOHN LOCKE

LA THEORIE DE L’ETAT CIVIL CHEZ JOHN LOCKE

D’emblé, il paraît important, au vue de la conception lockéenne de l’état de nature en tant qu’un état de paix libre et égalitaire, de se demander en quoi l’instauration d’un état civil serait-elle nécessaire. Cette question est d’autant plus importante qu’a première vue, l’état de nature semble être le lieu idéal pour le bien-être des hommes. Cependant, en réalité, cela ne témoigne que d’une analyse insuffisante de la condition naturelle des hommes. Certes, contrairement à Hobbes, Locke pense que l’état de nature est un état de paix ou les hommes jouissent convenablement des avantages que Dieu a mis à leur disposition. Mais pour autant, il n’est pas allé jusqu’à en faire un état parfait. Puisqu’il en a noté et signalé des manquements que l’état civil est censé combler. D’abord Locke montre dans l’état de nature l’absence d’une loi explicite fixant le bien et le mal. La loi naturelle n’est nulle part inscrite de façon manifeste. Du point de vue de Locke elle est découverte par l’entremise de la raison. Même si tout un chacun est doté de raison, comme pour reprendre Descartes quand il soutient que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée »27, force est de reconnaitre que tout le monde n’en fait pas bon usage. Ce qui fait que par une mauvaise utilisation da la raison, un homme peut ignorer cette loi de nature et ne pas s’y conformer. De plus, Locke note principalement que l’état de nature est dépourvu d’un juge impartial reconnu de tous comme étant le seul habilité à exécuter la loi. En effet, dans l’état de nature chaque individu est revêtu du droit naturel d’exécuter la loi de nature. Raison pour laquelle les violations de la loi ne sont pas sanctionnées avec la justesse qu’il faut. Elles sont sanctionnées de manière anarchique et souvent arbitraire en cela que la correction est laissée à l’initiative des victimes, de leurs parents ou de leurs amis. Alors que la passion et la haine les empêchent de rendre un jugement équitable, conforme à ce qu’une raison tranquille aurait demandé. « La faiblesse naturelle les fait errer »28. A cela s’ajoute un autre manque non moins important. Il s’agit de la création de la monnaie. Nous savons avec Locke que le droit de propriété fait partie des droits naturels de l’homme. Par le travail, l’homme a le droit de s’approprier des éléments de la nature nécessaires à sa subsistance. Mais cette appropriation était sans problème avant l’invention de la monnaie.   Puisqu’un homme n’avait pas, non seulement le droit, mais aussi la possibilité de s’approprier les avantages de la nature plus qu’il n’en fallait. Cela était considéré comme un gaspillage, de s’approprier par exemple d’une nourriture au delà de ses besoins, car, faute d’une bonne conservation, cette nourriture allait se détériorer et devenir non comestible. Avec la création de la monnaie ce problème de conservation est surmonté. Ainsi des hommes, animés par leurs passions qui les poussent à vouloir tout pour eux seuls, s’approprient des avantages que la nature a mis à leur disposition de manière illimitée et au détriment des autres. Cela installe du coup une inégalité et un déséquilibre dans l’état de nature. Cette forme d’appropriation due à l’invention de la monnaie vient perturber la tranquillité et l’harmonie qu’il y avait entre les hommes. C’est cela qui justifie le propos de S. G. Fabre dans l’introduction du Second traité de Locke. Elle soutient que « du jour ou ils ont convenu d’attribuer à un petit morceau de métal jaune plus de valeur qu’au blé ou à la viande, la soif de l’appropriation privée a grandi chez eux démesurément et les a fait dégénérer »29. Voilà autant de choses qui rendent la vie à l’état de nature précaire. De plus, comme il n’y a pas « de pouvoir de contrainte susceptible d’imposer aux parties adverses une solution conforme à la raison »30, il faut dire que la vie à l’état de nature est dépourvue de toute garantie. Ainsi, l’instauration d’un état civil devient nécessaire afin d’améliorer les conditions de vie de l’homme.

CONTRAT SOCIAL ET GOUVERNEMENT

A en croire John Locke, le passage de l’état de nature à l’état civil résulte d’un pacte par lequel tous les membres de la société politique délèguent leur pouvoir naturel à une autorité souveraine reconnue. C’est principalement ce qui différencie la société politique des autres formes de sociétés. Nous savons avec Locke que l’homme a toujours vécu en société. Par conséquent, il semble important de préciser ce qui différencie la société politique d’une autre forme de société. Selon Locke, la première forme de société existante est celle entre l’homme et la femme. De celle-ci nait une autre forme de société qui regroupe le père, la mère et les enfants. A ces deux formes de sociétés vient s’ajouter une troisième avec le temps. C’est la société des maitres et des serviteurs. Cependant, quoique sociales, celles-ci différent, de leurs obligations et de leurs finalités, de ce que Locke appelle société politique. En effet, bien que la société de l’homme et de la femme soit formée par un accord volontaire, force est de reconnaitre que sa finalité ne va pas au-delà de la procréation et de la protection des procréés. C’est pourquoi, du point de vue de Locke, cette relation doit durer autant qu’il faut pour protéger les enfants jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de subvenir à leurs besoins. Ainsi, le père et la mère sont dans l’obligation de continuer à vivre dans la société conjugale car, il leurs revient le devoir de veiller au bien être de leurs enfants jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de se conduire par eux mêmes. Locke soutient dans ce sens que rien ne peut « être plus préjudiciable à des enfants qu’une conjonction incertaine et vague, ou une dissolution facile et fréquente de la société conjugale »34. De plus, il faut dire que la relation entre maitre et serviteur et entre maitre et esclave est différente de la société civile. En fait, le serviteur se soumet au service de son maitre pour un temps bien déterminé en échange d’un salaire. Quant à l’esclave, il se fait sujet de la domination absolue de son maitre. Au regard de tout cela, il est aisé de distinguer ces formes de société ci-dessus exposées de la société civile dont le but ultime est la protection des droits naturels de l’homme, autrement dit de permettre à l’homme de continuer à jouir des avantages que la nature a mis à sa disposition. Cette distinction est d’autant plus possible que John Locke fonde l’institution de la société politique sur un pacte ou un contrat passé entre  les hommes. C’est ce que l’on entend d’ordinaire sous le nom de contrat social. En revanche, il convient d’élucider ce concept fort représentatif de la philosophie politique. Disons que le contrat social est un concept de la philosophie politique qui pense l’origine de la société civile dans une convention entre les hommes, par laquelle ils cèdent une partie de leurs droits naturels en échange de lois garantissant la perpétuation des droits et libertés individuels. En effet, même si Grotius est l’un des premiers dans l’histoire de la philosophie politique qui a consacré une bonne partie de sa réflexion à la définition du contrat social, les grands théoriciens de ce concept demeurent à ce jour Thomas Hobbes, John Locke et Jeans Jacques Rousseau. Cependant, du point de vue des contenus, nous pouvons dire qu’il existe fondamentalement deux types de contrat social : le contrat social d’après Thomas Hobbes et le contrat social d’après John Locke, parce que le contrat social de Rousseau est considéré comme une extension du type hobbesien, car s’appuyant sur la même logique de rupture avec l’état de nature. Des lors, il est possible de dire que le contrat social lockéen est l’opposé de celui de Hobbes. En effet, il est possible de dire que la conception hobbesienne du contrat social s’inscrit dans une logique sécuritaire. Nous savons déjà que pour Hobbes l’état de nature est un état d’insécurité de « guerre de tous contre tous » dans lequel chacun, guidé par son instinct de conservation, cherche à préserver sa vie. Le contrat social intervient donc pour assurer la sécurité de chacun en le dépossédant du pouvoir qu’il avait sur les autres pour le confier à une autorité absolument souveraine qu’il appelle Léviathan chargée de garantir la paix de chacun. C’est pourquoi il est possible de dire chez Hobbes, au delà de la rupture avec l’état de nature que marque le contrat social, que ce dernier comporte une idée de soumission et d’association.

LA LOI POSITIVE

Nous venons d’établir ainsi la vraie origine de la société politique chez Locke. En réalité, il s’agit pour lui d’appréhender le passage de l’état de nature à l’état civil à travers le contrat social, c’est-à-dire cet accord libre et volontaire passé entre les membres de la société en vue de préserver leurs droits naturels. Dans ce sens il est possible de dire que l’état civil est institué pour améliorer les conditions naturelles de l’homme. En effet, rappelons-le, l’état de nature, quoi que paisible, renferme des faiblesses. Certes, parce que social, l’état de nature a une loi qui doit déterminer la conduite des hommes pour une coexistence pacifique. Mais cela n’est pas suffisent pour garantir la paix et la liberté des personnes dans cet état. Puisque, cette loi de nature, ne relevant que de la raison humaine, était souvent violée et dans plusieurs cas par ignorance. De plus, par la disposition des choses, chaque membre de cette société était en droit de juger et de punir les violations de la loi, ce qui faisait un défaut de justice en cela que chacun était à la fois juge et partie. Ainsi, pour un meilleur cadre de vie, les hommes mettent sur pied l’état civil qui n’aura pour fin que d’apporter ce qui manque à l’état de nature, c’est-à-dire une garantie à la liberté naturelle de l’homme. De ce fait, comme il n’y a pas de justice sans loi, les hommes instaurent, par référence à la loi naturelle, une loi explicite, manifeste, censée être accessible à tout le monde. C’est effectivement cette loi de l’état civil que nous appelons loi positive. Ainsi, comme il est possible de le constater ici, cette loi positive est un renforcement de la loi naturelle. Elle est son perfectionnement, sa concrétisation. En réalité, la loi positive ne diffère de la loi naturelle que par son caractère écrit. De ce point de vue, nous sommes en droit de dire que la loi positive est la loi de nature dans l’état civil. Ou encore, la loi positive est la loi de nature dans sa forme explicite ou écrite. Car, c’est dans ce même sens que Locke aborde en soutenant que dans l’état civil « la loi de nature ne sera plus interprétée par la conscience de chacun, son sens sera fixé dans des lois écrites reconnues par tous » 40. C’est pourquoi la loi positive peut être définie, en d’autres termes, comme étant la loi de nature interprétée par un juge commun pour faciliter sa compréhension à tout homme raisonnable.

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