L’accompagnement en psychomotricité de Marvin et de sa mère présentant un handicap intellectuel

L’accompagnement en psychomotricité de Marvin et de sa mère présentant un handicap intellectuel

La construction de la parentalité et le développement psychomoteur de l’enfant 

Pour commencer, il me semble indispensable de définir ce qui est aujourd’hui appelé « parentalité ». Dans le dictionnaire Le Petit Robert (2016), la parentalité est défini comme la qualité de parent, de père, de mère. Or, comme le soulignent divers auteurs, ce concept de parentalité est bien plus complexe puisqu’il va prendre plusieurs sens selon le champ d’application dans lequel il est employé. Latuillière (2015) évoque les points de vue juridique (exprime des droits et devoirs liés à l’autorité parentale), sociologique (décrit les nouvelles formes d’agencements familiaux), psychologique (explique le processus de transformation d’un individu qui devient parent) et enfin socio-éducatif (englobe les pratiques de soins et d’éducation nécessaires au développement d’un enfant). Le Comité National de Soutien à la Parentalité a tenté d’élaborer, le 10 novembre 2011, une définition partagée de la parentalité. La parentalité désignerait « l’ensemble des façons d’être et de vivre le fait d’être parent. C’est un processus qui conjugue les différentes dimensions de la fonction parentale, matérielle, psychologique, morale, culturelle, sociale. Elle qualifie le lien entre un adulte et un enfant, quelle que soit la structure familiale dans laquelle il s’inscrit, dans le but d’assurer le soin, le développement et l’éducation de l’enfant. Cette relation adulte/enfant suppose un ensemble de fonctions, de droits et d’obligations (morales, matérielles, juridiques, éducatives, culturelles) exercé dans l’intérêt supérieur de l’enfant en vertu d’un lien prévu par le droit (autorité parentale). Elle s’inscrit dans l’environnement social et éducatif où vivent la famille et l’enfant ». Tout d’abord, nous pouvons remarquer que cette définition comprend la notion de processus, et effectivement, il n’est pas rare d’entendre dire que nous ne naissons pas parent mais nous le devenons. Cette définition prend également en compte toutes les dimensions (juridique, psychologique, socioéducatif) en jeu dans la parentalité. 9 Elle prend aussi en compte l’apparition des nouvelles parentalités du XXIème siècle avec notamment l’homoparentalité où un lien de filiation génétique à proprement parlé n’est pas présent. D’où certainement l’utilisation du terme « lien entre un adulte et un enfant » plutôt que « lien parentenfant » comme nous l’entendons plus souvent. Il est d’ailleurs important de différencier la parenté (le processus biologique, la filiation) de la parentalité (le processus psychique). Le terme de parenté est défini dans le dictionnaire Larousse comme la relation de consanguinité ou d’alliance qui unit des personnes entre elles. Dans le domaine juridique, c’est l’état des personnes liées par filiation ou par alliance, ou qui descendent d’un ancêtre commun. En revanche, du fait du suffixe « ité », la parentalité est définit par SolisPonton comme « l’étude des liens de parenté et des processus psychologiques qui en découlent. La parentalité nécessite un processus de préparation, voire d’apprentissage, non dans le sens d’une pédagogie parentale mais comme un travail qui met en évidence la complexité et le caractère paradoxal du phénomène naturel de la parenté » (2002, pp. 23-24). Ainsi, on comprend à nouveau que la parentalité met en jeu des phénomènes à la fois corporels, bien connus, mais aussi psychiques complexes. Plusieurs auteurs ont d’ailleurs traité la question de la grossesse comme une crise psychique qu’il est possible de rapprocher de la puberté. Au même titre que l’adolescence, la grossesse est une période de conflictualité exagérée, une crise maturative. A l’adolescence, l’enjeu est de renoncer à l’enfance pour entrer dans la vie d’adulte, alors que durant la maternité, l’enjeu est de changer de génération, de manière irréversible (Bydlowski, 2001). Le fait de devenir parent n’est donc pas inné et loin d’être aisé. Cela découle de tout un processus qui se construit en plusieurs étapes, et ce, avant même la naissance du bébé. On parle de construction prénatale de la parentalité comprenant le projet d’enfant puis la grossesse avec, dès cette période, un état particulier du psychisme de la mère. Les réaménagements qui vont survenir vont lui permettre d’être dans une plus grande disponibilité et de répondre au mieux aux besoins de son enfant. 

Les compétences du bébé et la parentalisation des parents 

Le nouveau-né a longtemps été considéré comme un simple « tube digestif » doué d’aucune compétence et dénué de sentiments et de sensations. L’enfant, quant à lui, était perçu et traité comme un adulte miniature. 10 C’est seulement à partir du XVIIIème siècle et surtout XIXème siècle que nous avons pu progressivement assister à un changement de la place et de la perception des enfants dans la société. II y a alors eu une prise de conscience des spécificités et capacités propres de l’enfant, comparativement à l’adulte. Aujourd’hui il est communément admis que le nouveau-né, et même le fœtus, possède une multitude de compétences : des compétences sensorielles, motrices, sociales, mnésiques et cognitives. Brazelton (1999) et son équipe ont mis en place une échelle d’évaluation du comportement néonatal (NBAS) permettant d’évaluer le répertoire comportemental (les réactions et réflexes) du nouveau-né face à différentes stimulations, d’origines humaines ou non et selon l’état de conscience du bébé. La finalité est d’évaluer les capacités d’adaptation du nouveau-né à son nouvel environnement et découvrir sa personnalité. La spécificité de cet examen est de traiter le nouveau-né comme un participant actif. Nous sommes donc à présent bien loin des représentations des siècles précédents. Le NBAS est réalisé en présence des parents dans le but justement de les sensibiliser aux nombreuses capacités de leur bébé et de leur permettre d’identifier son tempérament particulier auquel ils devront s’adapter. En effet, les réactions des bébés face aux stimuli de l’environnement divergent d’un enfant à l’autre. C’est en cela que nous pouvons parler de différences interindividuelles dès la naissance et de capacités propres à chaque bébé. Par conséquent, non seulement le nouveau-né est doué de compétences, mais en plus, ces compétences vont être spécifiques à chaque enfant. Pomerleau et Malcuit (1983) définissent la compétence de base du bébé comme « l’ensemble des comportements (actions et réactions) que le jeune enfant, en se fondant sur son équipement biologique de départ, est susceptible de manifester, quand les circonstances, le contexte et les conditions environnementales s’y prêtent » (p. 15). Nous comprenons dans cette définition que des conditions devront être remplies pour que les compétences du bébé se développent convenablement et de manière harmonieuse. Je développerai ce propos plus loin dans cet exposé. Selon Lebovici (1992) « l’enfant fait sa mère. C’est lui qui, par son regard, ses réactions, interactions, donne à la mère son véritable statut maternel. Une mère n’est pas mère tant qu’elle n’a pas d’enfant, certes, mais surtout tant que l’enfant ne l’a pas regardée comme mère » (p. 40). Par conséquent, les compétences que le nouveau-né possède vont être mis en jeu dans la parentalisation des parents. En effet, lorsque les parents assistent au NBAS ils vont prendre conscience des nombreuses capacités de leur bébé, ce qui va avoir avoir pour conséquence de les renarcisiser. D’autant plus que le bébé va avoir tendance à s’orienter préférentiellement vers la voix de ses parents, qu’il a entendu durant la vie fœtale. Cela va avoir pour effet de gratifier la mère et de la faire alors se sentir mère. 11 Les parents, en prenant conscience du tempérament de leur enfant, vont aussi pouvoir être sensibles aux signaux comportementaux, y répondre de manière ajustée et ainsi se sentir valorisés dans leurs compétences parentales. Tous ces éléments vont participer à la mise en place des premiers liens d’attachement entre le bébé et ses parents. L’attachement peut être défini comme un lien affectif et émotionnel qu’un individu établit avec d’autres personnes, notamment du système familial, appelées alors figures d’attachement. Bowlby (1978) énumère cinq schèmes de comportement contribuant à l’attachement, à savoir : la succion, l’agrippement, le comportement de suivre, les pleurs et le sourire. Ce comportement d’attachement a une fonction biologique indispensable vu qu’il permet d’assurer la protection et la survie de l’enfant à l’égard des prédateurs, et donne une sécurité émotionnelle. Ainsi, la gratification narcissique favorisant cet attachement est indispensable au bon démarrage de l’interaction mère-bébé et elle va être possible, en partie, par les différentes compétences du nouveau-né. C’est donc grâce à ces différentes compétences que le nouveau-né va pouvoir interagir précocement avec ses parents et que les parents vont pouvoir se sentir parents. Nous allons à présent voir les caractéristiques de ces interactions à la suite de la naissance. 

Les interactions précoces 

Tout d’abord, l’interaction peut être défini comme l’influence réciproque de deux phénomènes, de deux personnes avec les notions de réciprocité et d’interdépendance (Bekier & Guinot, 2015). Comme nous avons pu le voir dans la partie précédente, le bébé a des compétences dès sa naissance lui permettant alors d’être actif dans la relation avec son parent, et même plus globalement, les adultes environnants. Les interactions précoces mère-bébé sont depuis des années maintenant décrites comme un processus bidirectionnel ou une spirale transactionnelle dans laquelle la mère et son enfant s’influencent mutuellement. Chaque partenaire est un participant actif qui va exercer une influence sur les réponses de l’autre. Il est courant de faire la distinction entre trois niveaux d’interactions précoces entre la mère et son bébé : – les interactions comportementales correspondant aux interactions réelles directement observables, plus précisément les interactions corporelles et visuelles entre le bébé et sa maman, les échanges de regard, et les interactions vocales c’est-à-dire la capacité de la mère à traduire les besoins et les affects de son bébé avec une certaine prosodie souvent nommée le baby-talk, parlé bébé ou encore le mamanais. 12 – les interactions affectives qui concernent le climat émotionnel ou affectif retrouvé dans les échanges mère-bébé. Ces interactions vont être favorisées par les capacités d’accordage affectif de la mère donc sa capacité à s’identifier aux besoins de son enfant et s’y ajuster. – les interactions fantasmatiques en lien avec l’influence réciproque des représentations des parents et le monde interne du bébé, dans leurs aspects aussi bien conscients qu’inconscients. Cela explique la confrontation de la mère à l’écart, plus ou moins important, entre l’enfant réel et l’enfant fantasmatique ou imaginaire à la naissance du bébé. Selon Lebovici (2009), il est indispensable de reconstituer l’arbre de vie de tout enfant dans le but de dessiner une pathologie transgénérationnelle qui éclaire le mandat familial implicitement donné à l’enfant à travers les générations, en lien justement avec les interactions fantasmatiques. Au cours des séances, le psychomotricien va pouvoir s’appuyer sur ces différents niveaux d’interactions pour réaliser son analyse psychomotrice de chacun des partenaires et l’étude de l’interaction dyadique en tant que telle. Les auteurs Bekier et Guinot (2015) mettent en évidence les éléments qui vont être nécessaires pour la mise en place de bonnes interactions. Selon eux, et comme nous avons pu le voir précédemment, du côté du bébé il va y avoir une nette importance de ses compétences neurosensorielles car elles vont lui permettre d’entrer en interaction avec l’environnement. Du côté de la mère, c’est son rôle de pare-excitation qui va être déterminant c’està-dire sa capacité à lire les manifestations affectives de son bébé et ainsi moduler les stimulations pour s’ajuster à ses besoins. Selon les auteurs « des interactions harmonieuses permettent alors un développement affectif satisfaisant de l’enfant » (2015, p. 105). Nous pouvons alors aisément imaginer que des troubles des interactions précoces, quel qu’en soit le motif, vont possiblement avoir des répercussions sur le développement affectif de l’enfant, et je préciserai même, sur le développement psychomoteur de l’enfant. C’est la raison pour laquelle il va être indispensable pour le psychomotricien d’évaluer la qualité de ces interactions précoces et de la relation mère-bébé. 

Table des matières

SOMMAIRE
INTRODUCTION
PARTIE THÉORIQUE : PARENTALITÉ ET HANDICAP
I. La construction de la parentalité et le développement psychomoteur de l’enfant
1. Généralités sur la parentalité
1.1 Définition
1.2 Les compétences du bébé et la parentalisation des parents
1.3 Les interactions précoces
1.4 Les axes de la parentalité
2. Les facteurs favorisant le développement psychomoteur
2.1 Les facteurs innés
2.2 Les facteurs environnementaux
2.3 La théorie épigénétique
2.4 Le développement sensori-moteur vu par André Bullinger
3. Les compétences maternelles favorisant le développement psychomoteur
3.1 Préoccupation maternelle primair
3.2 Holding, handling et object presenting
3.3 L’accordage affectif
3.4 Les compétences maternelles dans la communication tonico-émotionnelle
3.5 La fonction alpha
II. Les parents confrontés au handicap de leur enfant23
1. L’annonce
1.1 Généralités sur l’annonce
1.2 La différence entre l’annonce diagnostique et l’annonce du handicap
1.3 Les représentations sociales du handicap
2. Les réactions parentales face au handicap
2.1 Une blessure narcissique
2.2 L’écart entre l’enfant imaginaire et l’enfant réel
2.3 L’inquiétante étrangeté
2.4 Les mécanismes de défenses psychologiques
3. Les étapes suite à l’annonce
3.1 L’humanisation ou l’adoption
3.2 L’individuation
3.3 L’intégration sociale ou la délégation
III. Le trouble du développement intellectuel
1. Généralités sur le trouble du développement intellectuel
1.1 Définition et étiologies
1.2 Repères historiques et sociétaux
1.3 Sémiologie psychomotrice
2. La parentalité des mères présentant un trouble du développement intellectuel
2.1 Représentations sociales négatives
2.2 Un désir d’enfant et les représentations de la parentalité des mères présentant un handicap intellectuel
2.3 Entre l’incapacité et l’hypernormalité
2.4 Les difficultés effectives possiblement rencontrées
3. L’accompagnement des mères dans leurs habiletés parentales
3.1 Jauger et non pas juger
3.2 Accompagner et non pas se substituer
3.3 Évaluer les capacités, les personnes ressources ainsi que les difficultés
PARTIE CLINIQUE : UNE PRISE EN CHARGE EN PSYCHOMOTRICITÉ DANS UN CENTRE
D’ACTION MEDICO-SOCIAL PRÉCOCE
I. Présentation du terrain clinique
1. Présentation du CAMSP et de l’équipe pluridisciplinaire
1.1. La population accueillie
1.2 Le projet d’établissement
1.3 L’organisation spatiale de l’institution
1.4 L’équipe pluridisciplinaire et les réunions institutionnelles
1.5 L’importance de la présence des parents en séance
3. La place de la psychomotricité
3.1 Au sein de l’institution
3.2 Ma place de stagiaire
II. Présentation de la vignette clinique
1. Marvin
1.1 Anamnèse et développement psychomoteur
1.2 Ma première rencontre avec Marvin
1.3 Observations psychomotrices
1.4 Évolution de la prise en charge en psychomotricité
2. L’organisation psychomotrice de la mère de Marvin : Madame K
2.1 Organisation motrice
2.2 Organisation psychique et cognitive
3. La dyade mère – enfant
4. Les séances en psychomotricité
PARTIE DISCUSSION : LE RÔLE DU  PSYCHOMOTRICIEN DANS LE SOUTIEN AU
DÉVELOPPEMENT PSYCHOMOTEUR DE L’ENFANT ET DANS LE SOUTIEN À LA PARENTALITÉ D’UNE MÈRE PRESENTANT UN TROUBLE DU DEVELOPPEMENT INTELLECTUEL
I. La posture générale du psychomotricien
1. La nécessité d’un regard contenant et empathique.
2. L’importance d’une alliance thérapeutique.
II. L’accompagnement en psychomotricité.
1. Du côté de Marvin
1.1 Permettre la mise en place d’une sécurité psychoaffective
1.2 Permettre l’expérimentation sensorimotrice
1.3 Permettre un étayage psychomoteur en s’appuyant sur le dialogue tonico-émotionnel
2. Du côté de Madame K
2.1 Renarcissiser la mère et revaloriser ses compétences parentales
2.2 La fonction alpha et pare-excitation du psychomotricien
2.3 Permettre à la mère d’être active dans la dynamique interactionnelle et à y prendre du plaisir
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

projet fin d'etude

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