L’APPROCHE MULTI-AGENTS EN GÉOGRAPHIE

L’APPROCHE MULTI-AGENTS EN GÉOGRAPHIE.

Bien qu’ayant toujours considéré l’importance des interactions dans la structuration des systèmes, le courant systémique a plus mis l’accent sur l’analyse des flux entrants et sortants que sur l’aspect comportemental des interactions. En effet, la partie proprement opératoire de l’analyse systémique, depuis ses débuts avec Bertalanffy et surtout Forrester, s’est principalement consacrée à l’analyse des systèmes sous l’angle à la fois structurel (organisation des composants du système) et fonctionnel (l’accent est mis sur les flux et les boucles de rétroaction). Il en est de même des travaux de Le Moigne sur la théorie du système général et de ceux de Delattre sur les structures organisées [Delattre, 1971]. Bien qu’utile dans de nombreuses disciplines, et en dépit de son universalité incontestable, cette approche s’avère limitante [Ferber, 1995] puisque les seules notions véritablement fécondes que l’on y trouvait étaient celles de régulation, de stabilité, d’organisation et de fonction de transfert. Maintenant la notion d’émergence prend toute sa place. Une autre école de pensée [Prigogine, 1979] permet de comprendre les systèmes comme des entités auto-organisatrices dont le fonctionnement et l’évolution sont les produits du comportement d’un ensemble d’entités en interactions. Là encore, le postulat de l’auto-organisation repose sur les flux d’interconnexion et sur la modélisation des boucles de rétroaction [Weidlich, 1991, op. cit.]. En réalité, définir un système par ses relations globales explique les formes générales de son évolution à partir d’un point de vue macroscopique. Cette approche n’intègre pas l’importance des actions individuelles qui concourent à l’élaboration de la structure et donc à l’organisation du système en tant que tel. Pour aborder ces problèmes, un effort particulier a été porté ces dernières décennies sur l’intelligence artificielle distribuée et les systèmes multi agents (SMA). Ces derniers présentent un certain nombre d’avantages [Ferber 1995, op. cit. ; Gasser, 2001 ; Briot, 2001] et proposent des modèles pour étudier les systèmes complexes au travers d’entités autonomes appelées agents. L’approche multi agents met donc en avant les interactions locales au sein du système et les phénomènes d’émergence qui en résultent. Il s’agit donc d’une forme de systémique, plus exactement d’une extension de la systémique classique, que J. Ferber qualifie de néo-systémique, fondée sur l’analyse des comportements d’agents interagissant. L’auto-organisation des systèmes étant alors le fruit des actions transformatrices des agents (le concept d’agent est présenté en section 4.2). Après avoir exposé quelques généralités sur le paradigme multi agents, ce chapitre fait un tour d’horizon du concept d’agent pour introduire ensuite la construction des systèmes multi agents. Nous proposons ensuite une méthodologie orientée agent pour la modélisation conceptuelle des systèmes géographiques. La dernière section du chapitre est consacrée à la présentation de quelques applications géographiques des SMA.

L’approche multi agents se situe au carrefour de plusieurs disciplines. Les deux plus importantes sont l’intelligence artificielle distribuée (IAD) et la vie artificielle ou intelligence artificielle (IA). L’IAD a pour objet de réaliser des organisations de systèmes capables de résoudre des problèmes par le biais d’un raisonnement le plus généralement fondé sur la manipulation de symboles (mathématiques discrètes, logique du premier ordre, etc.). L’IA cherche à comprendre et modéliser des systèmes doués de vie, c’est-à- dire capables de survivre, de penser, etc. De nombreuses communautés scientifiques font désormais appel au paradigme multi agents pour contribuer à résoudre les problèmes auxquels elles sont confrontées. Ainsi, les recherches associées aux SMA ne se cantonnent plus au domaine initial de l’IA de l’IAD, mais reposent sur des résultats de thématiques scientifiques techniques telles que le génie logiciel, les systèmes distribués, etc. A ce titre, les SMA constituent un des paradigmes les plus ouverts à l’expression de la transversalité. En effet, dans les domaines où les aspects relevant des sciences humaines et sociales interviennent, l’un des atouts des SMA réside dans leur pertinence à représenter les systèmes sous-jacents le plus naturellement possible tout en intégrant au mieux la complexité aux différentes échelles considérées. Nous allons énumérer un ensemble (qui n’est pas forcément exhaustif au regard des multiples propriétés des SMA selon le domaine d’application) de caractéristiques des approches multi agents dans une perspective d’application aux sciences humaines et sociale. 4.1.1. L’intelligibilité Les SMA offrent un ensemble d’abstractions qui, du fait de leur degré d’anthropomorphisme, sont plus facilement compréhensibles et abordables par les concepteurs et les utilisateurs des systèmes construits. C’est par exemple l’un des points mis en avant par Boissier, Gitton et Glize quand ils affirment qu’ « Une approche multi agents représente de manière exacte la façon dont la supervision fonctionne lors de l’apparition de profondes perturbations : intervention de différentes spécialités, échanges d’informations pertinentes entre eux, afin d’assurer la cohérence de la coordination mise en œuvre pour satisfaire l’objectif commun de superviser ou réparer un défaut » [Boissieret al., 2004]. Si cette propriété apparaît dans les problèmes d’ingénierie, elle est encore plus présente dans les applications de simulation en sciences sociales. Dans ces types d’application, il est assez naturel de modéliser les objets, les acteurs ou les entités naturelles en agents dans le SMA en mettant en relation les frontières des entités avec celles des agents. Il en est de même pour la modélisation des interactions entre entités et entre agents. Ces simulations, au-delà de l’aspect anthropomorphique, permettent également de préserver la structure de la réalité simulée. D’autres applications de simulation utilisent les SMA pour des raisons similaires. Ainsi, lorsque la simulation est utilisée pour comprendre un système complexe et aider à la négociation entre différents acteurs humains [Bousquet et Le Page, 2001], une telle intelligibilité est importante. Par exemple, Dowing, Moss et Pahl-Wostl ont mis au point un modèle de simulation où les acteurs socio-économiques peuvent étudier l’impact des activités économiques et sociales sur les politiques de changement climatique [Dowing et al., 2000]. Dans d’autres applications, comme celles qui sont développées Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (http://cormas.cirad.fr), les acteurs économiques peuvent étudier l’impact des politiques agricoles sur la faune et la flore d’un parc naturel. Il s’agit d’une application dans laquelle on passe progressivement de la simulation de l’écosystème avec des agents réels (êtres humains) à la simulation de l’écosystème qui interagit avec des agents virtuels. Cette application permet de dérouler tout un ensemble de scénarios de simulation en s’appuyant sur les techniques de jeux de rôles. Le besoin essentiel de cette application est l’intelligibilité des modèles élaborés pour que les acteurs dont le rôle socioéconomique est mis en œuvre dans la simulation, puissent les comprendre et intervenir eux-mêmes dans la construction des simulations. Ils doivent également pouvoir interroger les modèles pour comprendre les raisons des comportements observés et tester différentes hypothèses en modifiant certains de leurs comportements.

La complexité du problème ou de l’application peut justifier une approche décentralisée. Les sources de cette complexité pouvant être la taille de l’application, la multiplicité et l’hétérogénéité des comportements modélisés (l’exemple des ménages en est une illustration), la dynamique globale du système modélisé, etc. Le parallélisme mis en œuvre peut également être motivé par le besoin de prendre en compte des contraintes physiques du système. Par exemple, dans les applications de simulation où la composante spatiale tient une place de choix, on peut laisser aux agents en interaction le soin de trouver par eux-mêmes les configurations spatiales optimisant un critère global. La recherche du réalisme conduit également à privilégier ce mode de fonctionnement. Ainsi, dans nombre d’applications de simulation, aucun organe central n’assure la coordination globale système et les entités modélisées prennent les décisions par elles- mêmes. C’est le cas, par exemple, dans un projet européen FIRMA (Freshwater Integrated Resource Management with Agents) [Dowing et al., 2000, op. cit.], dont l’un des objectifs est de comprendre l’effet produit par un ensemble d’acteurs sur les changements climatiques sur le territoire que ceux-ci partagent. Et ceci, en l’absence d’un modèle global qui jouerait le rôle de régulateur. L’hypothèse de travail étant que les activités de chacun de ces acteurs (non seulement activités environnementales, mais aussi activités socioéconomiques) concourent en fait à la gestion des changements. Afin d’assurer un comportement global et cohérent du système malgré le parallélisme, les agents interagissent entre eux. Ces interactions se concrétisent par le biais de l’environnement du système. 4.1.4. La situation dans un environnement De nombreuses applications multi agents présentent la caractéristique d’être ‘‘ancrées’’ dans un environnement. Cet ancrage signifie que l’évolution du système est la combinaison des évolutions réciproques de son comportement et de celui de l’environnement. Dans les SMA, il faut comprendre l’environnement comme étant le médium commun partagé par l’ensemble des agents du système. Selon les applications, il répond à un ensemble de besoins

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