La troupe mexicaine en Extrême-Orient

La foire d’Acapulco, un temps d’échanges.

 Des quatre chemins Royaux de la Nouvelle Espagne866 , les personnes intéressées par la foire d’Acapulco entamaient leur voyage vers le port, comme ceux qui devaient embarquer pour Manille. Comme on l’a mentionné, les principaux acheteurs des marchandises du galion étaient les grands commerçants de la ville de Mexico: ils pouvaient se déplacer au port eux-mêmes, ou agir par l’intermédiaire de leurs agents qui travaillaient por encargo à Acapulco, leurs «encomenderos» 867 .Ainsi se menaient à bien les transactions d’achat, de gestion des marchandises envoyées par leurs courtiers de Manille, les liaisons et les démarches avec les officiers ou l’équipage du galion pour envoyer l’argent de façon licite ou pas. La richesse, l’organisation et le pouvoir dont ils disposaient à la fin du siècle leur permirent d’escorter de leurs propres moyens le cortège qui partait à cheval vers le port. Acapulco se transformait: la foire rassemblait avec ceux de Mexico les commerçants de Oaxaca, de Puebla et de quelques endroits du Bajío868 . Gemelli Careri nous décrit le spectacle: …el viernes 25, viose Acapulco transformado, de rústica aldea, en una bien poblada ciudad; y las cabañas habitadas antes por mulatos, ocupadas todas por gallardos españoles. A lo que se añadió el sábado 26, un gran afluencia de comerciantes mexicanos, con muchas sumas de pesos de a ocho, de mercancías de Europa y del país869 . En effet, la foire d’Acapulco était non seulement l’occasion de procéder aux transactions de marchandises orientales contre de l’argent, mais avait aussi créé les conditions d’offre et de demande pour différents produits d’autres régions de la Nouvelle Espagne, ou de certaines marchandises qui venaient d’Espagne par la Flota, nécessaires aux Philippines et surtout au Pérou. Comme l’explique Carmen Yuste: …no todos los que iban se dedicaban al comercio de importación, et …el mayor número concurría a adquirir cortos volúmenes de mercancías necesarias para pequeñas comunidades . Outre l’argent, trois articles de production locale de Nouvelle Espagne furent de grand commerce avec les Philippines. Le premier en importance fut la grana cochinilla871 qui arrivait d’Antequera. Cette matière première était essentielle pour les Philippins parce qu’on l’employait pour teindre la soie en pourpre. Puebla faisait le commerce de deux produits élaborés dans sa région, fortement demandés par les commerçants manileños: le savon et les chapeaux de drap, ces derniers étant utilisés tant par les religieux que par le gouvernement des Philippines . En 1672, le navire San Felipe de Jesús en provenance du Pérou se trouvait à Acapulco en même temps que la capitana des Philippines, le San Antonio de Padua, ancré plus loin875. La lecture des documents de transport des marchandises qui furent embarquées pour le retour au Pérou est intéressante, car elle permet d’y reconnaître ce qui s’exportait et d’où venaient les marchandises et par conséquent les marchands. Plus de la moitié des marchandises arrivaient de la ville de Mexico. On observe que parmi elles étaient exportées des tissus de soie876 comme : tafetanes de dos cabos, gorgoranes, terciopelos labrados y lisos, damascos negros y de colores, rasos bordados, ainsi que des textiles en laine, les bayetas. Le tout était accompagné d’articles de mercerie comme des cuentas doradas, botones falsos de oro y plata, cintas de relumbrones, listonería de differentes colores. On trouvait aussi des objets pour la maison comme la loza dorada fina, loza de México, colchas y sobre camas de seda, paños de manos de algodón, espejos ordinarios, biombos, pinturas entre finas y medianas. Avaient été aussi embarqués des vêtements déjà confectionnés: vestidos de mujer de raza mexicana guarnecidos, vestidos enteros de mujer de lana, quexquémetl, huipiles, camisas, calzones, velillos, mantos de lustre, y sombreros finos negros y blancos, y entrefinos. Divers objets étaient expédiés, comme des ustensiles de travail, picos, martillos, cuñas para las minas, azadones, hachas carboneras, cerraduras, chapas de fierro para molinos de metal, machetes, coas, e instrumentos como guitarras y sus cuerdas, y juguetes de buhonería877 . De Puebla, on envoyait jabón, machetes y coas, de Michoacán escritorios de tres tamaños, baúles, bandejas, palanganas, tecomates grandes y medianos, et pour les chevaux cabezadas, gruperas, frenos y espuelas.

En attente de l’embarquement vers Manille.

 A cette affluence déjà arrivée à Acapulco s’ajoutaient alors les missionnaires, les soldats, et les forçats, un certain nombre de familles, les hauts fonctionnaires ecclésiastiques et gouvernementaux, et de temps en temps un vice-roi qui passait pour aller prendre ses fonctions au Pérou Nous ne reviendrons pas sur les religieux: dans la première partie, nous avons présenté les différents ordres missionnaires qui s’installèrent aux Philippines et le rôle important qu’ils jouèrent durant tout le siècle, non seulement comme défenseurs des locaux des Philippines mais aussi comme propagateurs et surveillants de ce système espagnol qui se servit de l’évangélisation pour implanter dans ses colonies un archétype reproduit dans les Indias Occidentales comme dans les Indias Orientales, permettant de reconnaître comme sujet espagnol une personne du continent américain comme du continent asiatique. Mais nous n’avons pas traité suffisamment le sujet de la population militaire, esquissant seulement quelques traits sur les détachements de soldats qui partaient d’Acapulco et qui faisaient partie, avec les fonctionnaires et les religieux, du socorro que l’on envoyait aux Philippines. Mais d’où venaient-ils?

La troupe mexicaine en Extrême-Orient

La conquête des Îles se fit de manière plus diplomatique que belliqueuse, mais maintenir cette possession d’Extrême-Orient demanda durant tout le XVIIème siècle l’envoi régulier de forces militaires pour soutenir l’état de guerre quasi constante qui y était vécue. Si le Roi demanda à Urdaneta de chercher la tornavuelta, Legaspi le pressa en échange pour que l’on envoie des soldats en renfort afin de poursuivre l’établissement de la colonie. A partir d’alors, l’envoi de troupes depuis la Nouvelle Espagne pour les presidios et forteresses des îles Philippines dura jusqu’à la fin de la colonie espagnole. Ainsi, la force militaire du XVIIème siècle fut employée, plus que dans un but de conquête, comme une aide fondamentale pour le maintien du pouvoir dans une région sollicitée par de nombreuses attaques internes ou externes. Le transfert de soldats permit de satisfaire le double propos de la Couronne : la défense de ses intérêts, et l’appui au peuplement des îles Philippines, alors que la distance avait compliqué la colonisation. Ces réalités distinguèrent l’Archipel des autres possessions espagnoles d’Amérique. Par rapport à l’Espagne, mêlée aux différents conflits européens, l’avantage était que la Nouvelle Espagne elle-même recrutait: plus près des Philippines, le coût de déplacement était diminué ; on pouvait lever des troupes dans les différentes villes du vice-royaume, et les Novohispanos, au contraire des gens de la Péninsule, s’adaptaient mieux aux conditions climatiques de l’Archipel. A la différence des troupes recrutées à Acapulco pour le fort de San Diego, on demandait des recrues qu’elles fussent espagnoles: on n’acceptait pas les métis, les mulâtres, les noirs, les 311 chinos, les indigènes, ni les personnes avec le mal de San Antonio -erisipela maligna- ou de San Lázaro893 -elefantiasis-. La qualité requise d’Espagnol correspondait en fait seulement à la population blanche, groupe qui profitait du plus de privilèges. Mais, bien qu’ils fussent métis, on considérait aussi comme espagnols les fils légitimes nés d’Espagnol et d’indienne, ainsi que los mestizos con siete octavos de español894: cette population revendiquait le statut favorable dont jouissaient les fils d’Espagnols nés à la Nouvelle Espagne, c’est-à-dire les créoles, et arriva à se faire accepter comme leurs égaux. Dans la société novohispana, les métis illégitimes comme les autres castes étaient rejetées. Choisir seulement les Espagnols obéissait à l’intention de la Couronne de peupler les Philippines en évitant les conflits connus à la Nouvelle Espagne. En effet, depuis 1575, l’ordre reçu par le vice-roi Martín Enríquez de Almansa interdisait le transfert de mulâtres aux Philippines895 . La période de service devait être limitée, bien que la présence aux Philippines puisse être définitive, que ce soit pour décès, pour désertion, ce qui empêchait de revenir par le galion de Manille, ou parce qu’ils s’adaptaient à la société philippine. Ces hommes célibataires et blancs préféraient rester et se marier avec les métisses de l’Archipel et ainsi, le problème de rareté de la population blanche s’estompait896 . Dans le port d’Acapulco, se rassemblaient les différentes compagnies d’infanterie destinées au théâtre des Philippines, provenant de Vera Cruz, Puebla, Mexico, Valladolid, San Luis Potosí, Celaya, Antequera, Zacatecas. On recruta pour les Philippines plusieurs fois dans le siècle parmi les gens qui arrivaient à Acapulco durant la temporada de la foire: les comptes des Officiers Royaux d’Acapulco le mentionnent en 1628 et 1632; le Trésorier Royal don Esteban de la Carrera y Pardo, dans son livre de Conversaciones, rapporte qu’en 1648 et 1650 Domingo Duarte avait levé des troupes à Acapulco durant l’arrivée des galions; et en 1653, le capitaine encomendero Martín de Eguiluz fit de même. Qui s’enrôlait? Le drapeau arboré, au son du tambour et du fifre, le capitaine annonçait en grande pompe son mandat pour enrôler les volontaires comme soldats ou artilleurs.Les postes de recrutement recevaient généralement les gens du peuple. Les volontaires partaient aux Philippines en qualité de soldados distinguidos, novices ou débutants aunque generalmente ni tenían el valor ni sabían disparar un mosquete898, ou anciens lorsqu’ils s’étaient battus en Flandres. Mais l’expérience acquise par ces derniers dans les guerres européennes n’était pas celle qui était nécessaire aux Philippines; ils n’avaient pas par ailleurs les défenses physiologiques nécessaires et ne supportaient pas le climat. Le Gouverneur Pedro de Acuña sollicita le comte de Monterrey899 pour qu’à la place d’envoyer en Espagne les condamnés, on les envoie purger les peines de deux à dix ans aux Philippines, et ainsi constituer les équipages de galères avec les inculpés de l’Inquisition, les esclaves joloes et les naturels loués. Mais beaucoup des soldats envoyés furent enrôlés de force, parce qu’il était urgent de remplir les quotas demandés par les Philippines, et intéressant de se faire payer la commission allouée pour chacune des recrues. On les cherchait dans les prisons, faisant attention au type de délit commis, ou ailleurs: partirent les vagabonds, les mauvais vivants, les déserteurs récidivistes, les religieux, les nobles et jusque à ceux qui étaient dénoncés par leurs propres parents pour être envoyés en maison de correction. Carrera Stampa explique qu’on appelait cette habitude echar a la China900. Nous ne pouvons pas passer sous silence l’exemple de Felipe de las Casas, un créole de Puebla qui, puni par sa famille, fut envoyé aux Philippines où il se racheta et entra comme frère laïque au couvent de San Francisco, prenant le nom de religion de Felipe de Jesús; son histoire est toujours dans les mémoires puisqu’il fut le premier saint mexicain, martyr du Japon901 . Pour remplir les listes de soldats demandées depuis Manille, tous les enrôlés de la Nouvelle Espagne902 se retrouvaient à Mexico. Selon Gregorio de Guijo, en 1658, toutes les banderas arrivèrent à la place d’armes de Coyoacán; de là on les paya et ils partirent à pied vers Acapulco.

Les femmes: leur présence dans un monde d’hommes

 La Couronne chercha à limiter la participation directe des Novohispanos dans le commerce de Manille et fixa un temps de présence minimal de huit ans  aux Philippines. Elle interdit qu’aucun homme marié ne parte sans sa femme sauf autorisation du Vice-Roi. Devait être établies une caution par laquelle il était spécifié son retour et l’attestation comme quoi il laissait le soutien nécessaire pour sa femme. Cependant nous notons que les passagers qui embarquaient sur le galion de Manille à son départ d’Acapulco étaient en majorité des hommes. Nous avons rencontré quelques cas comme en 1653, ceux du contrôleur don Juan de Bolívar Cruz et l’auditeur don Salvador Gómez de Espínola, qui selon don Gregorio de Guijo partieron con todas sus familias. Outre les couples ordinaires de fonctionnaires, nous avons trouvé que doña Catalina de Calderón y Serrano accompagna son mari aux Philippines en 1674; cependant les médecins, les ouvriers spécialisés qui furent sollicités pour les Philippines, ou certains proches qui accompagnaient leurs maîtres fonctionnaires comme serviteurs, voyagèrent avec leurs familles. Enfin, il y eut des cas particuliers et surprenants: les Officiers Royaux reportent deux cas de forçats qui partirent avec leurs femmes en 1653916 et un autre en 1658917 . En même temps que les religieux ou les remplacements de Novohispanos destinés à remplir les postes dans les troupes de défense, les femmes mariées accompagnèrent leurs maris pour s’occuper de leurs foyers aux Philippines. En général les soldats ne revenaient pas à la Nouvelle Espagne, certains religieux y restaient pour toujours, et il est sûr que certaines familles y aient élu résidence. Ils amenèrent du nouveau aux Philippines, surtout les soldats qui se mêlèrent au peuple philippin, et créèrent une société nouvelle en apportant leurs coutumes, autre facette qui présente Acapulco comme exportatrice de traditions. De toutes les transformations qui furent amenées, nous pensons que les plus importantes, en raison de leur caractère typique de la Nouvelle Espagne, furent celles de prendre le chocolat et de fumer. Le cacao et le tabac ou piciete, deux produits américains consommés depuis l’époque préhispanique, étaient des habitudes bien ancrées à la Nouvelle Espagne, mais n’existaient pas aux Philippines. Ce fut à travers Acapulco et le galion de Manille qu’ils arrivèrent aux Philippines et que de là le tabac passa en Chine. Deux détails nous montrent l’usage du chocolat à Manille. Sierra de la Calle nous raconte qu’à Manille on trouvait des Chinois qui: iban de casa en casa, con sus piedras de moler, preparando las diferentes recetas de chocolate, según los gustos921 . Par ailleurs, quand le Castellano de Acapulco Juan de Zelaeta fut promu visitador922 aux Philippines, selon l’usage du siècle, il voyagea de la Nouvelle Espagne aux Philippines avec son habitude de prendre le chocolat; l’inventaire de ses biens à sa mort montre qu’il emportait: una chocolatera de cobre, dos molinillos para batir el chocolate, una guarnición de plata para tomar el chocolate y cinco cocos pintados923 . Comme pour le chocolat, le XVIIème siècle estimait que le tabac était un médicament efficace. Le bienheureux Gregorio López donnait diverses recettes, en infusion, en emplâtre, inhalé, ou en poudre, pour soigner une douleur de tête, provoquer la mixtion, expectorer les lymphes, soigner les indigestions, la toux, l’asthme même, en en faisant une panacée. Au XVIIIème siècle, Ajofrin disait que el tabaco de hoja es otro abuso de la América. Depuis le XVIIème siècle, habitués depuis tout petit par les chichiguas924 , tous, hommes et femmes, religieux et civils, fumaient le tabac qui à Acapulco provenait de sa Juridiction925 , partout, dans les maisons, les rues, les sacristies, durant les promenades, et à bord du galion. Il n’y a qu’à l’église que ce fut interdit926. Gonzalo Curiel nous explique que l’élite novohispana fumaba delgados cigarrillos et aspirait par le nez de la poudre de râpé.

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