Les espaces agricoles dans l’occupation du sol
La rente foncière caractérise le contexte de concurrence économique dans lequel les espaces agricoles se placent. Selon Ricardo (XIXe siècle), la rente est “la portion du produit de la terre que l’on paie au propriétaire pour avoir le droit d’exploiter les facultés productives et impérissables du sol”. Autrement dit, les propriétaires qui possèdent le sol sont rémunérés par la rente foncière. Les travaux de Bailly (Bailly, 1973) montrent l’inscription de la rente de l’agriculture dans l’organisation de l’espace urbain (Figure 5). La rente à l’are diminue à mesure que les activités s’éloignent du centre-ville. Ainsi, la rente de l’activité agricole se retrouve moins importante que les autres fonctions par sa position éloignée du centre-ville.
Ce contexte de concurrence possède parallèlement une dynamique de création et de suppression d’espaces agricoles, composée de contraintes techniques et économiques. Ainsi au cours du temps, des espaces agricoles sont créées mais aussi détruits. La création d’espace agricoles s’est généralement faite par drainage de terres humides ou par défrichement.
Des espaces agricoles sont également détruits, pour plusieurs raisons : des difficultés d’utilisation, ou de mécanisation de l’exploitation ; la déprise agricole et la consommation foncière coûteuse décourage les propriétaires et ces vignobles deviennent seulement des terres “sentimentales et symboliques” (Chapuis, 2014).
Les zones urbaines concentrent également des espaces agricoles, généralement de petite taille, parfois définis comme des “dents creuses” dans les documents d’urbanisme. Ces espaces sont très vulnérables à l’urbanisation : ils présentent un enjeu important car ils sont très prisés par les aménageurs et promoteurs. Malgré cette menace, certains de ces espaces deviennent parfois des petites exploitations locales pour des ventes en circuits courts comme la pépinière maraîchère biologique de Chalezeule près de Besançon par exemple.
L’occupation du sol consacrée à l’agriculture ou aux espaces à vocation agricole en France est représentée par la Surface Agricole Utile (SAU). La SAU est un indicateur statistique permettant d’évaluer la superficie du territoire destinée à la production agricole. Elle est composée d’une agrégation de trois catégories de milieu : les terres labourables (terres arables), les surfaces toujours en herbe (utilisées pour l’élevage) et les cultures permanentes (vignes, vergers) (Agreste, 2018). Ces informations proviennent de trois bases d’informations différentes : les surfaces déclarées par les agriculteurs, le cadastre fiscal, et les espaces non formalisés (ce qui n’est pas urbanisé ou en surface naturelle). La SAU est donc compliquée à mesurer. De plus, des catégories d’occupation du sol provoquent des débats : une pelouse ou un verger personnel sont-ils des espaces agricoles ? L’agriculture hors sol devrait-elle être incluse dans la SAU ?
L’évolution du sol peut se présenter sous la forme d’un schéma systémique simplifié (Figure 6) : = « devient » Lafrej. S Figure 6. Schéma systémique de l’évolution de l’occupation du sol (Source : P. Berion)
Les espaces agricoles peuvent devenir des espaces urbains, forestiers ou naturels ; des surfaces naturelles peuvent devenir des espaces agricoles, forestiers ou urbains etc. Aussi, même si l’artificialisation des sols est très prégnante sur le long terme, cette évolution est réversible.
L’agriculture en France et en Europe
En France, l’agriculture est un des enjeux notables dans le développement des territoires et dans la réponse à un des besoins humains fondamentaux qu’est l’alimentation. L’Union européenne (UE) est la première puissance agricole mondiale devant la Chine et les Etats-Unis, avec 405 milliards d’euros de production agricole en 2016. Au sein de l’UE et parmi ses états membres, la France se positionne première dans la production agricole, avec 18% de la production européenne, suivie de l’Allemagne avec 14% et l’Italie avec 13%(Agreste Bourgogne-Franche-Comté, 2016).
La France a donc un poids non négligeable aussi bien au niveau européen que mondial, dans la production mais également dans l’exportation de produits agro-alimentaires. Sur un plan géographique, l’agriculture a connu plusieurs grandes étapes dans son développement technique, économique et sociétal .
La SAU (surface agricole utile), représente près de 29 millions d’hectares en France, soit 54% du territoire (La rédaction GEO, 2018). En effet, le climat tempéré du territoire national permet une assez grande diversité de productions. Ainsi, les régions françaises se spécialisent et offrent des variétés de produits importantes qui forment la richesse agricole du pays.
L’arrivée du train a un rôle primordial après 1850 : il conditionne fortement la structuration des spécialisations géographiques de l’agriculture. Autour des années 1950, nous assistons à une planification et une modernisation de l’économie française à travers le Plan Monnet et le Plan Marshall notamment, avec une mise en avant du machinisme agricole. La mécanisation et la modernisation de l’agriculture se développent progressivement (France Strategie Gouvernement, 2016), ce qui provoque un agrandissement significatif des parcelles exploitées avec l’arrivée des tracteurs.
Dans les années 1960, des lois d’orientation sont engagées pour fournir un cadre juridique aux politiques agricoles. En conséquence, des structures sont créées telles que les SAFER (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) pour l’orientation du foncier, ou les GAEC (groupements agricoles d’exploitation en commun) pour la gestion des exploitations, permettant une meilleure organisation des filières agricoles.
Enfin, la mise en place de la Politique Agricole Commune en 1962 marque un pas important dans l’agriculture française. Ce dispositif européen est fondé sur un budget important réservé aux subventions, réparti dans les différents états-membres. Ces financements visent à “soutenir les filières agricoles et à orienter les aides agricoles en faveur de l’élevage, de l’emploi, de l’installation de nouveaux agriculteurs, de la performance à la fois économique, environnementale et sociale et des territoires ruraux” (Alim’agri, 2019a). Ainsi, la France perçoit 9,1 milliards d’euros par an sur la période 2014-2020. Chaque agriculteur peut donc mobiliser les dispositifs de la PAC en fonction de son type de production et de son projet. La PAC a également engendré un changement dans les paysages agricoles français avec le remembrement, évoqué précédemment, qui consiste à regrouper un ensemble des parcelles en une unité plus grande d’un seul tenant, en supprimant certaines haies au sein des exploitations. Cette technique favorise la rentabilité des cultures en facilitant l’agriculture mécanisée (Chiffelle, 1973).
L’agriculture française est caractérisée par une organisation à dominante familiale, héritage de l’histoire agricole nationale. La grande majorité des exploitations sont individuelles et la main-d’œuvre y est effectuée par l’exploitant et les membres de sa famille. Cette tendance perd de plus en plus du terrain mais reste très marquée, puisqu’en 2010, 70% des exploitations sont individuelles contre 64% en 2016 (Agreste, 2018). Le reste des exploitations sont sous forme d’EARL (exploitation agricole à responsabilité limitée), de GAEC (groupement d’exploitation en commun) ou de SA (Société anonyme). Les EARL, GAEC ou SA restent néanmoins souvent des structures familiales “père-fils” malgré leur statut d’entreprise. L’agriculture familiale reste donc très présente en France, et les actifs dirigeants assurent toujours au moins 60% de la main-d’œuvre de leur exploitation (Agreste, 2018).
Dans ce contexte français, les pouvoirs publics mettent en place, à plusieurs échelles, des outils pour apprécier plus précisément la place qu’occupe l’agriculture et les territoires agricoles en France. Ces outils peuvent prendre la forme d’études scientifiques, de diagnostics opérationnels, d’études sur le terrain, ou encore de représentations cartographiques et statistiques. Ces dispositifs d’évaluation intègrent souvent plusieurs échelles, plusieurs critères d’analyse et plusieurs acteurs des territoires. Ils ont alors pour objectif de nourrir les réflexions d’aménagement pour valoriser l’espace agricole, le protéger et en faire un usage raisonnable et durable. Les débats sont donc nombreux dans le cadre de la planification urbaine, qui se doit d’évaluer les espaces qui seront potentiellement concernés par les politiques d’aménagement menées.
La place de l’agriculture dans la législation des documents d’aménagement
L’un des sujets principaux abordé dans les différents documents d’urbanisme régissant l’aménagement et le développement des territoires est le foncier. La gestion des fonds de terres est en effet primordiale dans la planification urbaine, à la fois pour cibler les territoires à préserver et gérer la consommation de l’espace dans le temps long.
Remarque. Ce travail propose des analyses ne traitant pas seulement des espaces agricoles déclarés par les exploitants, mais également des espaces à vocation agricole non déclarés. Ces derniers présentent en effet des fonctions importantes pour le territoire. Ainsi, lorsque l’expression “espace agricole” est employée, elle inclut également les terres à vocation agricole.
Les outils législatifs pour la gestion des espaces agricoles
Dans les années 1960, la régulation de la consommation foncière agricole s’est faite par une réglementation des usages du sol, essentiellement à l’échelle communale (Perrin, 2013). Cette régulation s’instaure face à l’extension de l’espace agricole (incluant les infrastructures nécessaires à l’exploitation) qui à cette époque arrive à un niveau très élevé. La loi d’orientation foncière de 1967 (LOF) a ainsi permis de créer les Plans d’Occupation des Sols (POS), ancêtres des PLU, qui délimitent entre autres éléments les zones agricoles constructibles pour les besoins de l’agriculture. Mais ces premiers plans d’urbanisme créent des conflits avec les propriétaires des terrains. Ces derniers voient cette planification comme une “atteinte au droit de propriété” (Cadène, 1990 in Perrin, 2013) très ancrée dans l’histoire française, par le bouleversement de la valeur des terrains.
La loi de décentralisation de 1983 confie aux municipalités l’élaboration des Plans d’Occupation des Sols, où le zonage des usages des sols et les règles de constructibilité permettent de réguler la consommation du foncier agricole. Ils sont remplacés par les Plans Locaux d’Urbanisme qui proposent aujourd’hui un plan de zonage du territoire en six zones principales : les zones urbaines, les zones à urbaniser, les zones agricoles, les zones naturelles et forestières, les zones boisées et les zones de loisir. Ce plan de zonage est complété par un règlement précisant les conditions de construction et d’aménagement dans chaque zone. Outre ce zonage, les documents de planification urbaine tels que le plan local d’urbanisme, le schéma de cohérence territoriale, le programme local de l’habitat ou le plan de déplacements urbains, permettent un encadrement juridique à tous les projets d’aménagement. La place de l’espace agricole dans ces documents varie donc en fonction de leurs objectifs.
La loi de solidarité et de renouvellement urbain de 2000 et la loi ALUR (accès au logement et un urbanisme rénové) présentent un nouveau cadre juridique à l’urbanisation. La première intègre un équilibre entre le développement urbain, les espaces et activités agricoles, et la protection des espaces naturels. La seconde encadre la consommation foncière et régule la constructibilité en zone agricole. Les lois LAAAF (loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt) de 2014, et la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques de 2015 intègrent de nouvelles dispositions quant à la constructibilité en zones naturelles, agricoles et forestières (CDPENAF du Territoire de Belfort, 2017). Face aux évolutions des lois d’urbanisme, les dispositifs et outils d’aide à la décision doivent alors s’adapter aux nouvelles réglementations et orientations. Malgré les règles formelles des documents d’urbanisme, Jean-Eudes Beuret (Beuret, 1999) met en avant, à travers une enquête, le mitage des espaces agricoles et l’étalement urbain favorisé par “des petits arrangements entre acteurs” dans les années 1970 à 1990 (Perrin, 2013). En principe les constructions en zones agricoles sont réservées à l’usage agricole uniquement (hangars, abris…), mais l’application locale des orientations et réglementations nationales ne s’est pas toujours faite dans les règles de l’art. L’article de Coline Perrin (2013) en montre un exemple la charte départementale des zones agricoles des Bouches-du-Rhône. Cette dernière est signée en 1975 par les acteurs publics régionaux et les professionnels du domaine agricole. Elle garantit ainsi la stabilité des espaces agricoles par les exploitants pendant une décennie, et en échange les agriculteurs ont l’autorisation de construire des habitations personnelles pour leur famille (ascendants et descendants directs) près des bâtiments agricoles existants. Le préfet justifie cet arrangement comme une application aux coutumes et traditions locales voulant que la famille des agriculteurs loge autour d’eux. Cet exemple montre que les spécificités locales ont permis de contourner certaines réglementations.
Ces outils juridiques encadrent en partie la création de documents d’urbanisme, ainsi que la mise en place d’outils de préservation et de valorisation des territoires agricoles.
Les dispositifs mis en place pour l’analyse, la préservation et la valorisation des espaces agricoles
De plus en plus d’outils et de services sont proposés par les acteurs publics de l’aménagement différentes échelles, pour l’aide à l’aménagement local (élus locaux, bureaux d’étude…) et l’élaboration des documents d’urbanisme. Ces outils permettent également de mettre en place des dispositifs de protection des espaces agricoles.
Les Chambres d’agriculture proposent par exemple des diagnostics agricoles ayant pour but de “visualiser les enjeux agricoles et foncier, visualiser les valeurs agronomiques et les valeurs économiques des parcelles agricoles, et d’éclairer les décisions d’orientation d’aménagement du territoire” (Chambre d’agriculture du Var, 2019).
Selon les territoires, des outils cartographiques permettent d’apprécier le rôle des espaces agricoles et d’identifier les terres à enjeux. C’est le cas de “l’atlas départemental de la valeur et de la vulnérabilité des espaces agricoles” effectué sur les départements du Doubs et du Territoire de Belfort, ou de “l’atlas agriculture environnement” sur le département de l’Oise. Ces outils sont intégrés dans une démarche d’aide à la décision pour les acteurs de l’aménagement.
Des ouvrages sont également publiés par des structures publiques notamment, afin de diriger les acteurs dans la création de documents d’urbanisme. “Prendre en compte l’agriculture et ses espaces dans le SCoT” est par exemple un ouvrage collectif publié par le Cerema en 2009 (Centre d’études sur les réseaux & Terres en villes, 2009), ayant pour but de guider les équipes chargées de l’élaboration du SCoT.
Des projets communs rassemblant des structures publiques et privées sont également mis en place souvent à travers des chartes ou des conventions. Des “chartes d’agriculture” ou des “chartes d’agriculture et d’urbanisme” sont signées et reflètent une volonté commune de préserver et développer l’activité agricole face à la pression foncière. Ainsi, le Grand Besançon fait l’objet d’une Charte de l’agriculture depuis 2010, signée par plusieurs acteurs (Grand Besançon, Chambre d’Agriculture du Doubs, Conseil général du Doubs, & AFIP, 2010). Cette charte a pour objectif de maintenir et favoriser l’activité agricole, de développer les liens entre ville et campagne et de favoriser le développement durable de l’agriculture. En 2013, le département met également en place la “Charte pour une gestion économe de l’espace dans le département du Doubs” signée par le Département du Doubs, Chambre d’Agriculture du Doubs, & Conseil général du Doubs (2013). Les objectifs de cette charte prennent en compte, entre autres éléments, les aspects qualitatifs et quantitatifs de l’espace agricole, et favorise les échanges entre les différents partenaires acteurs de l’aménagement.
Au niveau des départements il existe par exemple les Commissions Départementales de la Préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers (CDPENAF) qui sont instaurés depuis 2015, remplaçant la Commission Départementale de la Consommation des Espaces Agricoles (CDCEA). Cette commission est intégrée en application à la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010. La CDPENAF est un outil de lutte contre l’artificialisation des sols, et peut intervenir sur des interrogations et décisions concernant la réduction des surfaces naturelles, forestières et à vocation ou à usage agricole, et sur les moyens de limiter la consommation de ces espaces.
Au-delà des ouvrages, chartes et projets, des outils de protection des sols agricoles sont mis en place localement. Ainsi, la loi d’orientation foncière de 1999 permet la création d’une servitude d’utilité publique appelée ZAP (Zone Agricole Protégée) qui renforce la protection des terres agricoles face à l’instabilité des documents d’urbanisme. Il s’agit d’un zonage de protection, qui doit être demandé par les communes, reconnaissant l’intérêt qualitatif et de situation géographique des terres agricoles. Cette protection permet ainsi de pérenniser des espaces agricoles d’intérêt. Dans le même cadre, la loi relative au développement des territoires ruraux (2005) permet la création de périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN). Ces périmètres sont instaurés par le département. Ils “précisent les aménagements et les orientations de gestion permettant de favoriser l’exploitation agricole, la gestion forestière ainsi que la préservation et la valorisation des espaces naturels et des paysages” (Terres en Villes).
On peut donc voir que les acteurs sont multiples et interviennent chacun à leur niveau pour le développement de ces outils. Les nouvelles dispositions et le développement de nouveaux outils résultent en partie de l’évolution des lois d’urbanisme, dont une synthèse est visible sur cette frise chronologique (non exhaustive) (Figure 7).
Les notions de valeur et de vulnérabilité des espaces agricoles en France
Les espaces agricoles sont souvent intégrés dans les documents d’urbanisme à travers les notions de “développement de l’activité agricole et de l’espace rural”, de “protections des espaces agricoles”, de “limitation de l’étalement urbain et de la consommation foncière” et de “mise en valeur des espaces agricoles”. Ces notions apparaissent en effet dans la plupart des documents de réglementation et de planification urbaine. Ces éléments inscrits comme des objectifs, sous-entendent que les espaces et l’activité agricole ont assez de valeur pour justifier d’être protégés face aux facteurs de vulnérabilité dont ils peuvent faire l’objet. Ces facteurs peuvent être de nature écologique (utilisation de produits chimiques détériorant la richesse d’une terre et/ou la qualité nutritive des produits), économique (fragilisation du secteur agricole dans certains territoires), foncière (consommation de l’espace agricole et pression foncière de la part des acteurs de l’aménagement urbain), ou encore naturelle (risques naturels hydrologiques ou de mouvements de terrain).
La valeur et la vulnérabilité sont deux des aspects centraux de ce mémoire. Il est donc essentiel de les définir et de les intégrer dans un contexte d’aide à la décision pour l’aménagement. Dans cette partie, les termes sont définis par des exemples thématiques qui apparaissent le plus souvent dans la littérature, et non exhaustifs : le nombre de facteurs pouvant définir la valeur ou la vulnérabilité d’un espace agricole est en effet important.
La première description du Larousse définit la valeur comme “ce que vaut un objet susceptible d’être échangé, vendu, et, en particulier, son prix en argent”. La valeur d’un espace agricole peut donc au premier abord se rapporter à sa valeur vénale (prix qu’il coûte pour une transaction commerciale), fixée par un “barème annuel indicatif de la valeur vénale moyenne des terres agricoles” d’un arrêté ministériel (Service Public, 2018). Mais un espace agricole possède d’autres valeurs.
Valeur agronomique et pédologique
En 1989, une méthode de désignation et classement des sols agricoles en fonction de leur valeur pédologique et agronomique est développée par Bruckert à l’Université de Franche-Comté (Bruckert, 1989). Cette méthode se place dans la continuité de travaux réalisés dans les années 1960 visant à mesurer l’aptitude agronomique des sols face à un type de culture. Le principe de la méthode de Bruckert est de classer les sols “en fonction de leur aptitude à la mise en culture”, en six classes : Classe 1) sols d’excellente valeur ; Classe 2) sols de très bonne valeur ; Classe 3) sols de bonne valeur ; Classe 4) sols de valeur moyenne ; Classe 5) sols de valeur inférieure ; et Classe dans cet ordre : le climat et la pente ; le régime atmosphérique (renouvellement de l’air) ; la texture et la pierrosité. Cette méthode peut être appliquée à tous les territoires, et l’auteur la considère comme “un outil de synthèse performant en cartographie des sols à but finalisé et dans le choix des aménagements du domaine rural”.
Il existe également dans la littérature d’autres indicateurs témoignant de la qualité des sols, et notamment l’indice de “Réserve Utile (RU)” (Laroche et al., 2006). La RU prend en compte la profondeur du sol, la densité apparente, la texture et les éléments grossiers. Ces éléments conditionnent la quantité maximale d’eau retenue et accessible par la plante à un instant donné, et donc sur le rendement des cultures.
La prise en compte des données pédologiques et agronomique des terres agricoles s’impose face à la pression foncière des projets d’aménagement. En effet, les acteurs sont amenés à établir des inventaires environnementaux des sols pour en mesurer la valeur et adapter les projets en fonction. Ainsi, ces données informatives peuvent être inscrites dans les documents d’urbanisme afin de protéger les espaces à haute valeur. Sans la connaissance de cette valeur, des terres ayant un intérêt important en matière de productivité peuvent être détruites. En Europe par exemple, 48 % des terres qui ont été artificialisées entre 1990 et 2000, étaient des terres arables ou occupées par des cultures permanentes (Laroche et al., 2006). Il reste néanmoins difficile de mesurer la qualité exacte d’un sol et de lui affecter un indice de valeur, car cet aspect est fortement dépendant des usages et des fonctions des sols, qui diffèrent également dans le temps (Laroche et al., 2006). Cette valeur pédologique et agronomique est de plus en plus prise en compte dans les transactions financières des terres. Cette relation est observée par Ay et al., (2012) dans leur article “La valeur des attributs naturels des terres agricoles de Côte-d’Or”. Il est montré que les propriétés topographiques comme l’altitude et la pente ont plus d’incidence sur le prix des terres agricoles que les propriétés pédologiques comme la RU, la texture ou la teneur en matière organique.
Valeur écologique et environnementale
La localisation d’un espace agricole peut influencer sa valeur. En effet, une terre agricole peut présenter des attributs environnementaux et/ou écologiques valorisants en fonction de sa situation géographique. Cela peut se traduire par exemple par un type de production labellisé (vins d’Appellation d’Origine Contrôlée, lait d’Appellation d’Origine Protégée, Agriculture Biologique…), ou par une richesse de biodiversité présente sur la terre agricole reconnue par le code de l’environnement (réserve naturelle, parc naturel, inventaire d’espèces protégées…). C’est donc à la fois le type de culture et de production répondant aux exigences des labels, et la conservation des éléments de biodiversité et de paysage remarquables qui est mis en avant ici.
