L’action publique face à la crise du Covid-19

L’action publique face à la crise du Covid-19

ORGANISER LA GESTION DE CRISE

Les équilibres de la gestion d’une crise sanitaire Partout, la réponse à la crise sanitaire de la part des autorités politiques relève d’un paradoxe. D’un côté, elle implique un rôle central de chaque gouvernement, seul à même de coordonner la lutte, de prendre l’initiative, de fixer la stratégie et de mobiliser les ressources nécessaires. La pandémie a été un moment d’affirmation de la centralité du politique, et aussi un moment de retour au national : effacement brutal de l’Union européenne et retour au premier plan de l’État-nation, jusqu’à l’acte souverain de la fermeture des frontières ; mais aussi recentralisation à l’échelon national, comme cela a été le cas en Espagne, avec la suspension des autonomies régionales en matière de police et de santé5, ou même en Allemagne, où la nouvelle répartition des compétences induite par la Infektionsschutzgesetz rogne de façon inédite sur les pouvoirs des Länder (encadré 1). À Taïwan, l’efficacité du dispositif de gestion de crise repose sur l’extrême centralisation de la décision au sein du centre de commandement central des épidémies (CECC), activé dès le 20 janvier (encadré 2). Mais la crise sanitaire est aussi le moment par excellence où « l’État ne peut pas tout », ou en tous cas pas tout seul. D’abord parce que l’État ne sait pas tout, face à un virus encore largement inconnu, et qu’il doit se reposer sur une expertise scientifique qui ne vaut que par son indépendance par rapport aux injonctions politiques. Ensuite parce qu’il a besoin de la mobilisation et de l’engagement de l’ensemble des acteurs, et d’abord des citoyens eux-mêmes, dont le comportement est la clé du succès ou de l’échec d’une lutte sanitaire. Comme le souligne Rachel Kleinfeld dans son étude sur les réponses démocratiques et autocratiques à la pandémie6, la confiance des citoyens dans leur système politique est un facteur déterminant dans l’efficacité de la réponse sanitaire, parce que c’est elle qui permet l’adoption rapide et générale des comportements qu’elle réclame. L’enjeu des dispositifs de gestion de crise est donc d’utiliser « à plein » la centralité du pouvoir sans en surjouer la verticalité. Le but est de clarifier le lieu de la décision stratégique tout en raccourcissant au maximum les lignes de communication, et de décentraliser autant que possible les modalités de sa mise en œuvre, pour permettre à chacun des acteurs d’adapter la stratégie globale dans un contexte de grande incertitude, où la prise d’initiative et la remontée d’information sont des facteurs essentiels de réussite. L’enjeu est aussi d’intensifier la communication tout en la séparant des interférences politiques. Cet équilibre est particulièrement crucial dans les premières phases de la crise, où tout se joue sur la capacité des systèmes sanitaires à détecter des signaux faibles, et sur celle des systèmes politiques à passer de l’alerte à la mobilisation. C’est ce que montre l’exemple de la gestion de crise dans l’État de Washington7, où s’est développé un des premiers foyers infectieux aux États-Unis, et où les systèmes d’alerte ont permis une réaction particulièrement rapide. Le dispositif institutionnel joue ici un rôle majeur : c’est parce que le Comté de King, où se situe Seattle, disposait d’un Health officer, Jeff Duchin, que le chef de l’exécutif local, Dow Constantine, a pu prendre des décisions rapides et efficaces, tout en se mettant en retrait dans le dispositif de communication vis-à-vis du public, conformément aux recommandations du Center for Disease Control (CDC).

La gestion de crise à la française : évolutions et invariants

Face à la crise sanitaire, l’exécutif français a fait le choix de l’affirmation de sa centralité, mais plus encore, celui de la verticalité. Dès le début de la pandémie, le lieu de la décision a été symboliquement établi au sein du Conseil de Défense, réuni autour du président de la République, juste avant le Conseil des ministres. Parallèlement, le choix a été fait d’une communication de crise essentiellement politique, centrée sur les discours solennels du président de la République et du Premier Ministre. C’est à partir de cette dyarchie spécifiquement française que s’est organisée une gestion de crise marquée par la verticalité. Quatre phases Celle-ci a pris successivement plusieurs formes. Du 27 janvier au 17 mars, la réponse de l’État est pilotée exclusivement à travers le ministère de la Santé, où a été mise en place une cellule de crise dirigée par Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, trois jours après l’identification du premier cas de contamination en France. Jusqu’au début du confinement, elle est la seule instance de coordination de la réponse de l’État à une crise qui est encore abordée sous son seul angle sanitaire. Le maintien d’une gestion de crise par le ministère de la Santé pendant la première phase de la crise a déterminé une large partie de la réponse de l’État sur le terrain. C’est en particulier ce choix qui place les Agences régionales de santé (ARS) en première ligne : organisation des hôpitaux et du réseau de soins, mais aussi logistique de la distribution des masques, transferts de patients… Contrairement aux organes de la protection civile ou du ministère de l’Intérieur, ces bureaux destinés à la gestion financière et administrative des structures de soin ne sont aucunement préparés à une action d’urgence. Cette primauté du sanitaire dans la gestion de crise n’a pas permis de mettre en cohérence les différents services de l’État sur le terrain. Un exemple frappant en est le retard mis à intégrer les laboratoires publics dans la mobilisation des moyens de tests. Un retard qui s’explique notamment par l’absence de dialogue entre les ARS et les préfets, seuls habilités à procéder à la réquisition des laboratoires publics. Surtout, dans ce stade précoce de l’épidémie où il est essentiel de détecter les signaux faibles et de s’adapter rapidement à une situation mouvante, à l’abri des interférences politiques et sans subir de blocages bureaucratiques, la chaîne hiérarchique complexe qui relie la direction générale de la Santé, Santé Publique France, les ARS et les 38 établissements de santé qui restent jusqu’à la fin du mois de février les seuls habilités à accueillir et tester les malades du Covid-19 représente un obstacle majeur à la prise de conscience de la circulation épidémique, et à une révision rapide des dispositifs de dépistage, de prise en charge et de communication. Ce n’est donc que le 17 mars que la cellule interministérielle de crise est activée, au sein du ministère de l’Intérieur. Organisée autour de deux réunions quotidiennes, l’une qui réunit les secrétaires généraux, l’autre les directeurs de cabinets des ministères concernés, elle permet d’associer le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Santé, sous le contrôle du Premier ministre, dont le directeur de cabinet préside généralement les réunions de la CIC. C’est de là qu’est orchestré le confinement du pays, marqué par une centralisation extrême, qui se reflète dans des arbitrages interministériels parfois rendus à un niveau de détail qui traduit l’absence quasi totale de marge d’appréciation laissée aux autres échelons de la puissance publique. Cœur de l’État verbalisateur, la CIC ne peut être celui de l’État stratège : qu’il s’agisse de la gestion de la pénurie de masques ou de celle des tests, les grandes questions se traitent ailleurs, dans un écheveau d’initiatives qui mobilisent les cabinets ministériels en ordre dispersé. Preuve de la difficulté à coordonner cette action de crise multiforme, Édouard Philippe confie au général Lizurey, ancien directeur général de la Gendarmerie nationale, à la fin du mois de mars, la mission de passer le dispositif en revue, pour s’assurer de la bonne communication entre les différentes cellules de crise ministérielles, et avec les échelons locaux.

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